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Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

dimanche 17 octobre 2010






DRH - Pôle emploi du futur (La Borne)


Vous avez l’impression de parler à un robot quand vous vous rendez au Pôle emploi ? Rassurez-vous car vous n’avez encore rien vu. Ça sera encore bien pire dans le futur, suggère la vidéo diffusée par le site “La borne”.

Dans ce futur, qui ne semble pas si lointain, les conseillers de l’assurance-chômage sont remplacés par des borne informatiques qui proposent de nouveaux emplois aux chômeurs. Sitôt atteint votre “seuil de non-rentabilité” vous serez convoqué par “la borne”… et gare aux réactions inappropriées : les fameuses bornes sont du genre susceptibles.

Note :
Le site de La Borne semble avoir quelques petits soucis à la première connexion (trop de chômeurs connectés sûrement) : il faut réactualiser la page si elle vous transmet un message d’erreur.




BIB : notre bonheur intérieur brut

Psychologies crée le BIB, le premier indice de Bonheur intérieur brut des Français !

Heu-reux ! Malgré la crise, malgré la peur quant à l’avenir de nos enfants, malgré les menaces sur la planète, la grande majorité d’entre nous se dit satisfaite de sa vie ! En créant le premier indice du Bonheur intérieur brut (BIB) avec l’aide de trois experts, Christophe André, psychiatre et psychothérapeute comportementaliste, Serge Hefez psychiatre, psychanalyste, thérapeute familial et conjugal, et Jean-Pierre Rolland, psychiatre psychométricien, Psychologies peut désormais prendre le pouls du vrai « moral des Français ».

Nous le savons, la sensation de bonheur est éphémère, elle va et vient au gré des aléas de notre histoire. Mais en analysant dans le détail les ingrédients de notre BIB, nous avons réussi à identifier ce qui contribue le plus à nous rendre heureux ou malheureux. Nous proposons aussi à chacun de nos lecteurs de calculer son propre indice de BIB (voir le test).

Une enquête sans précédent ! Nous avons pour la première fois utilisé dans un sondage national deux outils de diagnostic clinique réservés jusqu’à présent aux spécialistes : l’échelle de Diener, qui mesure le niveau de satisfaction de vie, et la « balance hédonique », qui évalue l’équilibre émotionnel. Nous les avons croisés et complétés avec un questionnaire qualitatif de quatre-vingts questions portant sur tous les aspects de la vie quotidienne, disponible dans ce dossier.

Laurence Folléa

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RAPPORT

La santé mentale est l'affaire de tous
Par Anne Jeanblanc

Le Centre d'analyse stratégique vient de faire la promotion de la santé mentale, dans un rapport rendu public intitulé "La santé mentale, l'affaire de tous". Il a été élaboré par le département des questions sociales de ce centre, avec un groupe d'experts présidé par la psychiatre épidémiologiste Viviane Kovess-Masféty, directrice du département d'épidémiologie de l'École des hautes études en santé publique (EHESP). Ce document dresse un état des lieux de la santé mentale et des "déterminants du bien-être" en France, en s'appuyant entre autres sur les résultats d'un sondage réalisé en octobre auprès de 1.000 personnes. Certes, il n'apporte aucune proposition réellement nouvelle, mais il rappelle les grandes orientations à privilégier, notamment le fait d'intégrer dans les politiques publiques la prise en compte du facteur "santé mentale".

La secrétaire d'État à la prospective, Nathalie Kosciusko-Morizet, a souligné lors d'une conférence de presse qu'il ne s'agissait pas d'une "première étape", mais d'une "première" pour le Centre où l'"on ne parle pas traditionnellement" de santé mentale. "Cette dernière n'est pas historiquement considérée comme légitime, tout reste à réaliser", a-t-elle reconnu. Pourtant, la création d'une "mission interministérielle sur la santé mentale" faisait son chemin, selon Viviane Kovess-Masféty.

Le rapport fait le point sur le rajeunissement de l'âge de la dépression, le triplement de la dépressivité en 20 ans et la progression de la "détresse psychologique". Il s'intéresse aussi à la "problématique émergente de la souffrance psychosociale au travail" et aux déterminants du suicide. Il revient sur les difficultés engendrées par le cumul de handicaps dans certaines franges de population et conclut à la nécessité de "prévenir les trajectoires de grande vulnérabilité". Les auteurs insistent sur "le rôle clé des acteurs non sanitaires" dans la diffusion d'une santé mentale positive, dans la prise en charge à l'école, dans l'enseignement supérieur, dans le milieu du travail et le grand âge. Il met notamment en avant la nécessité de "développer les compétences cognitives, émotionnelles et sociales lors de la scolarité", une composante très présente dans les pays anglo-saxons mais quasiment inconnue dans le système français, a indiqué Viviane Kovess-Masféty.


“On peut en guérir sans médicaments ni psychanalyse” Le docteur David Servan-SchreiBer s’attaque au stress et à la dépression
Par : Hafida Ameyar

Les Algériens veulent de plus en plus en finir avec le stress, l’anxiété, la dépression et bien d’autres traumatismes résultant de violences diverses : sévices familiaux, violences terroristes, viols, perte d’un parent, catastrophes naturelles, etc. Mais, combien sont-ils à savoir qu’il est très possible de dépasser la souffrance et de retrouver la sérénité, sans prise de médicaments et sans visite au psychanalyste ? Aujourd’hui, une nouvelle thérapie s’offre à eux, une médecine qui s’appuie sur l’émotionnel et qui interpelle en premier lieu les trésors du corps et de l’esprit.

Liberté : Docteur, vous préconisez la guérison du stress, de l’anxiété et de la dépression sans médicaments ni psychanalyse. Est-ce vraiment possible ?
Dr Servan-Schreiber : Je ne me permettrai pas de parler de guérison s’il n’y avait pas des études scientifiques derrière. Oui, c’est effectivement possible de guérir sans médicaments ni psychanalyse, à partir du moment où l’on utilise les compétences naturelles du corps et du cerveau émotionnel.

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Quand les psys se manifestent…

Aujourd'hui dans L'Essai du jour : « Le Manifeste pour la psychanalyse», par Sophie Aouillé, Pierre Bruno, Franck Chaumon, Guy Lerès, Michel Plon et Erik Porge, aux Éditions La Fabrique.

« Mieux vivre sa vie ». « Décider d’être heureux ». « Cinq raisons de croire en l’avenir ». « Comment penser positif sans être naïf ». Mais oui, mais oui… vous trouverez ces titres à la une du magazine Psychologies de ce mois-ci. Vous êtes bien sur France Culture. Et il n’y a pas de raisons de se moquer de ces injonctions au bien-être, car elles sont agrémentées de savantes restrictions dans un dossier qui tout en étant consacré au bonheur s’inquiète de cette obsession de la félicité. Enfin, je veux parler du dialogue entre le philosophe Roger-Pol Droit et l’essayiste Pascal Bruckner. Il apporte un sérieux bémol à ce que nous proposent les gourous du bonheur. Cela dit, même tourné de la sorte, je ne suis pas sûr du résultat. L’augmentation du rayon bien-être dans les librairies n’est pas ce qu’on appelle une bonne nouvelle. Les adeptes du potentiel de guérison, du développement personnel, de l’idéologie du bien-être, semblent rivaliser avec« les victimes » de la souffrance psychique, sans que les uns et les autres puissent vraiment s’accorder sur ce qu’il faut entendre par l’expression de « santé mentale positive ». On l’a trouve dans un récent rapport remis à Madame Kosciusko-Morizet, la secrétaire d’État chargée de la prospective et du développement numérique en 2009. Je ne vois pas bien le lien, mais en fait il y en a un. Car ce rapport s’inspire en réalité du rapport Stiglitz qui conjoint la mesure du PIB et celle du bien-être. La mélodie de la croissance vaut bien celle du bonheur. Où allons-nous ? Je vous propose pour le savoir une cure de désintoxication à la psychologie avec un petit livre dense et salvateur : « Manifeste pour la psychanalyse ».

