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dimanche 27 novembre 2011


Les RTT, un dossier en souffrance pour les personnels des hôpitaux

LEMONDE.FR | 24.11.11

Six mois de RTT à poser en moins de six semaines. C'est à cette impossible équation qu'une réunion entre le ministre de la santé et les syndicats de médecins hospitaliers a tenté de répondre, mercredi 23 novembre. Au lendemain de cette troisième rencontre depuis la rentrée, le résultat est cinglant : le dossier est bloqué, selon les syndicats.

"CRISE DE CONFIANCE" ENTRE MINISTÈRE ET MÉDECINS
La réunion, pourtant, commençait sur un accord entre la Direction générale de l'offre de soins (DGOS) du ministère de la santé et les syndicats : "pour la première fois, l'administration validait nos estimations alors que, jusqu'à présent, nous n'avions aucune base documentaire", explique au Monde.fr le Dr François Aubard, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH). Comme le plus important syndicat de praticiens, le ministère de la santé constatait  les 2,1 millions de jours de RTT acumulés par les 41 000 médecins hospitaliers. Pour chaque médecin, c'est environ six mois de RTT qui ont été stockées sur des comptes épargne-temps (CET) et dont l'échéance arrive le 2 janvier 2012. Une date connue de tous : le dossier est vieux de dix ans, lorsque la loi sur les 35 heures est appliquée aux hôpitaux publics.
C'est dans ce contexte que le syndicat a proposé trois pistes mercredi : la"monétisation" ou le paiement d'une partie de ces journées ; l'utilisation de congés ; la transformation de ces CET en point-retraites. Joint par Le Monde.fr, le ministère de la santé affirme que toutes les pistes sont étudiées, avec une"solution mixte" possible, et un prolongement de la date butoir du 2 janvier 2012. Réaction du CMH : tous les médecins sont appelés à poser leurs congés dès janvier 2012. Une forme de menace devant la "crise de confiance" entre le ministère de la santé et les médecins, déplore le Dr François Aubard. Le médecin estime qu'avec un projet de décret incluant les trois solutions, le gouvernement n'agit pas et "repousse le problème". Devant la crainte de perdre ces heures, et afin de garantir leur paiement, le syndicat médecin a même demandé la"sanctuarisation" de ces CET par la Caisse des dépôts et consignations.
PAS DE PERSONNEL, PAS DE BUDGET
Si, depuis 2002, les journées de RTT s'accumulent, c'est pour deux raisons. D'abord parce que le personnel manque pour remplacer les médecins en congés. Ensuite parce que le budget fait défaut pour payer ces heures de repos qui ne peuvent pas être prises par les praticiens surchargés de travail. Une première fois, en 2008, un remboursement partiel de ces RTT est mis en place : 30 % des stocks sont rachetés. A l'époque, Hervé (son nom a été changé), chirurgien à Marseille, entre en litige avec son établissement. "Les 30 % m'ont été versés de façon parcellaire", commente le médecin "l'hôpital n'avait pas d'argent". Il décide de poursuivre son hôpital au tribunal administratif, pourrecevoir la totalité de la somme trois ans plus tard, au printemps 2011. Selon le Dr François Aubard, ce genre de litige est courant, "les engagements de 2008 [n'ayant] pas été tenus". Et trois ans plus tard, Hervé a encore environ 140 journées de récupérations à poser.
Une première fois, en 2008, un remboursement partiel des RTT est mis en place : 30 % des stocks sont rachetés.AFP/PATRICE COPPEE
Au sein de l'hôpital, la situation des médecins est particulière : le rachat de leur CET est particulièrement cher, 300 euros bruts par journée. A elles seules, les RTT des 41 000 médecins représentent la moitié des heures accumulées par les 411 000 salariés des hôpitaux. Le coût pour l'Etat de cette monétisation s'élèverait ainsi à quelque 600 millions d'euros. Autre spécificité : le métier est caractérisé par une démographie déclinante. "Entre 2010 et 2018, 31 % des praticiens vont partir à la retraite", explique le président du syndicat. Une caractéristique qui rend la transformation des CET en point-retraites peu séduisante pour le gouvernement, et réduit les solutions envisageables.
