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Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

mercredi 21 septembre 2011


Pourquoi la psychanalyse n’est pas soluble dans la messe médiatique

Les célébrations du 30e anniversaire de la mort de Lacan auront été riches d'enseignement, Jacques-Alain Miller, son gendre et exécuteur testamentaire ayant heureusement calé son calendrier pour, depuis la scène médiatique, informer l'opinion (éclairée?) de sa foisonnante actualité: la sortie d'un séminaire de Lacan inédit (par lui) "Je parle aux murs", l'écriture d'une "Vie de Lacan" (une biographie qui n'en est pas une…) mais aussi un texte de "mobilisation" suite à l'arrestation de la psychanalyste Rafah Nached en Syrie "il s’agit de faire autant de bruit que possible pour intimider, s’il est possible, des tueurs revêtus de l’autorité de l’Etat syrien" (!) sans oublier une fracassante déclaration (!!) annonçant son changement de maison d'édition — en quittant l'éditeur Le Seuil pour rejoindre l'éditeur La Martinière, il a de fait descendu deux étages du même immeuble du même groupe, puisque La Martinière est propriétaire à 100% du Seuil… (!!!)
Bref, en déportant le combat de la psychanalyse dans les eaux tumultueuses des médias, Jacques-Alain Miller a fait un choix qui n'est pas sans (lui) poser la question épineuse de son positionnement:
• d'un côté il fait sortir la psychanalyse de sa place, de son combat, de sa trace, la faisant dévier de la trajectoire initiée par Freud et redéployée par Lacan dans ses ultimes conséquences, notamment sur le plan politique
• d'un autre côté il apparaît, lui, comme incroyablement naïf, peu aguerri aux pratiques des médias, enchaînant les erreurs de "communication" de débutant, errements qui sapent immanquablement sa crédibilité (et la cause qu'il prétend défendre). Au lieu d'incarner cet "écart entre énonciation et énoncé" qui fonde le psychanalyste dans sa parole, il pontifie jusqu'au ridicule, s'écoute parler, s'auto-commentant sur "tout-y-taire", raconte n'importe quoi à radio et la télé pour faire l'intéressant (le OOOOOOOOHde Lacan au restaurant) il en réfère à l'idiot Onfray (qui n'en demandait pas tant), va jusqu'à convoquer BHL au chevet de la psychanalyse (à entendre les propos de Deleuze sur le "nouveau filousophe", on devine sans mal l'avis qu'en aurait eu Lacan…) s'adresse solennellement aux "anti-lacaniens"(!) etc.
Depuis quelque temps donc — et particulièrement en cette période d'intense célébration — l'enseignement de Lacan semble bel et bien être passé au second plan, au profit de l'installation d'une sorte d'icône commerciale, une "trade mark" dûment déposée, un Lacan©JAM qu'il convient d'adorer (ou pas), le culte de la personnalité appelant le culte de la personnalité…
Pourquoi cette mise en avant, sous forme de "tête de gondole", est-elle en vérité le meilleur moyen de noyer dans les marécages de la manigance médiatique le noyau critique insupportable de la pensée de Lacan?
Lacan se méfiait des médias (tout comme Deleuze) il les utilisait avec circonspection (Télévision, Radiophonie…) sans laisser la possibilité au système dont ils font partie de l'instrumentaliser, sans céder à leur "logique"… Le média c'est le message (McLuhan) étant devenu "le média c'est le mensonge", quel pourrait en être aujourd'hui le procès?
Lacan désignait Socrate comme le premier des psychanalystes. Or Socrate est célèbre pour n'avoir rien écrit. Ce qui compte, dans le fait qu'il n'ait rien écrit, ce n'est pas qu'il n'ait pas eu d'énoncés à transmettre (ça Platon l'a fait pour lui) ce qui est déterminant c'est que sa POSITION est beaucoup plus importante que ses pro-positions (les contenus énoncés), le "là d'où il parle" prime sur les formules à transmettre…
Quelle est cette la place si ce n'est celle qui permet de "déchariter"? La position de celui qui sait se soustraire au lieu de se mettre en avant?  Celui qui s'abstrait de la "fausse activité" médiatique, du blabla, du tintamarre? Celui dont la position d'énonciation signifie le lieu même de l'inconsistance du grand Autre, l'objet petit a, le noyau extimede la psychanalyse — qui n'est rien d'autre que la condition même de possibilité de la psychanalyse?
Jacques-Alain Miller est loin d'avoir le talent d'un Žižek, qui a su réitérer le tour de force déjà accompli par Lacan, parler de psychanalyse à un large public, sans en dénaturer la théorie, par la position "impossible" qu'il a accepté de prendre: en prenant le risque d'incarner autant que possible ce moment cartésien du vide qu'est le sujet.