Encore un Manifeste ! C’est ainsi, le fond de l’air est Onfray. Mais ce Manifeste rédigé par cinq psychanalystes, dont une femme, n’est pas de la polémique mal placée. Il est un véritable état des lieux sur la place occupée par la « santé mentale » en France. Le vent de panique qui a soufflé au dessus des têtes des psychanalystes s’inquiétant de la réglementation de la psychothérapie en août 2004 continue de souffler. Car elle aboutit en fait à un alignement de la psychanalyse sur la psychothérapie. L’emprise de l’État provoque d’ailleurs dans de nombreux pays européens une surveillance de la cure, dont des procédures mesurent les effets bénéfiques, comme on le ferait durant une convalescence, en prenant sa température. Plutôt que de légiférer en encadrant les actes psychothérapiques, il aurait mieux valu procéder à un état des lieux des modes d’expression de la souffrance psychique en France. On dénombre aujourd’hui au moins 400 formes de psychothérapies allant de la bio-énergie au cri primal. Mais on aurait surtout dû s’interroger sur cette déferlante psychologique qui normalise nos vies. Or c’est tout l’intérêt de ce livre que de ne pas refermer ce dossier : « La menace pour la psychanalyse, écrivent les auteurs, n’est plus désormais de se faire exclure par la médecine, mais bien de se laisser inclure dans l’empire de la psychologie » dont l’offre s’étend désormais sans limites au domaine de la santé mentale positive, incluant justement l’aptitude au bonheur.

La psychanalyse dira-t-on n’a pas le monopole de la cure ? Certainement. Mais le marché non plus. Les auteurs expliquent les divisions entre les écoles de psychanalyse, voire entre les offres de thérapie, mais ils s’interrogent sur cette offre avec perspicacité. « Du déprimé à l’hyperactif, remarquent-ils, du traumatisé au harcelé, au grand marché de la multiplicité des savoirs, chacun est convié à choisir la forme sujet qui lui ira le mieux ». Le marché des propositions « psy »participe à la construction de personnages flottants. Bien loin de rendre possible la parole, il la contrôle. Bien loin de rendre l’amour libre, il le soumet à un idéal de fusion. Au nom de la protection des usagers, cet idéal de bien-être finit par se fondre dans les besoins du marché. C’est tout le problème de ce droit au bien être. Il permet peut-être de s’adapter, certainement pas de se désengager de cet empire de la psychologie.





Norme psychiatrique en vue - Entretien avec Roland Gori

Roland Gori s'entretient avec Cécile Prieur pour Le Monde (4 mai 2008)

Dépistage des troubles du comportement, plus de coaching, moins de soins : Roland Gori, psychanalyste et professeur de psychopathologie, décrypte l'évolution probable de la santé mentale

On parle de plus en plus de " santé mentale ", de moins en moins de " psychiatrie ". Où nous mènera, demain, cette tendance ?
Nous sommes entrés dans l'ère d'une psychiatrie postmoderne, qui veut allouer, sous le terme de " santé mentale ", une dimension médicale et scientifique à la psychiatrie. Jusqu'à présent, cette discipline s'intéressait à la souffrance psychique des individus, avec le souci d'une description fine de leurs symptômes, au cas par cas. Depuis l'avènement du concept de santé mentale, émerge une conception épidémiologique de la psychiatrie, centrée sur le dépistage le plus étendu possible des anomalies de comportement. Dès lors, il n'est plus besoin de s'interroger sur les conditions tragiques de l'existence, sur l'angoisse, la culpabilité, la honte ou la faute ; il suffit de prendre les choses au ras du comportement des individus et de tenter de les réadapter si besoin.

Quel a été l'opérateur de ce changement ?

Le DSM (Diagnostic and Statistical Manual), sorte de catalogue et de recensement des troubles du comportement créé par la psychiatrie américaine. En multipliant les catégories psychiatriques (entre le DSM I et le DSM IV, soit entre les années 1950 et les années 1990, on est passé de 100 à 400 troubles du comportement), il a multiplié d'autant les possibilités de porter ces diagnostics. Aujourd'hui, on est tombé dans l'empire des " dys " : dysthymique, dysphorique, dysérectile, dysorthographique, dyslexique... Chaque individu est potentiellement porteur d'un trouble ou d'une dysfonction. Ce qui étend à l'infini le champ de la médicalisation de l'existence et la possibilité de surveillance sanitaire des comportements.

Comment cette conception de la psychiatrie a-t-elle pu s'imposer ?
Par sa prétention à la scientificité. La santé mentale ne s'est pas imposée à des sujets victimes, passifs, mais à des individus consentants. Depuis l'effacement des grandes idéologies, l'individu se concocte son propre guide normatif des conduites, qu'il va souvent chercher dans les sciences du vivant. Résultat, ce sont les " prophètes de laboratoires " qui nous disent comment se comporter pour bien se porter.

Quel sera le soin de demain, compte tenu de cette évolution ?
Je ne suis pas certain que les dispositifs de santé mentale aient le souci de soigner, et encore moins de guérir. Ils sont plutôt du côté d'un dépistage précoce et féroce des comportements anormaux, que l'on suit à la trace tout au long de la vie. Or, en s'éloignant du soin, la santé mentale utilise des indicateurs extrêmement hybrides. Ainsi de l'expertise collective de l'Inserm (2005) qui préconisait le dépistage systématique du " trouble des conduites " chez le très jeune enfant pour prévenir la délinquance : elle mélangeait des éléments médicaux, des signes de souffrance psychique, des indicateurs sociaux et économiques, voire politiques. On aboutit ni plus ni moins, sous couvert de science, à une véritable stigmatisation des populations les plus défavorisées. Ce qui en retour naturalise les inégalités sociales.

Le repérage fin des troubles ne permet-il pas au contraire de mieux soigner ?
Je crois qu'il permet en réalité d'étendre le filet de la surveillance des comportements, en liaison permanente avec l'industrie pharmacologique. La production de nouveaux diagnostics est devenue la grande affaire de la santé mentale. Voyez le concept de " troubles de l'adaptation " : il est suffisamment flou pour qu'on puisse l'attribuer à chaque personne en position de vulnérabilité. Quelqu'un qui est stressé au travail ou qui est angoissé par une maladie grave peut ainsi développer une " réponse émotionnelle perturbée ", qui sera considérée comme trouble de l'adaptation. La réponse sera de lui administrer un traitement médicamenteux, accompagné d'une thérapie cognitivo-comportementale pour l'aider à retrouver une attitude adaptée. Ainsi, la " nouvelle " psychiatrie se moque éperdument de ce qu'est le sujet et de ce qu'il éprouve. Seul importe de savoir s'il est suffisamment capable de s'autogouverner, et d'intérioriser les normes sécuritaires qu'on exige de lui.

Quel sera, dans ce contexte, le rôle du psychiatre ou du psychologue ?
On peut craindre que l'on demande aux psys d'être davantage des coachs que des soignants. Depuis quelques années, on assiste à une multiplication hyperbolique de la figure du coach, devenu une sorte de super-entraîneur de l'intime, de manager de l'âme. Les dispositifs de rééducation et de sédation des conduites fabriquent un individu qui se conforme au modèle dominant de civilisation néolibérale : un homme neuro-économique, liquide, flexible, performant et futile.

Y aura-t-il encore une place pour la psychanalyse ?
Celle-ci est totalement à rebours de ces idéologies, en ce qu'elle fait l'éloge du tragique, de la perte, du conflit intérieur, d'un certain rapport à la mort et au désir. Elle peut donc disparaître en tant que pratique sociale. Mais je pense que ce qu'elle représente - une certaine philosophie du souci de soi, qui tend à construire un sujet éthique responsable - ne disparaîtra pas.