TOUT L'HÔPITAL EN SURPLUS DE RTT
A l'hôpital, la question des RTT ne se limite pas aux médecins. Le coût de leurs journées est un peu moins élevé et leur situation se règle généralement chaque année, mais les autres catégories de salariés ont également accumulé un peu moins de deux millions de RTT. "On pensait que ces RTT soulageraient notre charge de travail. Etant donné que nous sommes toujours sur le qui-vive, cela fait du bien d'avoir des jours de repos en plus," commente un aide-soignant en psychiatrie sous réserve d'anonymat, de peur que "sa direction ne lui mette la pression".
Car dans les hôpitaux, l'ambiance est pénible, témoignent aide-soignants et infirmiers : les équipes fonctionnent "à flux tendus". L'organisation des plannings est source de tensions et de pressions. En huit mois de travail, cet aide-soignant d'un hôpital de l'ouest de la France a cumulé 90 heures de RTT, essentiellement pendant l'été lorsque le personnel prend ses congés. "J'aimerais qu'on m'en paye la moitié, mais ils ne le feront pas : le budget est trop serré. Nous sommes dans un cul-de sac, mais j'essaierai de me battre pour ne pas perdre ces heures"témoigne l'aide-soignant.
En filigrane, c'est donc le manque de moyens de l'hôpital qui se dessine derrière l'accumulation de RTT. "Les conditions de travail se dégradent, l'hôpital est plein, le personnel démotivé, épuisé", rapporte l'aide-soignant. Dans son service, pendant la période particulièrement tendue de l'été, une infirmière retraitée a été rappelée, avant de revenir pour un contrat de deux mois cet hiver. Un autre salarié a également effectué des remplacements, au pied levé, tandis que des infirmières d'autres services viennent aussi ponctuellement prêter main-forte. Un système qui impacte la qualité des soins :  "c'est l'enfer", commente l'aide-soignant, "les remplaçants ne connaissent rien à la psychiatrie et le patients aussi ont peur".
"BIDOUILLAGE" GÉNÉRALISÉ
Les RTT sont alors prises dans le "bidouillage", hors des échéances et du cadre posés par la loi, explique une infirmière d'un hôpital du nord de la France sous couvert d'anonymat, avec une "négociation" permanente entre les cadres et le personnel. Dans son établissement, l'aide-soignant en psychiatrie évoque "des magouilles", tandis qu'Hervé, le chirurgien, compte cumuler suffisamment de jours de repos pour prendre une année sabbatique.
Alors qu'il est demandé aux directeurs d'hôpitaux de présenter un budget en équilibre en 2012, certains craignent que le coût de ces RTT plombe l'assurance maladie. "Les hôpitaux n'ont en provision que l'équivalent de 30 % de ces RTT selon les syndicats, 50 % selon le ministère", estime le Dr François Aubart. Certains hôpitaux sont "face à un vrai problème d'approvisionnement", admet le ministère de la santé. Au ministère, sans s'avancer sur des solutions privilégiées, on n'écarte pas que des fonds soient "débloqués" pour les établissements en difficulté. Pour désamorcer l'explosion des RTT, une quatrième réunion avec les syndicats est prévue avant la fin de l'année, le 5 décembre.
Flora Genoux


Paiement des RTT des médecins hospitaliers : blocage entre gouvernement et syndicats

LEMONDE.FR avec AFP | 24.11.11

Les syndicats de médecins hospitaliers ont déploré, mercredi 23 novembre, que le ministère de la santé refuse de s'engager à leur payer, d'une manière ou d'une autre, avant la fin de l'année, les 2 millions de jours de RTT qui se sont accumulés sur leurs comptes épargne-temps (CET).