Manque de médecins scolaires : les parents d’élèves du 93 écrivent à l’ONU
FRANCE INFO - 19 SEPTEMBRE 2011

La FCPE, principale association de parents d’élèves, veut ainsi obtenir des humanitaires pour la Seine-Saint-Denis. Et attirer l’attention sur la situation sanitaire du département - qui manque cruellement de médecins scolaires...

Il y a trois mois, le maire de Sevran, Stéphane Gatignon, avait demandé l’envoi de casques bleus - pour rétablir la sécurité dans les cités de sa ville de Seine-Saint-Denis. L’affaire avait fait grand bruit.

Aujourd’hui, ce sont les parents d’élèves de la FCPE, toujours en Seine-Saint-Denis, qui en appellent à l’ONU. Pour réclamer une aide humanitaire.
L’objectif de la FCPE est d’attirer l’attention sur le manque de médecins scolaires dans le département.

40% des postes ne sont pas pourvus ; certains médecins ont plus de 15.000 élèves à suivre.

Vous prendrez bien quelques électrochocs?
En France, chaque année, près de 70.000 électrochocs sont pratiqués en hôpital psychiatrique. Retour sur une thérapie que l'on croyait révolue.
Lire la suite ici

Des chercheurs découvrent une exoplanète potentiellement habitable

LEMONDE.FR avec AFP | 13.09.1


Une équipe internationale d'astronomes a annoncé la découverte de plus de cinquante nouvelles exoplanètes en orbite autour de proches étoiles, dont une"super-Terre" située dans une zone "habitable", c'est-à-dire où l'eau peut êtresous forme liquide. C'est la plus grosse moisson d'exoplanètes annoncée en une seule fois, a relevé, mardi 13 septembre, dans un communiqué l'Observatoire austral européen (ESO).
Ces résultats ont été présentés lundi lors de la conférence sur les systèmes solaires extrêmes qui a lieu dans le Wyoming, aux Etats-Unis. Depuis 2003, le spectrographe Harps, performant "chasseur" d'exoplanètes de l'ESO, installé au Chili, ausculte le ciel austral en quête de planètes gravitant autour d'autres étoiles que le Soleil. Sa dernière moisson d'une cinquantaine d'exoplanètes inclut 16 "super-Terre", c'est-à-dire des planètes ayant une masse comprise entre une et dix fois celle de notre planète.
UNE EXOPLANÈTE JUGÉE POTENTIELLEMENT HABITABLE
L'une de ces super-Terre, tournant autour de l'étoile naine Gliese 581, pourrait s'avérer "habitable" avec un climat propice à la présence d'eau liquide et à la vie. Cette exoplanète, environ 3,6 fois plus massive que la Terre, est située à trente-six années-lumière (1 année-lumière = 9 460 milliards de km). Sept fois plus massive que la Terre et vraisemblablement rocheuse, Gliese 581d "pourraitdevenir la première planète potentiellement habitable jamais découverte", a annoncé lundi le Centre national de la recherche scientifique dans un communiqué. Gliese 581d pourrait bénéficier d'un effet de serre lui offrant un climat "chaud au point de permettre la formation d'océans, de nuages et de pluie", selon une modélisation illustrant "la grande variété des climats possibles pour les planètes de la galaxie", précise le CNRS.
"Au cours des dix à vingt prochaines années, nous devrions avoir la première liste de planètes potentiellement habitables" autour d'étoiles dans le voisinage du Soleil, assure Michel Mayor, codécouvreur de la première planète extrasolaire en 1995, estimant qu'établir une telle liste est indispensable avant de tenter dedétecter des signatures de la vie dans l'atmosphère d'exoplanètes. Depuis 1995, plus de six cent soixante-dix exoplanètes ont été détectées par différentes équipes d'astronomes.
Cinéma