A cet égard, il est frappant de voir que la psychanalyse, désavouée par la santé mentale, est actuellement requise dans les services de médecine non psychiatrique. Tout se passe comme si les médecins, à l'inverse des nouveaux psychiatres, reconnaissaient qu'il y a une part hétérogène au médical, qui est que toute maladie est un drame dans l'existence, et qu'il faut aider le patient à traverser cette épreuve. De même, bien que la psychanalyse ne soit pas à la mode dans notre culture, la demande ne fait que croître dans les cabinets.

Les Livres de Psychanalyse

Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse
Gérard Pommier

Les recherches sur le cerveau ont tant progressé ces dernières années que la conception de l'homme en est bouleversée : le corps ne serait plus qu'une " machine " dont il suffirait de réparer les rouages en cas d'avarie ; les sentiments comme l'amour, le désir, des créations comme la poésie, ne seraient plus qu'une question d'hormones et de connexions nerveuses ; quant à l'activité psychique, les rêves, l'inconscient, les symptômes, de bons médicaments les disciplineraient. Éternel débat du corps et de l'esprit que les neuroscientifiques invitent les psychanalystes à remettre sur le métier. A tel point qu'une question se pose avec de plus en plus d'insistance : peut-il y avoir deux approches différentes, voire contradictoires, d'un même phénomène ? Ce livre fait justice de cette opposition infondée, qui doit surtout sa force à une méconnaissance des processus cérébraux et de la vie psychique. Il ne viendrait pas à l'idée d'un psychanalyste de nier l'importance des processus organiques : comment la puissance psychique se dispenserait-elle des potentialités du corps ? Dès ses débuts, la psychanalyse a subverti cette opposition grâce à l'une de ses découvertes majeures : celle de la pulsion, qui anime le psychique en même temps qu'elle intègre le somatique, et dialectise au point de l'invalider toute opposition entre le mental et le cérébral : Mais il y a plus sensationnel encore, car nombre de découvertes de la neurophysiologie apportent de l'eau au moulin de Freud. Sans l'avoir cherché, les neurosciences montrent comment le langage modélise le corps beaucoup plus profondément que le symptôme hystérique ne le laissait prévoir. Cette mise en tension du corps par le langage est si importante que nombre de résultats de la neurophysiologie ne peuvent être interprétés sans la psychanalyse. Plusieurs questions aussi essentielles que celle de la conscience, par exemple, demeurent insolubles sans le concept d'inconscient. En mesurant l'apport des neurosciences à la psychanalyse, on commence à avoir une idée plus précise de ce qu'est un " sujet ", mais aussi de ce corps dont nous sommes si conflictuellement les curieux locataires.


PSYCHANALYSE ET RELATION PASTORALE

Laurent Lemoine

 L'apport de la révolution psychanalytique à la théologie morale

L'auteur expose une étude sur les apports de la psychanalyse aux gens de l'Eglise, à travers l'expérience du Père Albert Plé


Pour la morale catholique traditionnelle, la découverte de l'inconscient a été un véritable ouragan. De fait, l'Église catholique s'est longtemps méfiée de la psychanalyse, sans pour autant la condamner en tant que telle. Pourtant à partir des années 1950, un dialogue commence à se nouer entre les découvertes de cette nouvelle discipline et la théologie chrétienne. Le P. Albert Plé (1909-1988), dominicain, auteur d'un livre fameux, Par devoir ou par plaisir, en fut un des pionniers.

Laurent Lemoine, directeur de la Revue d'éthique et de théologie morale – revue qui a pris la relève du Supplément de la vie spirituelle fondé par le P. Plé –, s'intéresse à la contribution de celui qui a risqué une ouverture sur «l'inédit freudien» à partir d'un ancrage anthropologique résolument thomiste.

«Il est le seul à avoir travaillé dans un souci clairement théologique, en tout cas du point de vue de la confrontation des découvertes psychanalytiques à la tradition chrétienne et à ce qu'elle a pu élaborer en termes de structuration de la vie morale du sujet, spécialement chez Thomas d'Aquin.»

Avec tout ce que cela implique sur le plan pastoral, notamment en matière d'accompagnement spirituel et de discernement vocationnel. Le P. Plé fut d'ailleurs un des fondateurs de l'Association médico-psychologique d'aide aux religieux (Amar), une association qui a longtemps œuvré pour évaluer la maturité des candidats à la vie consacrée et aider les religieux souffrant de troubles psychiques.

La confrontation entre Thomas d’Aquin et Freud a aussi des incidences en matière de morale fondamentale. Pour le P. Plé, elle permet de se dégager d'une morale qualifiée par lui de «légaliste, casuistique, théorique», et donc source de névroses. Freud, en effet, a souligné l'importance du plaisir pour une vie saine. Un plaisir, rappelle toutefois la tradition morale, doit être humanisé et évangélisé pour conduire au vrai bonheur.

L'auteur montre aussi les limites du recours à la psychanalyse dans la relation pastorale et en théologie chez ce pionnier qui a exploité le corpus freudien «quasi apologétiquement, en vue de redécouvrir l'actualité de la morale vertueuse de saint Thomas».

Il compare pour cela la posture du P. Plé à d'autres (Marc Oraison, Maurice Bellet…) et notamment à celle du jésuite Louis Beirnaert (1906-1985), cofondateur de l'Amar, plus lacanien que freudien, qui aborde de manière plus complexe la relation entre foi et psychanalyse et est plus sensible à l'expérience de la cure psychanalytique qu'à son appareil conceptuel.

En explorant les débuts du dialogue entre théologie et sciences humaines, Laurent Lemoine écrit une page importante de l'histoire de la théologie morale : celle d'une époque où l'on a découvert que le sujet moral est avant tout un sujet en devenir et que tout discours moral est lui-même contingent et historique.
DOMINIQUE GREINER




L'œuvre d'Italo Svevo trouve un second souffle
Par Emmanuel Hecht

14/10/2010

Les romans et les carnets intimes d'Italo Svevo sont publiés dans une nouvelle traduction. Un classique de la Mitteleuropa à (re)découvrir.
C'est par la "dernière cigarette", que tout fumeur invétéré rêve de consumer pour se libérer de la dépendance tabagique - en l'espèce, il s'agit de Zeno Cosini, personnage central de La Conscience de Zeno, son roman majeur - qu'Italo Svevo (1861-1928) est entré dans la littérature mondiale. C'est aussi par le recours à la psychanalyse comme artifice romanesque : en 1923, la démarche était originale. La Conscience de Zeno regroupe en effet les carnets intimes d'un rentier cinquantenaire, velléitaire et hypocondriaque, qui fait lors d'une thérapie le récit à la première personne des événements marquants de sa vie : la mort de son père, ses interminables fiançailles, ses déboires dans les affaires. Svevo a ses inconditionnels, ils se féliciteront de la publication en un seul volume de ses romans, dans une nouvelle traduction, Une vie, Senilita, La Conscience... et de ses Ecrits intimes. L'intéressé n'aura pas le loisir de goûter cette revanche posthume. Jusqu'aux dernières années de sa vie (il est mort dans un accident de la route du côté de Trévise), il est condamné à l'insuccès - pire, pour un écrivain : à l'anonymat. Au point d'écrire, au faîte de la mélancolie : "En ce monde, il faut écrire, mais il est inutile de publier." Il faut, en 1925, l'intérêt de Valéry Larbaud, du jeune Eugenio Montale, futur prix Nobel de littérature, et de James Joyce, son ancien professeur d'anglais, pour qu'il savoure une reconnaissance tardive et éphémère. 

Même aujourd'hui, sa réputation n'échappe pas aux malentendus. Svevo, écrivain de la psychanalyse ? Certes, il voyait dans la méthode du Dr Freud une mine pour les romanciers, mais il se méfiait de la thérapie depuis l'échec de la cure de son jeune beau-frère Bruno Veneziani, chimiste et musicien de talent. Svevo, écrivain de la "dernière cigarette" ? Certes, le troisième chapitre de La Conscience... est un morceau d'anthologie. 