Résultat de l'application de la loi sur les 35 heures aux hôpitaux publics en 2002, plusieurs millions de journées de RTT n'ont pu être prises par les personnels, en raison de leur important temps de présence auprès des malades. A eux seuls, les 41 000 médecins représentent la moitié des RTT accumulés par les 411 000 salariés des 1 300 hôpitaux publics français. Chaque médecin a stocké en moyenne environ six mois de RTT. Le coût pour l'Etat d'un remboursement de ces journées s'élève à quelque 600 millions d'euros. Un peu moins de deux autres millions de RTT ont été accumulés par d'autres catégories de salariés des hôpitaux, notamment des directeurs et des cadres, mais le coût pour l'Etat est moins élevé.
Une troisième réunion de concertation depuis le mois de septembre entre les syndicats de médecins hospitaliers et la direction générale de l'offre de soins (DGOS) du ministère de la santé n'a pas rassuré les praticiens, qui craignent devoir s'évaporer ces RTT difficiles à prendre.
PROBLÈME CONNU DEPUIS DES ANNÉES
"Nous sommes dans une situation de blocage", a déclaré le docteur François Aubart, président de la Coordination médicale hospitalière (CMH), un des plus importants syndicats de praticiens hospitaliers, qui entend faire monter la pression. "Devant le risque de remise en cause de la notion même de CET, nous allons réunir nos instances jeudi et je vais proposer que nos membres déposent des demandes de congés dès janvier", a-t-il affirmé. Le président de la CMH a indiqué qu'il se pourrait que d'autres syndicats de praticiens fassent de même car"il y avait un constat partagé autour de la table" du côté des médecins de cette situation de blocage. Selon le Dr Aubart, le gouvernement a trop tardé pourrégler un dossier dont on connaît l'échéance depuis près de dix ans.
PLUSIEURS OPTIONS
L'une des solutions pour apurer ce stock de RTT est la "monétisation", c'est-à-dire le paiement aux médecins de tout ou partie de ces journées. Un remboursement partiel des RTT par le gouvernement a eu lieu en 2008, à hauteur de 168 millions, soit 30 % du stock de l'époque, selon le journal Le Parisien. Mais depuis, les CET des médecins se sont à nouveau remplis.
Un autre moyen de régler le problème est d'inciter les médecins à prendrerégulièrement leurs congés en les remplaçant. Mais cette solution est peu réaliste car les praticiens absents sont difficiles à remplacer, surtout dans les petits établissements. Il y a même, dans certains cas, des postes vacants non pourvus.
Dernière piste possible : transformer le CET en compte épargne-retraite permettant au médecin de partir avant 67 ans, l'âge de départ pour les praticiens depuis la réforme, ou encore de travailler à temps partiel les dernières années avant la cessation d'activité. Cette solution séduit nombre de médecins, mais beaucoup moins le gouvernement, étant donné que la moyenne d'âge des praticiens est déjà élevée (57-58 ans) et que les départs à la retraite vont s'accélérer dans les prochaines années.
Selon le Dr Aubart, la DGOS ne s'est avancée sur aucune des trois solutions possibles. "On nous a seulement proposé de publier un décret visant à autoriserles trois options", c'est-à-dire en remettant à plus tard le règlement de cette question.


Mineurs : Claude Guéant veut donner au parquet un pouvoir de "sanction immédiate"