"Le Sens de l'âge" : une vie après 80 ans

Critique

Une scène du film documentaire français de Ludovic Virot, "Le Sens de l'âge".
Une scène du film documentaire français de Ludovic Virot, "Le Sens de l'âge".COLOURED PLATES PRODUCTION
La conception qu'on se fait du grand âge est souvent associée à l'idée de maladie, de dépendance, de dégradation. Avec, au bout de ce chemin de souffrance, le grand rendez-vous égalisateur, qui nous attend tous au tournant.
De cette réalité, Ludovic Virot a voulu donner dans son documentaire une image moins funèbre, plus nuancée. Si la mort ne se nuance pas, du moins l'idée qu'on se fait de la vieillesse, et la manière dont on la vit, est-elle possiblement sujette à variation.
Six vaillants octogénaires, hommes et femmes, témoignent donc dans son film de leur vie, dans un discours dont la liberté est sans doute à la mesure du temps qu'a pris le réalisateur à l'encourager et à l'écouter. Ils nous parlent de l'amour, de l'amitié, du désir qui les maintient en vie et du temps qu'il reste pour lecombler, dans un monde où autour d'eux tout se dépeuple de ce qu'ils ont connu.
Ce qui frappe, dans leur propos, c'est la formidable lucidité qui le caractérise. Ces hommes et ces femmes, conscients d'être épargnés par les maux ordinaires qui frappent la vieillesse, ont atteint un âge où le règne des faux-semblants n'a plus cours, où la conscience du temps qui reste dicte l'humilité et la sagesse dans la conduite de leur pensée et de leur vie.
Sans illusions, mais sans amertume non plus, ces visages nous évoquent la manière dont l'homme compose avec le monde quand celui-ci commence à lesabandonner. Il y a beaucoup de délicatesse dans ce film qui prend le temps qu'il faut pour mettre en scène cette parole, et lui confère par là-même une grande dignité.
Jacques Mandelbaum
Film documentaire français de Ludovic Virot. (1 h 15.)


mardi 13 septembre 2011


Lacan incarnait le transfert violent»

INTERVIEWPatrick Guyomard raconte les séminaires du psychanalyste qui a bousculé les codes de la cure analytique, et ses séances avec «le maître», intraitable dans sa pratique.