Introspection et crise de conscience européenne


Mais le livre, on l'oublie, se termine en 1916, en pleine guerre, par une vision prémonitoire et apocalyptique : "Quand les gaz asphyxiants ne suffiront plus, un homme fait comme les autres inventera, dans le secret d'une chambre de ce monde, un explosif en comparaison duquel tous ceux que nous connaissons paraîtront des jeux inoffensifs." L'écrivain proclamé de l'introspection, né Ettore Schmitz, citoyen autrichien de langue italienne, juif, incarne d'abord la crise de conscience européenne. Comme ses cadets Musil et Zweig, il appartient à l'empire disparu des Habsbourg et il en partage l'humour et l'ironie. Il n'est pas viennois comme eux, mais triestin, originaire de cette ville où les identités italienne et autrichienne s'enchevêtraient au point que l'Europe y parut viable.

samedi 16 octobre 2010




JOURNÉE D'ÉTUDE

Les sciences sociales à l'épreuve de Spinoza


vendredi 22 octobre 2010 de 10h30 à 18h30

Tours (37000)

par Marie Pellen

RÉSUMÉ

Au moment où plusieurs travaux mettent en évidence la fécondité du dialogue entre la pensée de Spinoza et les sciences sociales (on pense notamment au colloque « Spinoza et les sciences sociales » du 9 avril 2005 et au livre collectif Spinoza et les sciences sociales dirigé par Yves Citton et Frédéric Lordon), cette journée d’études s'attache plus particulièrement à explorer la fonction critique de ce dialogue. Il s'agit donc de mettre les ressources de la philosophie classique au service d'une élucidation critique de certains présupposés théoriques des travaux en sciences sociales : l’anthropologie, la sociologie, la science politique, l’économie, la psychanalyse, etc...

Programme ici





L'argent fait le bonheur. Mais à partir de combien d'euros ?
Par Pascal Riché
11/10/2010

En se plongeant dans les statistiques de l'organisme de sondage Gallup, portant sur 450 000 Américains, deux chercheurs ont découvert le revenu à partir duquel l'argent ne faisait plus trop le bonheur : 75 000 dollars par an et par ménage (55 000 euros). En deçà, les sondés ne sont pas satisfaits ; au-delà, leur bonne humeur plafonne.

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Des mutations dans des formes de novo de schizophrénie

Des mutations génétiques rares ont été identifiées chez des patients atteints d’une schizophrénie de novo, c’est-à-dire sans antécédent familial.


LA SCHIZOPHRÉNIE allie composantes génétiques et environnementales.« Puisque l’héritabilité de cette maladie est importante, rappelle un communiqué, les chercheurs se sont attelés pendant longtemps à lui découvrir une origine génétique, avec des résultats en demi-teinte. » Il a été peu à peu admis qu’il n’existait pas de gènes à effet majeur dans la schizophrénie ; et l’on a estimé que cette affection pouvait résulter d’une combinaison de variations génétiques, fréquentes dans la population, chacune ayant un effet mineur, interagissant entre elles et avec des facteurs environnementaux. C’est dans ce contexte que des chercheurs canadiens (Guy Rouleau et coll., université de Montréal), en collaboration avec d’autres équipes, notamment des chercheurs de l’INSERM (Marie-Odile Krebs et coll.), ont séquencé 1 000 gènes impliqués dans le fonctionnement des synapses neuronales.

Ont été inclus des patients et leurs parents ; ces patients ont été choisis car ils n’avaient pas d’antécédent familial d’affection psychiatrique, ce qui devait augmenter les chances de découvrir des mutations de novo (non présentes chez leurs parents). Résultat : les chercheurs ont pu identifier des mutations dans deux gènes en particulier : celui de la kinésine 17 et celui de la protéine SHANK3. On a pu observer un excès de mutations de novo qui seraient à même d’expliquer l’apparition de la maladie. Ces résultats renforcent l’hypothèse d’un rôle du système glutamatergique dans la schizophrénie.

L’implication de mutations de novo permet d’expliquer un certain nombre de cas sans antécédent familial et fournit une première explication à la persistance de la maladie malgré le manque de descendance. Cela dit, il faut bien se garder de penser qu’on a découvert « le gène » de la schizophrénie : « il est clair que ces mutations rares ne rendent pas compte de l’intégralité des cas de schizophrénie », soulignent les chercheurs.

Dr EMMANUEL DE VIEL

Julien Tarabeux et coll. « Biological Psychiatry », octobre 2010.
Quotimed.com, le 13/10/2010

mercredi 13 octobre 2010



Face à la retraite, l'usure des corps
11.10.10

Madame Flora est femme de ménage dans un collège. Tous les jours elle fait le ménage de cinq classes, trois bureaux, deux couloirs, deux halls et un escalier. Le seul point d'eau se trouve au rez-de-chaussée. Elle doit donc monter ses seaux d'eau par l'escalier où les bandes antidérapantes ont été arrachées depuis longtemps. Son chariot de ménage se trouve en revanche au premier étage. Elle préfère descendre son équipement à la main. La descente du chariot par les escaliers est périlleuse et lui a déjà valu un accident de travail lorsque la totalité du chariot a basculé sur son pied droit.

Le sol est un lino usé sur lequel elle effectue un balayage humide, mais en hiver, elle doit le laver tous les jours à grande eau ; elle se sert alors d'un balai à franges, qui se manipule en effectuant des mouvements en huit sur le sol. Puis on essore les franges dans le chariot à presse en appuyant très fort de façon répétée. Ce balai à franges a été introduit il y a plusieurs années dans les services de nettoyage, où il est venu remplacer le vieux balai-brosse. Heureusement Madame Flora a conservé la brosse, qui lui permet, périodiquement, chaque fois que le lave-linge du collège tombe en panne, de brosser vigoureusement, et à la main, les lavettes à franges.

Madame Flora nettoie de cette façon environ 1 500 m2 tous les jours, car elle travaille dans le plus gros collège de la ville. Pour laver par terre, elle bascule les chaises sur les tables afin de libérer le sol. Vers 11 heures, elle rejoint le service de restauration où sont servis chaque jour 700 repas, elle empoigne les piles d'assiettes, met les plats en chauffe, soulève les paniers à vaisselle, puis nettoie le réfectoire à grande eau après avoir retourné une par une les chaises sur les tables. Elle alterne cette tâche avec la grosse plonge, c'est-à-dire la vaisselle des plats et casseroles diverses.

Madame Flora fait ce travail depuis vingt-cinq ans. Elle a commencé à travailler à l'âge de 16 ans comme bonne à tout faire chez des voisins. Puis elle a fabriqué des ceintures en cuir dans une petite usine de la région, à la chaîne, dans un vacarme assourdissant. Elle y est restée trois ans, a connu le chômage, puis elle a élevé trois enfants. Madame Flora ne m'a jamais dit que son métier était pénible. Lorsque je l'ai convoquée pour sa consultation, elle a demandé à changer l'heure afin de ne pas "gêner le travail". La secrétaire n'est pas parvenue à la convaincre que cette visite médicale était un droit, et qu'elle se déroulait, précisément, pendant ses heures de travail. Elle s'est montrée surprise de mes questions, et m'a dit d'un ton fatigué "ah ! mais alors, il faut tout vous expliquer".

En l'examinant, j'ai constaté que j'arrivais un peu tard. Madame Flora ne fait pas exception à la règle de trois diabolique qui veut qu'une ouvrière d'usine qui travaille vingt ans comme femme de ménage ne puisse plus enfiler une manche ni s'habiller seule lorsqu'elle part à la retraite. J'ignore combien vaut son épaule opérée deux fois, son coude troué et son pouce déformé, je ne sais pas ce qu'ils valent, mais je sais exactement ce qu'ils coûtent : dix-huit mois d'arrêt de travail pour l'épaule deux fois de suite, quarante semaines de rééducation, 8 infiltrations dans le coude, 4 scanners, 2 IRM, puis un minimum de trois mois d'arrêt par an les bonnes années, 5 hospitalisations en service spécialisé. Je passe sur une surdité professionnelle de l'oreille droite, non déclarée et non reconnue, qui aurait besoin d'être appareillée.