LEMONDE.FR avec AFP | 23.11.11
Regrettant le manque de cohérence des textes régissant la législation des mineurs, il a appelé à "adapter la loi à l'évolution des réalités".
Regrettant le manque de cohérence des textes régissant la législation des mineurs, il a appelé à "adapter la loi à l'évolution des réalités". AFP/LIONEL BONAVENTURE
"Les cours d'assises des mineurs siègent cinq ans après la commission des actes", a regretté le ministre, lors d'un entretien avec l'AFP concernant l'étude annuelle de l'ONDRP sur la délinquance qui, selon lui, montre "une augmentation de la violence des actes commis par des mineurs".
"Il faut trouver les moyens d'une réponse plus rapide, par exemple, en enserrant le temps de l'instruction, le temps du jugement, dans des délais raisonnables, qui seraient fixés par la loi, par exemple en donnant aux parquets des compétences de sanction immédiate", a argumenté le ministre. M. Guéant a répété sa volonté de voir s'engager "un travail pour aboutir à la création d'un nouveau code pénal des mineurs""un travail pour après les élections présidentielle et législatives".
"UNE RÉPONSE IMMÉDIATE"
Regrettant le manque de cohérence des textes régissant la législation des mineurs, il a appelé à "adapter la loi à l'évolution des réalités". Le ministre souhaite "mettre fin" au sentiment d'"impunité" qu'auraient, selon lui, les mineurs délinquants. "Il faut que la justice des mineurs puisse avoir une réponse immédiate. Il faut au minimum qu'il y ait un placement dans des institutions qui permettent un rappel à l'ordre, une remise dans le droit chemin. Puis, il faut aussitraiter de la rapidité de la justice des mineurs", a-t-il énuméré.
Après le meurtre d'Agnès, 13 ans, avoué par un lycéen de son établissement, M. Guéant avait déjà indiqué que la réforme de la justice des mineurs et de l'ordonnance de 1945 serait "une des priorités" après les élections du printemps.

Pour en savoir plus :
>> Lire l'article du Monde sur le rapport de l'Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP) :  "Les mineurs commettent la moitié des vols violents"
>> Lire l'analyse que fait le sociologue Laurent Mucchielli du rapport de l'ONDRP : "Le rapport de l'ONDRP dément en réalité l'augmentation des violences"


RÈGNE ANIMAL – L’homme est-il seul à pouvoir se suicider ?

On connaît l'exemple du chien fidèle se laissant mourir après son maître ; on a vu un canard se maintenir sous l'eau assez longtemps pour se noyer après la mort de son partenaire, des rats-taupes nus atteints d’une maladie contagieuse aller mourir seuls,loin de leur colonie, et des baleines se jeter par dizaines sur les plages, comme le 14 novembre dernier sur la pointe de Farewell ("adieu", en anglais), en Nouvelle Zélande, en un simulacre de suicide collectif désespérant  – les autorités locales se sont résolues à euthanasier les survivantes deux jours plus tard, rappelle Slate.
Mais peut-on aller au-delà de comparaisons anthropomorphiques plus ou moins douteuses, se demande aujourd'hui Slate, et affirmer qu'une bête est capable de se suicider ? Un animal peut-il avoir conscience de son existence et conceptualiser la relation de cause à effet qui mènera de son acte à sa disparition, éventuellement à l'abrègement de ses souffrances ?
La question a passionné les scientifiques et la presse anglaise à l'époque victorienne, rappelait en 2010 Edmund Ramsden, chercheur au département d'histoire de l'université d'Exeter. A partir de l'année 1845, on vit ainsi fleurir les drames animaliers dans les feuilles d'outre-Manche, tel "le cas d’un chien de race terre-neuve qui s’était, à plusieurs reprises, jeté à l’eau, restant immobile et 'gardant obstinément la tête sous l’eau pendant quelques minutes'", rappelle Slate (c'est alors que l'affaire du canard amoureux mentionné ci-dessus avait été évoquée).
Bravement, donc, Slate rassemble des éléments de preuve modernes. Le site souligne que certains animaux, dauphinsprimatespies et éléphants, en reconnaissant leur image dans un miroir pourraient démontrer une certaine conscience de leur individualité. Certains savent "faire semblant", en jouant : serait-ce le signe d'une capacité à se projeter au-delà de ce monde matériel ?
Poussant vers des espèces dont les états d'âme indiffèrent la plupart d'entre nous, Slate relève que certaines algues unicellulaires peuvent, face à un stress pourtant surmontable, activer un processus de mort programmée. "Des chercheurs ont récemment découvert que le 'suicide' de certaines cellules favorisait la croissance des cellules survivantes." Ces algues meurent donc "pour le bien de la communauté", en martyrs.
Enfin, Slate note l'existence d'un parasite qui provoque chez les rongeurs une certaine attirance pour leur pire ennemi, le chat, et se demande si ledit parasite,Toxoplasma gondii, pourrait également infecter l'humain et le pousser ainsi à passer à l'acte, en conscience altérée, mais en conscience tout de même.
Photo : AFP PHOTO/MARIO LAPORTA
Tribune de Genève