Par VIRGINIE BLOCH-LAINÉ

Comment peut-on être lacanien aujourd’hui ? Trente ans après la mort de Jacques Lacan, son interprétation du désir, de la jouissance ou de la parole de l’analysant ne provoque plus de guerres de tranchées, même si l’homme continue de diviser la profession. Patrick Guyomard, psychanalyste à Paris, fait partie de cette génération d’analystes formée par Lacan dans le sillage de la publication des Ecrits et de Mai 68. Membre de la Société de psychanalyse freudienne, qui considère Lacan comme un des lecteurs de Freud, il revendique avec «le maître» une filiation mêlée d’affection et de distance. Il se souvient des séances, rue de Lille à Paris, et des célèbres séminaires à l’Ecole normale supérieure.
Comment se passaient les séances, au 5 rue de Lille ?
J’ai le souvenir d’un endroit assez confortable, assez frais. On était un petit groupe, on attendait presque un peu, puis Lacan arrivait et nous faisait signe de venir. Il y avait toujours un peu d’angoisse, de désir - qui va-t-il élire ? - et aussi une ambiguïté, liée à la situation : c’était un psychanalyste que j’allais voir, mais c’était aussi Lacan, difficile de distinguer les deux. Il s’asseyait, la séance commençait et durait un quart d’heure ou vingt minutes, mais quelle qu’en fut la durée, il était toujours d’une réelle disponibilité. Et puis on entendait «très cher, mais bien sûr», signe que la séance s’interrompait, et il nous raccompagnait. Il avait une façon d’être assez extraordinaire. Pas seulement là pour nous écouter, mais pour nous écouter là. Cela incitait à ne pas trop dépasser, dériver, parce qu’il y avait cette pression réelle, cette impatience de Lacan. L’impatience, théorisée, poussait à dire ce qu’on avait à dire et le poussait lui, à interrompre, arrêter, scander.
Pourquoi l’avoir choisi ?
Pourquoi Lacan ? On était en 1970, ses Ecrits avaient été publiés en 1966, et c’était un événement considérable. J’étais normalien et j’assistais aux séminaires rue d’Ulm : pittoresques, difficiles, pas très compréhensibles, stimulants. Quelle que soit la façon dont Lacan pouvait intimider, même effrayer, je voulais être analyste, quoi qu’il m’en coûte. Pas seulement économiquement, mais aussi au niveau du risque psychique que je courais. Il était inconcevable de rater ça. Passer à côté de Lacan eût été passer à côté de moi-même et de mon désir. Mais ce n’était pas quelqu’un d’accommodant. Il était intraitable. Il voulait rendre Freud intraitable, rendre la psychanalyse intraitable et lui-même intraitable ! Avec lui, on était toujours dans une très profonde dissymétrie ou dans un rapport au maître, il incarnait la violence du transfert. Il se présentait comme très accueillant, mais dans sa vie, dans son œuvre, dans ses ruptures, il était sans concessions. Il était très disponible aussi, mais à son heure. Il n’acceptait pas tout le monde en analyse ; il appelait certains ses élèves, d’autres pas - moi il m’a appelé son élève. C’est lui qui décidait, seul. Il se singularisait au meilleur sens du terme. Frustrés que nous étions parfois de son silence, tout était en place pour que nous nous imaginions que c’était à nous qu’il parlait dans ses séminaires. Moi-même, je n’y ai pas échappé. J’ai retrouvé tel ou tel mot que j’avais prononcé en séance. Ce n’est pas tellement «il me parle» mais «je lui ai parlé». Donc ses séminaires, c’était à la fois sa pensée et l’actualité, l’actuel de la psychanalyse se différenciant de tous les modes de pensée. Lacan était un homme de la rupture.
Que suscitait-il chez ses patients ?
Une admiration et une attente. L’idée aussi de pouvoir aller loin avec lui, d’être dans une relance permanente. Il donnait l’impression d’une capacité d’étonnement, d’une attente de ce qu’on pouvait faire avec lui. Il n’arrêtait pas la séance tant qu’il n’avait pas, lui, l’impression que ce qui pouvait être dit à ce moment-là n’avait pas été dit. C’était une qualité extraordinaire. Par ailleurs, tout en lui, dans sa parole, dans ses actes, dans son allure, était singulier, tout allait dans le sens de quelque chose d’unique. Du coup, votre parole devenait un peu unique, un peu rare. Et surtout, il avait une liberté qui incitait à ce qu’on la prenne. Enfin, ça, c’est ma propre perception, mais pour d’autres, cette liberté incitait plus à la soumission qu’à l’indépendance. C’est pour cela que je disais qu’il incitait au risque. Mais on ne peut pas aller voir une personnalité comme Lacan et vouloir que ça se passe de façon ronde.
En 1968, il essayait d’influencer politiquement ses auditeurs…