Des morceaux de son corps jonchent ainsi son parcours professionnel, et j'apprends aujourd'hui que s'il se disloquait un peu plus, elle pourrait peut-être ne pas travailler au-delà de 60 ans. Une sorte de prime à la casse, mais sans la bagnole. Votre carcasse est trop usagée, vous pouvez dégager. En revanche, on ne pourra pas vous proposer de carcasse neuve. Alors ça nous fait deux fois l'épaule, mais comme c'est la même, ça compte pour une seule, le pouce est guéri et le coude reste plié, mais c'est le coude gauche, et vous êtes droitière. Ce n'est pas Madame Flora qui fera remarquer que l'on tient un balai des deux mains, surtout lorsqu'il faut faire des mouvements en huit. On ne va pas arriver à 10 % avec ça.

Ce n'est pas Madame Flora qui dira que son travail est pénible, surtout avec encore deux ans de crédit à rembourser. Son travail elle l'adore, parce qu'il y a les enfants, parce que c'est "son" collège, parce qu'elle y retrouve depuis des années les mêmes femmes dont elle partage l'histoire. Mais surtout, elle a tout simplement besoin des ressources de son travail pour assumer une situation des plus banales : un mari chauffeur routier actuellement au chômage, deux enfants qui vivent chez elle et font des études. Ensemble nous parvenons à aménager son poste de travail pour qu'elle puisse continuer à travailler sans se mettre en danger.

Au collège, elle pourrait occuper à temps partiel un poste de standard et d'accueil, réceptionner les livraisons tous les matins, raccompagner les visiteurs et les parents. Ce serait toujours ça de ménage en moins. L'après-midi, on pourrait s'arranger pour qu'elle travaille en rez-de-chaussée, et qu'elle ne manutentionne plus les chaises. Elle les poussera, ça ira. Avec l'intendant du collège, je parviens à la faire dispenser de restauration, elle restera à la loge, où justement, à cette heure-là, il n'y a personne. Elle ne récupérera pas la mobilité de son épaule, mais elle n'aura pas de nouvelles lésions, et son coude ne rechutera pas. Grâce à cet aménagement de poste, sa situation est réglée.

Cet aménagement de poste a pu être obtenu car Madame Flora travaille pour un collège, c'est-à-dire dans le service public. Ses collègues qui nettoient les bureaux et les sanitaires collectifs des entreprises implantées juste en face du collège, les intérimaires des services de nettoyage qu'elle croise le matin vers 5 heures en partant travailler, n'auront pas de poste aménagé si elles ont un problème de santé lié au travail. Elles seront rapidement licenciées et resteront au chômage. Les collègues de Madame Flora sont sans aucune alternative. Ce ne sont pas des salariées usées en quête d'une retraite anticipée, mais des chômeuses qui cherchent du travail. Qui paiera leur retraite si elles restent au chômage plus de dix ans ? Le projet de loi actuel sur les retraites ne le dit pas.

Madame Flora fait-elle un métier pénible ? Est-ce pénible de travailler quarante ans sur la voie publique en étant soumis aux vibrations d'un marteau-piqueur ? Est ce pénible de soulever des bornes de 200 kg ? Est-ce pénible de ramper dans un vide sanitaire, ou de réparer une carrosserie ? Un enfant de 5 ans saurait répondre à cette question. Il saurait montrer du doigt, sur les pages d'un abécédaire, les métiers difficiles : il reconnaîtrait le maçon, le déménageur, le couvreur, le plombier l'aide-soignante, le pompier, l'égoutier, la femme de ménage. Il remarquerait que ces corps-là, au travail, ne sont pas assis sur un siège, mais accroupis à genoux sur la voie publique, pliés sous un chauffe-eau, perchés en haut d'une échelle, courbés en avant sur un évier.

Ces gestes du travail qui définissent la pénibilité de certains métiers sont parfaitement décrits par les chercheurs, les ergonomes, les médecins du travail, les médecins-conseils, les ingénieurs en prévention, les médecins généralistes, et figurent dans toutes les publications professionnelles. Même le législateur les connaît, qui les a répertoriés et décrits en détail dans les tableaux de maladies professionnelles.

Le projet de loi sur les retraites ignore ce savoir. Pour juger de la pénibilité d'un métier, il est prévu, en bout de chaîne, de mesurer l'usure professionnelle d'un travailleur. On crée pour ce faire une commission d'usurologues. Peu importent les gestes devenus impossibles, les mouvements limités par la douleur, le manque de souplesse, le vieillissement forcé du corps. Seuls comptent la lésion et son score. L'amputation des gestes reste invisible. L'incapacité permanente partielle ou "taux d'IPP" ne mesure que les séquelles d'une blessure au travail. Peu importent aussi les effets retards, liés à certaines expositions : cancers professionnels liés aux goudrons, benzène, solvants, amiante. Ces expositions qui distinguent radicalement certaines catégories de travailleurs, qui sont à l'origine d'une inégalité repérée devant la santé, le vieillissement, la maladie et la mort, sont ignorées.

On renverra donc au travail, et le plus souvent au chômage, des personnes usées par les gestes du travail mais aussi des personnes multi-exposées, dont on sait de façon scientifique et statistique qu'elles développeront des pathologies qui raccourcissent leur espérance de vie. Pas un mot sur les responsabilités de l'employeur. Pas une ligne sur l'obligation qui pourrait lui être faite, dans un contexte où l'on ne parle que d'allonger la durée de travail, d'aménager des postes et de mettre en place des reclassements. Pas la moindre injonction à prévenir, au sein de l'entreprise, le devenir de ceux dont on ne parle plus nulle part : les ouvriers, les artisans, les manutentionnaires, les agents de nettoyage. Au plus haut niveau de l'Etat, on ignore leur existence. On les redécouvre dans la rue, à l'occasion des manifestations contre la réforme des retraites, avec un écriteau laconique comme celui-ci : "Je vieillis plus vite que mon âge."

Pour décrire les gestes d'un poste de travail, pour identifier les expositions aux risques, pour reconstituer les parcours professionnels et par là même les expositions des travailleurs, il faut quelqu'un pour interroger, examiner, vérifier, étudier le poste de travail, lire les fiches de sécurité, repérer les pathologies professionnelles. Il faut un médecin du travail. C'est précisément au sein du même texte législatif qu'il est question de faire disparaître ce rôle spécifique du médecin du travail. Sa légitimité et son autorité, puisqu'il sera de toute façon placé sous l'autorité d'un chef de service de santé au travail, lui-même sous l'autorité de l'employeur. Si médecin du travail il y a, ses missions seront définies par l'employeur, et non par la loi. Et afin d'être bien clair, on supprime au passage la clause d'autonomie qui doit figurer dans le contrat d'un médecin du travail.

Qui s'occupera d'aménager le poste de travail de Madame Flora ? Qui signalera qu'il n'y a pas assez d'aide au port de charges dans l'entreprise ? Qui accueillera un salarié atteint de cancer à son retour pour examiner avec lui comment son poste de travail doit être organisé ? Qui pourra témoigner au sein de l'entreprise d'une méthode qui consiste à fixer de nouveaux objectifs de productivité sans donner aux salariés les moyens de les atteindre ? Qui affirmera que ce mode d'organisation génère des troubles psychiques et des suicides ? Personne. Personne pour voir, donc personne pour savoir. Personne pour nommer, pour recenser, pour entendre. Personne pour rechercher, établir, documenter une maladie professionnelle dont on devrait observer bientôt une disparition progressive. Les maladies professionnelles disparaîtront en même temps que les médecins du travail. Sans travail clinique, sans observation des gestes du travail, il n'y a plus de maladies professionnelles. Quant aux accidents du travail mortels - deux par jour en France - qui en analysera les causes, autrement que de façon mécanique ? Est-ce la même chose de tomber d'une échelle si l'on est en conflit avec son chef d'équipe, si l'on n'a pas de chaussures adaptées, ou si l'on prend un traitement qui contre-indique le travail en hauteur ?