23.11.2011

La neuropsychanalyse, un « faux-nez » pour la psychanalyse?

À la fin des années 80, dans la foulée de la parution de L’homme neuronal, le mensuel La Recherchefaisait état d’un dialogue manqué entre le psychanalyste André Green et le neurobiologiste Jean Pierre Changeux1. L’approche scientifique était accusée par le psychanalyste de « déni de la vie psychique » et plus généralement, de présenter une vision réductionniste de l’homme. En dépit de quelques tentatives isolées, le dialogue semblait impossible, d’autant que les années 90 virent, surtout hors de France, la psychanalyse et Freud remis en cause2. C’est pourquoi, lorsqu’en 19983 et 19994, Eric Kandel publiait dans la grande revue américaine de psychiatrie (Am J Psychiatry) deux articles (le second venant compléter et préciser l’objet du premier qui avait été à l’origine d’une correspondance très animée) invitant la psychanalyse à se rapprocher des neurosciences, ces parutions connurent immédiatement un certain retentissement, au point d’être traduits in extensodans une revue française d’obédience psychanalytique assez stricte (L’Évolution Psychiatrique5). Il est possible que les travaux de Kandel sur l’aplysie, un mollusque marin, qui lui ont valu un prix Nobel en 2000 pour la découverte du mécanisme de la potentialisation à long terme (LTP), support de la mémoire à l’échelle synaptique, ne constituent pas le meilleur viatique pour aborder le domaine du refoulement et de la résolution de l’Œdipe. Nonobstant, l’obtention du Nobel conférait finalement à ces considérations, somme toute assez générales, une légitimité naturelle à ouvrir des voies nouvelles6. De fait, ces deux articles contribueront à précipiter la création d’une discipline alors encore en pénible gestation aux mains de quelques initiés new-yorkais du Neuroscience and Psychoanalysis Study Group au NYPY depuis les années 90 : la « neuropsychanalyse ». Une société internationale de neuropsychanalyse est alors fondée en 2000, dont le 10e congrès annuel s’est tenu à Paris en 2010 et dont la revue « Neuropsychoanalysis » est l’organe officiel (http://www.neuro-psa.org.uk/npsa/). Les ouvrages vont suivre, avec notamment, en langue française, et particulièrement ces cinq dernières années, plusieurs livres édités chez des éditeurs généralistes7, y compris et jusque dans la collection « Que Sais-Je ? » des PUF, témoignant d’un certain dynamisme et d’un soif de reconnaissance. Découverte majeure ? Effet de mode ? Tentative de sauvetage ? Les neurosciences des émotions, l’étude des processus non conscients, l’asymétrie fonctionnelle cérébrale, parmi d’autres, sont des domaines de recherche qui n’ont pas attendu la «neuropsychanalyse » pour être sérieusement investis. Le plaquage des concepts psychanalytiques (refoulement, pulsion, Oedipe) sur les résultats issus de ces recherches apparaît dès lors comme une simple méthode interprétative, qui ne peut constituer autre chose qu’une lecture orientée – et nullement scientifique – de données élaborées dans un tout autre contexte…


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Paradoxa


Psychanalyse et révolution, Otto Gross, par Jean-Luc Vannier

Psychanalyse et révolution, Essais, Otto Gross, Traduit de l’allemand par Jeanne Etoré, Préface de Jacques Le Rider, Edition du Sandre, 2011