Ce n’était pas une période tranquille, il y avait une intranquillité générale, revendiquée, vécue aussi dans la salle d’attente, sur le divan, aux séminaires, dans le transfert… Mais «influencer politiquement», ce n’est pas ce terme que j’utiliserais, même s’il était partie prenante des questions qui nous traversaient mais que nous ne savions pas encore formuler. Très vite, dès 1970, on trouve dans les séminaires une analyse très critique de ce qui s’était passé en 1968. Quelque chose de l’ordre d’à quoi bon. Certains militants disent que Lacan est le seul qui les a retenus de passer politiquement à des actions plus directes, à cette époque, les avertissant des impasses d’une telle voie.
Qu’attendait Lacan de ces cures ?
Ce n’est pas un homme de l’adaptation. Il y a déjà cette idée chez Freud : une analyse ne doit pas guérir, ni normaliser ; la psychanalyse apporte une intranquillité psychique. Une vie, c’est une vie de conflits, de pulsions qui ne sont pas intégrables. Mais Lacan radicalise cette idée à l’excès - je dis à l’excès parce que je pense qu’il allait un peu trop loin. Pour lui la psychanalyse est «anti-adaptatrice» et l’être humain est destiné à être irréconciliable, même après une analyse. Il faut être capable d’aller plus mal, de souhaiter que l’être humain soit à jamais irréconcilié avec les souffrances du désir, le renoncement à la jouissance, le fait d’avoir à faire avec lui-même et avec les autres. On ne s’y fait jamais et on ne s’y fera jamais. C’est ça Lacan. Il a porté plus fort que tout le drapeau du désir, et c’est un drapeau de l’impossible. Cela résonne avec ce qui pouvait s’écrire sur les murs en 1968 : nous désirons l’impossible. C’est la discorde absolue entre la vie psychique, nos aspirations, et ce que nous appelons réalité. On ne s’y fait pas, c’est une révolte essentielle.
Lacan a porté le refus du renoncement : il faut trouver une force et une identité dans la révolte. Il ne s’est jamais arrêté, a continué jusqu’au dernier moment à recevoir des patients alors qu’il était lui-même malade. Il s’est inscrit jusqu’à la fin de sa vie dans un défi au temps, posant la psychanalyse sur le mode du défi, un défi à tout. J’ai appris sa mort par un ami qui m’a téléphoné avec cette parole sidérante : «Les ennemis de Lacan font courir le bruit qu’il est mort.»
Comment expliquer cette façon d’annoncer sa mort ?
C’est une parole de déni, qui s’adresse dans un transfert idéalisant à un Lacan posé comme immortel. On ne voit même plus que c’est un homme âgé. Puisque Lacan était là, c’est qu’il pouvait continuer. Les frontières de sa vie privée étaient bousculées. Il séparait les choses mais en même temps, il faisait des séances dans les taxis ou disait «téléphonez-moi à la campagne».
Que saviez-vous de sa vie privée ?
A partir des années 70, l’homme Lacan ne se cachait pas. C’était vif, imposant, séduisant - même un peu trop - mais que chacun se débrouille avec ça. C’était son aspect kaléidoscopique, étant à la fois dans beaucoup d’endroits. Comme avec tous les gens un peu géniaux, si on s’en approche trop, on se brûle. Il ne nous protégeait pas de ce qu’il était lui-même. Certains ont fait quelque chose de leur transfert, d’autres non. Cela continue avec les séminaires, qui font je ne sais combien de milliers de pages. On peut passer trente ans, les lire puis recommencer, ça n’en finit pas. Certains s’y sont plongés et n’en sont pas ressortis.
Qu’est-ce qu’être lacanien aujourd’hui ?
On a essayé de donner un contenu repérable à ce terme : plusieurs personnes dans la salle d’attente, des séances à durée variable, l’insistance sur le signifiant plus que sur le signifié, des scansions permanentes, le contre-transfert qui n’existe pas… Certains pensent que ce n’est plus la peine de lire Freud, puisque Lacan a pris sa place. Comme si on pouvait faire l’économie des théories anciennes. C’est un usage positiviste de Lacan : tout commence avec lui. Ce n’est pas du tout ma position. Lacan s’est toujours référé à Freud, je ne vois pas ce que signifie une psychanalyse lacanienne sans Freud, en tout cas pas pour le moment. Pour moi, c’est la revendication d’un héritage et d’une filiation, ça veut dire qu’on a été analysé par Lacan ou qu’on prend acte des ruptures qu’il a posées. Il a incarné une position plus active dans l’analyse, pour qu’elle ne se ritualise pas.
La séance traditionnelle avec les quarante-cinq minutes et le ronron de l’analyste peuvent devenir répétitifs et vider la psychanalyse de tous ses désirs. Lacan disait que la psychanalyse ne peut se transmettre qu’en se réinventant. Ça veut dire que les psychanalystes ne doivent pas se prendre pour Lacan. Enfin, il y a chez lui une forme d’honnêteté, au sens où il ne cachait pas sa pratique et n’a jamais demandé à ce qu’on fasse comme lui. Il a joué cartes sur table et c’est la condition d’une transmission.
Des extraits de cet entretien ont été diffusés dans l’émission «Une vie, une œuvre», le 3 septembre sur France Culture.