Ainsi, pour réformer les retraites, on table sur une société imaginaire où les ouvriers n'existent plus, et où les cadres de plus de 50 ans sont tous au travail. Pour régler la facture, on s'adresse en tout premier lieu à des chômeurs. En second lieu aux travailleurs exerçant des métiers dont les tâches ne peuvent physiquement être exécutées à n'importe quel âge, dont le poste de travail doit nécessairement évoluer, sous la responsabilité, voire à l'initiative, de l'employeur. Cette responsabilité n'est pas mentionnée. Au contraire, on distribue au passage une prime à la casse et non à la prévention. On nie tout à la fois la réalité des disparités sociales, la réalité des inégalités au travail et la réalité des corps. Pense-t-on que l'on va maintenir de force au travail des gens qui ne peuvent plus faire leur métier ? Ils seront contraints de quitter le monde du travail bien avant de pouvoir toucher une retraite à taux plein. Quant à ceux qui resteront, c'est bien avec leur corps qu'ils paieront leur retraite.

Depuis les dispensaires de Médecins sans frontières jusqu'au droit à la santé des sans-papiers, Noëlle Lasne n'a cessé d'être confrontée à la question des métiers pénibles.

Membre du comité de rédaction de la revue "Pratiques", Noëlle Lasne a contribué à La santé des malades, ouvrage collectif (2009) du centre d'études de l'emploi, sous la direction de Serge Volkoff.

Noëlle Lasne, médecin du travail


Violences faites aux femmes : le règne de l'impunité

12.10.10

Les violences sexuelles et conjugales étant un phénomène universel, les réponses pour les combattre peuvent-elles l'être aussi ? L'expérience de Médecins du monde, qui a fait des "violences liées au genre" une de ses priorités, au travers, notamment, d'un programme concernant une dizaine de pays (6,1 millions d'euros, dont 40 % financés par l'Agence française de développement, entre 2007 et 2010), incite à le -penser.

Rassemblés au cours d'un colloque qui s'est tenu, lundi 11 octobre, à Paris, les témoignages des associations avec lesquelles Médecins du monde travaille sur le terrain montrent à quel point le combat des victimes bute sur les mêmes obstacles, en dépit des différences culturelles considérables entre les pays.

Partout s'affiche la nécessité de "rendre visible" - tant dans les statistiques sociales ou policières que dans les textes de loi - ce qui reste encore du domaine du non-dit dans un grand nombre de sociétés.

Au Pakistan, on estime que 80 % des femmes sont soumises à une forme de violence : enlèvements, violences sexuelles, abus, brûlures ou défigurations, crimes d'honneur... Un chiffre "évidemment très sous-estimé, car la loi du silence règne en grande partie", précise Lucie Dechiffre, ancienne coordinatrice du programme Médecins du Monde dans ce pays.

En Haïti, la Concertation nationale contre les violences faites aux femmes, association qui tente depuis 2003 de renforcer les actions des services publics, assure que le nombre de plaintes de femmes n'a cessé d'augmenter dans la dernière décennie. Mais elle admet aussi se heurter "à la collecte de données", explique sa présidente, la gynécologue Nicole Magloire.

En République démocratique du Congo (RDC), quand les Nations unies ont recensé 17 507 violences sexuelles, les rapports de police n'en ont comptabilisé que... 1 862, preuve, selon Françoise Munyarugerero Kabundi, chargée des violences sexuelles au sein de l'inspection générale de la police, "du manque de confiance des femmes envers les institutions, armée, police et justice".

Impossible de punir les auteurs de ces violences si celles-ci ne sont pas reconnues comme telles dans les sociétés concernées, ce qui est encore souvent le cas pour les violences au sein du couple. En Algérie, la violence conjugale n'est pas considérée comme un délit, a ainsi rappelé le docteur Farida Miloudi.

SILENCE DES FEMMES

Au Pakistan, où, selon Ali Imram, conseiller juridique de Médecins du monde, "la violence conjugale est la plus commune des violences de genre", les femmes l'accepte comme une fatalité. Un petit nombre d'entre elles trouvent le chemin d'un des foyers Dar-Ul-Amans (littéralement "maisons de la paix") gérés par le gouvernement et où intervient Médecins du monde. "Plus de 40 % des femmes estiment que cela fait partie de leur destin", raconte Lucie Dechiffre.

En RDC, une partie de l'impunité qui entoure la plupart des viols et des violences tient au silence des femmes, car "porter plainte, c'est porter sa honte, surtout pour les violences conjugales", explique Julienne Lusenge, présidente de l'association Solidarité féminine pour la paix et le développement intégral.

La barrière du silence franchi, reste à faire entendre la plainte des femmes, aussi bien auprès des autorités de police que, parfois, des médecins. En RDC, "lutter contre l'impunité, c'est apprendre aux policiers à écrire un procès-verbal", Julienne Lusenge. C'est aussi apprendre aux médecins à rédiger un certificat médical, ce qui n'est pas toujours chose aisée, tant le "déni" s'exerce aussi au plan médical, a expliqué Farida Miloudi.

Reconnues comme "problème de santé publique" par l'Organisation mondiale de la santé depuis 2002, les violences faites aux femmes, où qu'elles s'exercent dans le monde, exigent une approche qui ne peut être uniquement médicale, plaide Médecins du monde, en cela sur la même longueur d'ondes que la très grande majorité des organisations non gouvernementales dans le monde.

Au Pakistan, l'aide apportée aux victimes dans les foyers "est à la fois juridique, psychologique, médicale éducative". En Algérie, où, selon le docteur Fadhila Chitour, "les violences collectives liées au conflit armé (des années 1990) ont accentué toutes les formes de violences dites ordinaires", le réseau Wassila a monté un service d'écoute téléphonique, cinq jours sur sept, pour recueillir la parole des victimes.

La prise en charge s'y veut également "globale", de la santé jusqu'à l'aide à l'insertion sociale. "Une approche prenant en compte tous les aspects est nécessaire, car on ne peut pas lutter contre les discriminations faites aux femmes sans combattre à la fois les systèmes traditionnel, judiciaire, etc.", a renchéri Ali Imram.

Un programme de 7,2 millions d'euros

Le fonds des Nations unies pour le développement de la femme (Unifem), qui sera prochainement absorbé par la nouvelle agence ONU Femmes, va disposer de dix millions de dollars (7,2 millions d'euros) de subventions pour des programmes de lutte contre les violences faites aux femmes. Cette allocation permettra de financer treize projets dans dix-huit pays. La secrétaire générale adjointe de l'ONU Femmes, l'ancienne présidente du Chili Michelle Bachelet, a indiqué vouloir faire du combat contre les violences sa priorité.

Brigitte Perucca


Selon Médecins du monde, l'accès aux soins des démunis s'est "brutalement dégradé" en 2009
12.10.10

Une augmentation de 12 % des visites dans ses centres de santé, des personnes qui consultent de plus en plus avec retard, ce qui conduit à l'aggravation de leur état de santé, une hausse de 30 % du nombre de patients mineurs : selon le rapport annuel de Médecins du monde (MDM), publié mardi 12 octobre, l'accès aux soins des plus démunis a subi une "dégradation brutale" en 2009.

Si la crise explique en partie ces hausses, l'organisation non gouvernementale (ONG) estime qu'il faut y ajouter l'impact des politiques de sécurité et d'immigration du gouvernement, qui viennent "aggraver la situation sanitaire déjà très difficile" des plus démunis. Médecins du monde dénonce une complexification des démarches (demandes de pièces abusives, renforcement des contrôles…), et des démantèlements de lieux de vie, qui ont pour effet une absence de suivi.