Les turbulents disciples de Sigmund Freud, souvent cantonnés par les exigences de l’hagiographie aux marges de la psychanalyse officielle, obtiendront-ils un jour droit de cité ? A la lumière des retours en grâce dont ont pu bénéficier, il y a plusieurs années, les brillants Sandor Ferenczi ou Victor Tausk (« Œuvres psychanalytiques », Coll. « Sciences de l’homme », Payot, 2000), il est permis de le penser. Ce pourrait être aussi le cas du psychanalyste Otto Gross auquel les Editions du Sandre consacrent un passionnant ouvrage : un recueil de ses principaux essais théoriques précédé d’une importante préface à la fois intelligente et sensible du Professeur Jacques Le Rider.

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Prévention de la récidive : la piste canadienne

ENQUETEFondée sur des statistiques, une méthode québécoise pour évaluer la dangerosité des criminels séduit le PS comme l’UMP. Un débat relancé par l’assassinat d’Agnès Marin, dont les obsèques ont lieu ce samedi.


Par SONYA FAURE

Après l’émotion suscitée par l’assassinat et le viol d’Agnès, 13 ans, par un lycéen de 17 ans la semaine dernière au Chambon-sur-Lignon, il a bien fallu afficher des solutions - si possible nouvelles - pour lutter contre la récidive. Du gouvernement à l’équipe de campagne de François Hollande, une méthode semble faire l’unanimité : l’évaluation de la dangerosité «à la canadienne». «Nous n’avons pas en France, contrairement au Canada, le dispositif qui permet d’éviter la récidive», regrettait dès lundi le socialiste Manuel Valls. Peut-être amicalement influencé par le criminologue Alain Bauer, un de ses intimes, qui est également conseiller de Nicolas Sarkozy. Au même moment, Jean-Paul Garraud, député de la Droite populaire (la droite de l’UMP), réclamait la création «d’une école nationale de psycho-criminologie», et le gouvernement annonçait la généralisation des diagnostics à visée criminologique (lire ci-dessous),inspirés de… l’expérience canadienne. Que se cache-t-il derrière cette poussée d’exotisme criminologique ?
École primaire. Ces programmes de lutte contre la récidive, développés au Québec avant d’être exportés en Belgique ou dans les pays de l’Est, s’appuient sur les échelles actuarielles, des QCM standardisés. L’outil «Statique 99», l’un des plus utilisés, note si la personne a des antécédents mais aussi si elle a vécu en couple plus de deux ans. Le questionnaire «Sorag» demande si le condamné a eu une «vie familiale intacte» jusqu’à ses 16 ans, s’il a eu des problèmes de conduite à l’école primaire ou des«intérêts sexuels déviants». Suivant le nombre de cases cochées, les criminologues établissent un «score» de récidive, en pourcentage. Dans plusieurs Etats d’Amérique du Nord, cette mathématique a pris une place décisive dans les procédures d’octroi de libération conditionnelle et attribue à chaque profil une thérapie, fondée sur une approche comportementale et cognitive.
Spécialiste des questions de sécurité au PS et porte-parole de Hollande, Delphine Batho est partie deux fois au Québec pour observation. «Je refuse le discours du renoncement : il faut tout mettre en œuvre contre la récidive, explique la députée des Deux-Sèvres. L’évaluation des délinquants ne doit pas relever de la seule psychiatrie.» Batho vante un projet mené à la prison de Fresnes (Val-de-Marne) : des groupes de parole intensifs pour agresseurs sexuels. «Nous tentons notamment de renforcer leur capacité à contrôler leurs pulsions, explique Florent Gathérias, psychologue clinicien. Si un pédophile a aussi de l’appétence sexuelle pour les femmes, nous essayons de développer celle-ci.» L’évaluation actuarielle y est utilisée pour «affiner les leviers sur lesquels travailler». Ainsi dans l’un des groupes de parole, la moyenne des scores des participants correspond à 27% de risque de récidive d’agression sexuelle dans les cinq ans - huit atteignent le risque de 39%.«Adaptés à notre pays, ces instruments pourraient être utilisés dans le cadre de la surveillance de sûreté» qui permet depuis 2008 de surveiller un détenu ayant purgé sa peine mais tenu comme dangereux, estime Florent Gathérias.