Arrestation de la psychanalyste syrienne Rafah NACHED


11 septembre 2011


Le samedi 10 septembre à 1 heure du matin (heure de Damas), la psychanalyste syrienne Rafah NACHED, fondatrice de l’Ecole de Psychanalyse de Damas, a été arrêtée par les services de sécurité syriens à l’aéroport de Damas, alors qu’elle s’apprêtait à embarquer sur un vol d’Air France en direction de Paris afin d’y assister à l’accouchement de sa fille.


Rafah NACHED a juste eu le temps de passer un bref coup de fil pour prévenir ses proches dans les secondes qui ont précédé son arrestation. Depuis plus de 36 heures, sa famille est sans nouvelle. Les services de l’aéroport comme les services de police refusent de communiquer la moindre information. Nul ne sait où elle se trouve, ni si elle est en mesure de prendre les médicaments requis par son insuffisance cardiaque.

Le choc est d’autant plus violent pour ses proches que nul ne comprend les raisons de cette interpellation. Rafah NACHED, âgée de 66 ans, est diplômée en Psychologie Clinique de l’Université Paris 7. Elle est la première femme psychanalyste à exercer en Syrie et a récemment fondé l’Ecole de Psychanalyse de Damas, en collaboration avec des psychanalystes français. Son engagement professionnel a toujours été de nature scientifique et humanitaire, à l’exclusion de toute implication politique. Ainsi, fin août dernier, les presses arabe et française s’étaient fait l’écho des initiatives prises par Rafah Nached et la communauté jésuite de Damas pour organiser des réunions entre citoyens syriens de toutes obédiences. Il s'agissait de leur offrir un espace apolitique, ouvert et multiconfessionnel, au sein duquel verbaliser leurs angoisses et leurs peurs dans le climat de violence qui ravage actuellement le pays.



Est-ce ce dernier espace d’accompagnement psychologique de la souffrance humaine qu’on a voulu museler ce samedi par une arrestation arbitraire ? Alors même que ces trop rares initiatives sont probablement vitales pour maintenir le fil ténu du dialogue inter-communautaire et éviter que la Syrie ne bascule demain dans la guerre civile ?



A Paris et à Damas, comme dans les nombreuses capitales arabes où Rafah NACHED avait noué, au cours des 30 dernières années, de nombreuses amitiés personnelles et professionnelles au sein des communautés universitaires, et notamment dans les facultés de psychologie et de psychanalyse, l’inquiétude - couplée à un formidable sentiment d’injustice - grandit d’heure en heure en l’absence de toute information.
[Certains articles de Rafa NACHED sont accessibles ici]