L'ONG s'alarme, une nouvelle fois, de la limitation du droit au séjour pour raisons médicales prévue dans le projet de loi sur l'immigration, qui devait faire l'objet d'un vote solennel, mardi 12 octobre, à l'Assemblée nationale. Elle alerte aussi sur les projets de restriction de l'aide médicale d'Etat (AME), soit la gratuité des soins pour les sans-papiers les plus démunis. 210000 personnes en bénéficient chaque année.

Avec d'autres associations, MDM s'oppose à l'idée évoquée par le gouvernement de mettre en place un "droit d'entrée" de 15 ou 30 euros à acquitter chaque année. La majorité le justifie par la hausse depuis plusieurs années du coût de l'AME (+15 % en 2009, avec 546 millions d'euros).

Mais, pour l'ONG, modifier les conditions d'accès à l'AME provoquerait des retards de soins, donc un surcoût. Réclamée lors de l'examen de la loi sur l'immigration par des députés UMP, sa refonte a été renvoyée aux débats sur le projet de loi de finances. Un rapport de l'inspection générale des affaires sociales et de l'inspection générale des finances, prévu fin novembre, devrait permettre d'y voir plus clair sur le dispositif.
Laetitia Clavreul






ACTUALITÉ CONGRES
La magnétoconvulsivothérapie appelée à remplacer l’électroconvulsivothérapie en cas de dépression majeure ?
Publié le 01/10/2010    

Stigmatisante, la dépression majeure guérit rarement sans séquelle tout en récidivant fréquemment. Devant la persistance de cette affection chez plus d’un tiers des malades, plusieurs techniques alternatives ont été développées. Parmi celles-ci, l’électroconvulsivothérapie (ECT) dont les bases ont été posées par Guillaume Duchenne de Boulogne au XIXème siècle. Efficace dans un cas sur deux en cas de dépression résistante au traitement, cette technique a l’inconvénient majeur d’entraîner des troubles cognitifs importants dans près de 50 % des cas. Ce qui a suscité des recherches vers d’autres techniques moins stigmatisantes.

La magnétoconsulsivothérapie (MCT) est l’une de ces techniques. Basée sur la génération de convulsions, sous anesthésie, par impulsions magnétiques sur un territoire cérébral limité, elle devrait en principe engendrer moins de troubles cognitifs que l’ECT comme cela a été démontré sur des modèles animaux.

Après un premier essai clinique chez l’homme réalisé en 2000, les données disponibles en 2008 montrent que la MCT permet une réorientation et un retour à la réalité nettement plus rapide qu’en cas d’ECT. Elle semble aussi posséder un effet antidépresseur significatif si l’on en croit l’essai clinique présenté par Sarah Kayser (Bonn) en session plénière. Comparée à l’ECT (n = 10 ; 12 séances), la MCT (n = 10 ; 12 séances) apporte une efficacité similaire sur les scores Montgomery-Åsberg Depression Rating Scale (MADRS) et Hamilton Depression Rating Scale (HDRS28), sans modifications cognitives, et avec un retour à la réalité dès la première minute, alors que les modifications EEG observées sont de même intensité que sous ECT. La MCT a cependant l’inconvénient de ne pouvoir être utilisée lorsque du matériel implantable se situe à proximité.

Son efficacité est telle que 4 études sont en cours afin de répondre à plusieurs questions : quelle est l’efficacité de la MCT à moyen et à long terme ? Engendre-t-elle des modifications biologiques ? En particulier sur le BDNF ? Peut-on l’utiliser en tant que technique neuromodulatrice ?
Dr Dominique-Jean Bouilliez


Davantage de psychose en ville

Publié le 08/10/2010    

Les enquêtes épidémiologiques en psychiatrie montrent, depuis longtemps, que l’incidence de la schizophrénie est plus élevée dans les zones urbaines qu’en milieu rural, et cette association insolite entre villes et psychoses est aussi retrouvée (avec une moindre intensité) pour d’autres psychoses non affectives. Mais la raison de ce phénomène demeure encore énigmatique, car peu de recherches se sont efforcées de démêler les facteurs d’environnement et les caractéristiques individuelles susceptibles d’expliquer cette prédilection urbaine des psychoses.

Ce fut donc la mission assignée à une étude longitudinale portant sur la population née en Suède entre 1972 et 1977 et concernant près de 204 000 personnes. Les auteurs retrouvent ce lien significatif entre environnement urbain et psychoses et estiment qu’il doit refléter essentiellement un paramètre sociologique, la « fragmentation sociale » accrue, propre aux grandes cités. Les données recueillies paraissent en effet cohérentes avec le postulat selon lequel, dans un environnement donné, « le risque de psychose pourrait se trouver majoré par certains traits » permettant de distinguer les individus de leurs pairs. Si cette hypothèse ne permet pas de préciser les caractéristiques en cause, elle présente néanmoins, estiment les chercheurs, « des implications importantes pour la compréhension de l’étiologie des troubles psychotiques » et pour apporter un éclairage supplémentaire aux décideurs afin de mieux articuler les politiques de prévention en santé publique avec celles d’aménagement du territoire.

Cependant, indépendamment de cette dimension sociologique de l’isolement drastique dans les « villes de grande solitude » (comme le chantait jadis Michel Sardou), d’autres facteurs décisifs peuvent contribuer aussi à l’aspect «psychiatriquement délétère » de l’habitat urbain. En particulier, la consommation de cannabis, qu’il contribue probablement à faciliter (du fait de la présence concomitante des réseaux clandestins de distribution des substances illicites). Or, reconnaissent les auteurs, cette étude n’intègre aucune donnée relative à ce facteur notoirement pathogène.
Dr Alain Cohen

Zammit S et coll. : Individuals, schools, and neighborhood. Arch Gen Psychiatry, 2010 ; 67: 914-922.



ACTUALITE MEDICALE
On trouve des anomalies dans la matière blanche quand la psychose s’accompagne d’un déficit cognitif
Publié le 29/09/2010    

Une déficience intellectuelle associée n’est pas rare dans la schizophrénie. Mais pour une proportion notable de patients, ce déficit cognitif n’est pas apparent. Une étude espagnole a recherché l’existence de différences éventuelles dans l’intégrité de la matière blanche entre les patients avec ou sans déficience cognitive reconnue.

Conduite de 2006 à 2008 sur des sujets de 15 à 60 ans, cette étude porte sur 49 sujets vus pour un épisode psychotique inaugural et 41 sujets témoins. Elle s’appuie sur une technique d’imagerie cérébrale fonctionnelle en résonance magnétique (Imagerie du tenseur de diffusion) pouvant mettre en évidence les faisceaux de matière blanche [1]. La déficience cognitive est évaluée par des tests concernant divers domaines : mémoire verbale, dextérité, attention, fonctionnement exécutif (c’est-à-dire, grosso modo, les processus cognitifs activés face à des situations nouvelles)…

Les auteurs ont écarté de leur recherche les patients avec un retard mental confirmé ou ayant déjà reçu pendant plus de six semaines un traitement par des neuroleptiques, pour éviter toute incidence éventuelle de leur imprégnation prolongée sur la relation étudiée entre matière blanche et déficit cognitif. Ne retenir que des patients avec psychose débutante permet d’ailleurs de ne pas rattacher les constats observés aux effets d’une maladie chronique ni à ceux d’un traitement. Chez ces patients avec épisode psychotique inaugural, cette étude confirme que des déficits portant sur les fonctions motrices et exécutives se trouvent effectivement associés à des altérations dans l’intégrité de la matière blanche affectant les principaux faisceaux connectés au cortex frontal et pariétal, ou d’autres voies corticales et sous-corticales. Et surtout que le facteur lié à ces anomalies de la matière blanche tient bien à la déficience cognitive elle-même, et non à la maladie en soi.
[1] : cf. http://www.dicodunet.com/definitions/sciences/imagerie-tenseur-diffusion.htm
Dr Alain Cohen

Pérez-Iglesias R et coll. : White matter integrity and cognitive impairment in first-episode psychosis. Am J Psychiatry 2010 ; 167 : 451-458.