«retard français». «Ces outils systématiques paraissent rassurants : après un fait divers, on a besoin d’annoncer des pseudo-nouveautés, c’est compréhensible, décrypte Sophie Baron Laforet, psychiatre des hôpitaux et secrétaire générale de l’Association française de criminologie. Pourquoi pas introduire de l’actuariel dans nos méthodes ? Mais le problème n’est pas là… Ce qui manque en France, c’est la volonté et les fonds pour mener des recherches : depuis cinq ans, je tente de mettre sur pied l’étude d’une cohorte de jeunes mineurs délinquants…»
De son côté, la criminologue Martine Herzog-Evans, vive partisane des programmes canadiens, explique à ses étudiants du master pénal de la fac de Reims que le «retard français» est lié à la «domination de l’école freudienne» et à «l’importance du marxisme dans la psyché collective [qui] ont donné une lecture économique et sociale de la délinquance». Chez les partisans de ces méthodes anglo-saxonnes - jusqu’à présent plutôt entendus par la droite -, on se félicite de l’évolution des socialistes : «La gauche, avec des gens comme Dray, Batho, Vallini… a évolué. Elle a compris qu’il fallait ajouter l’efficacité à l’individualisation des suivis», dit un expert judiciaire.«Tant mieux si la gauche sort de sa culture de l’excuse», ajoute un autre, proche de la droite.
Mais l’introduction des programmes canadiens marquerait une rupture dont certains spécialistes s’inquiètent. «Avec ces tentatives de prédiction, on ne juge plus les faits d’un homme, mais sa personnalité, fait valoir Philippe Conte, professeur de droit et directeur de l’Institut criminologique de Paris.En substituant l’étude probabiliste à l’examen clinique d’une personne, ces discours rejoignent l’hostilité grandissante à l’encontre de la psychiatrie. Ils discréditent les sciences humaines, qui ne seraient pas de vraies sciences.»
Avec son apparence de mathématique bien huilée, la méthode canadienne est présentée comme pragmatique, fiable. «Ces tests permettent de faire ressortir de façon objective des traits de personnalité, hors des positionnements personnels ou idéologiques qui entrent en compte dans un entretien individuel», défend Jean-Pierre Bouchard, qui participait, la semaine dernière, à un atelier de la convention justice de l’UMP et enchaîne les télés depuis la mort d’Agnès.
Outil biaisé. Au Canada aussi, dans les années 70, l’actuariel devait permettre des décisions de libérations conditionnelles transparentes et équitables. Mais de récentes études, comme celles de Bernard Harcourt («Against prédiction», pas encore traduite) montrent que ces méthodes engendrent un cercle vicieux : une partie des questionnaires repose sur le dossier judiciaire du condamné (a-t-il déjà été arrêté par la police ? incarcéré ?). Or, les Noirs américains ont plus de risques de se faire contrôler, d’être arrêtés et mis en détention… Derrière l’objectivité apparente des chiffres, l’outil est biaisé, racialisé.
De plus, des chercheuses de l’université de Montréal ont montré que, parmi les détenus considérés comme porteurs de risques élevés de récidive - à qui on refusait donc leur conditionnelle -, beaucoup se réinséraient finalement parfaitement à la fin de leur peine. A mesure que l’actuariel montait en puissance au Canada, le nombre de libérations conditionnelles chutait. Un plus grand nombre de détenus reste donc plus longtemps enfermé. De quoi rendre réaliste la triste boutade de Philippe Conte : «Pour être sûr d’éviter toute récidive, il faudrait enfermer à vie les délinquants.» En Californie comme en Virginie, les méthodes actuarielles sont déjà remises en cause.