Des vies à recoudre

"Ce n'est pas en six mois qu'on réinsère les gens !", s'emporte Valérie Boulogne. Quelques minutes plus tôt, la coordinatrice de l'association ProxiPol a eu Pôle Emploi au téléphone. L'organisme ne voulait pas prolonger le contrat aidé d'une couturière salariée dans la structure saint-poloise. "Ils estimaient qu'elle était apte à un retour à l'emploi. Mais ce n'est pas maintenant qu'il faut la laisser tomber !" Le temps passé au sein de l'association devrait en effet aider l'ex-chômeuse à valider son oral d'entrée pour le concours d'aide-soignante.
L'atelier de couture de l'association Proxi Pol © Elodie Ratsimbazafy
L'atelier de couture de l'association Proxi Pol. Zahra (à g.), Nathalie (au c.), Houcine (à dr.) © Elodie Ratsimbazafy
Dans les locaux de l'association, serrés dans un petit immeuble de la rue Gittinger,  on trie des vêtements usagés, on les recoud, on confectionne aussi des pièces originales, comme dans un atelier "ordinaire". Mais surtout on réinsère. "Il y a des gens qui tremblent lorsqu'ils arrivent ici tellement ils ont perdu confiance. Quand ils sortent après deux ans ici, ils croient de nouveau en eux", explique Stéphanie Anglais, encadrante technique.
A Proxi Pol, la paire de chaussures se cède à 50 centimes © Elodie Ratsimbazafy
A Proxi Pol, la paire de chaussures se vend à 50 centimes © Elodie Ratsimbazafy
Le gros de l'activité repose sur la récupération de vêtements donnés par des particuliers. "En ce moment, c'est le changement de saison, on peut recevoir jusqu'à dix sacs par jour", dit Valérie Boulogne, coordinatrice de l'association.. Les pièces du rez-de-chaussée sont pleines à craquer de pantalons, vestes et chemises. Une fois lavés et remis en état, ces vêtements sont donnés à des personnes en situation d'urgence ou vendus aux membres de l'association (341 membres qui ont cotisé 6 euros l'année), au prix de 1 € le jean, 50 centimes la paire de chaussures ou 3 euros le manteau d'hiver.  Certains clients viennent d'ailleurs toutes les semaines regarder les nouveaux arrivages. "Il arrive que des gens se croient à la brocante et essayent de négocier. Je dis non", soupire Valérie Boulogne.
Houcine, couturier, a passé une vingtaine d'heures à la réalisation de cette robe en cravates © Elodie Ratsimbazafy
Houcine, couturier, a passé une vingtaine d'heures à la réalisation de cette robe en cravates © Elodie Ratsimbazafy
Au premier étage, à l'atelier de retouches, Houcine, Nathalie et Zahra s'affairent derrière leurs machines à coudre. Ils réparent des fermetures éclairs, recousent des boutons... "Et quand on a des moments de creux, on fait des créations". Une cliente dunkerquoise s'est  récemment adressée à eux pour assembler une robe à partir de... cravates. Houcine a passé une vingtaine d'heures à la réaliser. L'atelier de la rue Gittinger a également à son actif une tente saharienne de 12 mètres de long, des banderoles pour un syndicat, ou 50 costumes de carnaval pour une association.
Dans l'atelier de couture de Proxi Pol. A gauche, le sac a été réalisé à partir de vêtements, trop usagés pour être portés © Elodie Ratsimbazafy
Dans l'atelier de couture de Proxi Pol. A gauche, le sac a été réalisé à partir de vêtements, trop usagés pour être portés © Elodie Ratsimbazafy
Ils sont quinze, entre 22 et 57 ans, à travailler à l'association sous le régime des contrats aidés pour une période maximum de deux ans. "Je ne leur dis pas forcément la durée de leur agrément, explique la coordinatrice. Pour ne pas qu'ils renoncent à chercher un emploi pendant leur passage chez nous." Ils touchent un peu plus de 800 € pour 26 heures de travail par semaine. "Il faut leur apprendre ou réapprendre le respect des horaires mais aussi les accompagner dans leurs démarches de CAF, de CMU ou de logement, pointe Stéphanie Anglais. Une fois que tous ces problèmes sont résolus, c'est plus simple de retrouver un emploi".
Stéphanie Anglais, encadrante technique (à g.) et Valérie Boulogne, coordinatrice (à dr.) © Elodie Ratsimbazafy
Stéphanie Anglais, encadrante technique (à g.) et Valérie Boulogne, coordinatrice (à dr.) © Elodie Ratsimbazafy
A quelques rues de là, dans la petite pièce surchauffée d'un bâtiment municipal, Édith et Angélique font tourner la laverie. Avec du matériel semi-professionnel, elles assurent le lavage des vêtements des membres de l'association qui n'ont pas d'équipement chez eux. A 6€ la machine à laver de 10 kgs, 4 € le séchage, on retrouve des tarifs proches de ceux d'une laverie automatique. "Nous sommes sur les prix du marché pour qu'on ne considère pas qu'on fait de la concurrence déloyale", dit Valérie Boulogne.ProxiPol assure également un service de portage du linge chez 37 personnes âgées et/ou dépendantes de Saint-Pol.
Angélique, une des trois salariées de la laverie. Les personnes qui font laver leur linge ici peuvent bénéficier du portage, ou apporter leur linge eux-mêmes © Elodie Ratsimbazafy
Angélique, une des trois salariées de la laverie. © Elodie Ratsimbazafy
L'association, présente également dans d'autres activités sociales (alphabétisation, travail sur l'équilibre alimentaire, aide aux courses, etc.) affiche un taux de placement de 50%, "là où la moyenne nationale est de 20%", rappelle Valérie Boulogne.  Parmi les dernières partantes qui ont retrouvé un emploi, l'une s'occupe de nettoyage au Port autonome de Dunkerque, l'autre a pris en charge la retouche de toile bleue dans une entreprise, une autre encore travaille comme aide à domicile. "Parce qu'aujourd'hui, le métier de couturière, il n'y a plus grand chose."