ACTUALITÉ CONGRES
La voie des nouveaux antipsychotiques se situe plus en amont
Publié le 04/10/2010    

Pour améliorer l’efficacité des médicaments antipsychotiques, la recherche s’oriente vers de nouvelles combinaisons pharmacologiques. En particulier, Adrian Newman-Tancredi (Castres) met en exergue l’intérêt potentiel de molécules antagonistes (ou agonistes partielles) des récepteurs D2 et activatrices des récepteurs 5-HTA1 dans le traitement des troubles psychotiques. Il constate que la combinaison de ces deux actions est susceptible d’augmenter l’efficacité sur les symptômes positifs, négatifs, et cognitifs aujourd’hui encore mal contrôlés. Cela permettra aussi probablement de réduire les doses d’antipsychotiques et donc d’éviter certains effets secondaires indésirables.
Dr Dominique-Jean Bouilliez

Newman-Tancredi A : Searching for an optimised pharmacological cocktail: focus on
antipsychotics with combined D2 and serotonin 5-HT1A activity. 23rd ECNP Congress (Amsterdam) : 28 août -1er septembre 2010.

Anorexie mentale et neurohormones : une complexité sans fin
Publié le 04/10/2010    

L’anorexie mentale est un trouble multifactoriel. Les perturbations neurohormonales qui y sont observées peuvent facilement expliquer certains symptômes ou complications, en particulier les troubles gynéco-endocriniens. En revanche, il n’est pas dit que ces perturbations neurohormonales soient étiopathogéniques, d’autant qu’il existe plusieurs phénotypes d’anorexie mentale. La ghréline et l’obéstatine sont ainsi augmentées en cas d’anorexie mentale restrictive, tandis que les taux de ces hormones sont réduits en cas d’anorexie-boulimie, ce qui suppose une prise en charge complètement différente…
Dr Dominique-Jean Bouilliez

Epelbaum J et coll. : Ghrelin, leptin and other neurohormones involved in concerted regulation
of brain and visceral functions. 23rd European College of NeuropsychoPharmacology (ECNP) Congress (Amsterdam) : 28 août -1er septembre 2010.


Peut-on réduire l’effet placebo en psychiatrie ?

Publié le 01/10/2010   

L’effet placebo est une constante dans les études cliniques, particulièrement en psychiatrie avec 25 à 35 % d’amélioration substantielle sous placebo qu’il s’agisse de patients atteints de  schizophrénie ou de dépression uni- ou bipolaire. Mais cet effet est très variable d’une étude à l’autre (de -19 % à +38 % par exemple dans la phase maniaque du trouble bipolaire). Pour mieux préciser le phénomène, une équipe internationale menée par Aysegül Yildiz (Izmir, Turquie) a effectué une vaste méta-analyse portant sur les antipsychotiques en phase aiguë maniaque. Trente-huit essais cliniques ont été retenus portant sur 56 comparaisons de 17 produits actifs versus placebo : sur les 5 929 patients recensés, 3 812 ont été soumis au traitement placebo.

Premier constat, l’importance de l’effet placebo a été du même ordre dans les études donnant des résultats positifs pour le produit étudié et celles qui ont donné des résultats négatifs (30,7 % et 31,6 % respectueusement) ; ce qui est ‘rassurant’ pour les produits étiquetés ‘efficaces’.

Deuxième constat, certains facteurs favorisent une augmentation de l’effet placebo : plus il y a de sites participants, plus l’effet placebo est important et donc l’écart avec l’effet thérapeutique faible. La présence de symptômes psychotiques est, à l’inverse, un facteur minimisant l’importance de l’effet placebo. Par ailleurs, si la sévérité de la phase aiguë maniaque est directement corrélée à l’importance de l’effet thérapeutique, l’effet placebo est indépendant de cette sévérité. Enfin, les sujets de sexe masculin sont moins sensibles à l’effet placebo, de même que les patients jeunes.

Ce qui permet aux auteurs de conseiller aux concepteurs d’études (sur la phase aiguë maniaque du trouble bipolaire) de limiter le nombre de sites et d’inclure des patients préférentiellement de sexe masculin peu âgés et présentant des symptômes psychotiques manifestes. De plus, veiller de manière « agressive » à ce qu’un nombre maximal de patients aille au terme de l’étude, augmente la fiabilité du résultat final.

Enfin, les grosses variations d’effet placebo entre sous-groupes de patients devraient conduire à prédéfinir une analyse séparée de ces sous-groupes et à augmenter la qualité du suivi dans chaque centre. Parallèlement, il serait intéressant de définir clairement un degré de sévérité minimal et maximal des maladies étudiées afin de réduire l’importance de l’effet thérapeutique observé chez les patients les plus atteints.
Dr Dominique-Jean Bouilliez

Yildiz A et coll. : Placebo-related response in clinical trials for bipolar-mania: what is driving this
phenomenon and what can be done to minimise it ? 23rd European College of NeuropsychoPharmacology (ECNP) Congress (Amsterdam) : 28 août -1er septembre 2010.

ACTUALITE MEDICALE
Vers un substratum de l’impulsivité
Publié le 30/09/2010  

Prendre le temps de la réflexion avant d’agir n’est pas donné à tout le monde et il est admis qu’un terrain impulsif favorise la survenue de troubles psychiques.

D’autre part, on savait que la dopamine jouait un grand rôle dans la physiopathogénie des réactions brutales ainsi générées  mais il manquait certaines précisions à la compréhension des mécanismes impliqués. Après avoir multiplié les observations précliniques et cliniques, les auteurs ont pu développer un modèle neurologique permettant de saisir le sens des différences individuelles de comportement dans ce domaine.

Selon ce modèle, les êtres impulsifs se distinguent par une diminution des sites libres sur l’autorécepteur à la dopamine du cerveau moyen, ce qui se traduit par une augmentation de l’excitation  cellulaire sous l’effet de ce médiateur, ainsi qu’une libération de dopamine qui stimule le système de récompense en rapport avec la quête du plaisir.

Pour tester ce modèle, 32 sujets en bonne santé se prêtèrent à des explorations par Pet-Scan, avec marquage des récepteurs, administration d’amphétamine, pour favoriser la libération de dopamine et mesure de l’impulsivité sur une échelle spécifique. Pour chacun des participants étaient déterminées les possibilités d’occupation de l’autorécepteur à la dopamine –D2.D3- dans le locus niger  et  l’aire tegmentale ventrale. Ces investigations ont été conduites contre placebo. Or, on a pu constater que le degré d’impulsivité était inversement proportionnel aux possibilités d’occupation des sites de l’autorécepteur étudié. D’autre part, l’intensité des manifestations impulsives augmentait en fonction de la libération de dopamine sous régulation amphétaminique  au niveau du   striatum. La mise en évidence d’un lien neurobiologique entre impulsivité et prédisposition à l’abus de drogue représente  l’autre aspect fondamental de ces expérimentations.   Ces recherches suggèrent en effet qu’une mauvaise régulation des voies dopaminergiques ascendantes jouerait un rôle dans les troubles du contrôle de l’impulsivité , élément déterminant parmi les facteurs favorisant l’apparition d’une toxicomanie.
Dr Françoise Ponchie Gardelle

Buckholtz JW : Dopaminergic network differences in human impulsivity. Science 2010 ;329 :32

ACTUALITE MEDICALE
Les troubles bipolaires poussent-ils au crime ?
Publié le 01/10/2010    

Si les troubles bipolaires sont associés à d’autres problématiques (notamment le suicide), leur relation éventuelle avec la criminalité (vol, pyromanie, viol, meurtre…) demeurait jusqu’à présent incertaine. D’où l’intérêt de cette étude longitudinale très documentée, puisqu’elle est basée sur les statistiques de la criminalité en Suède entre 1973 et 2004, et porte sur 3 743 patients avec troubles bipolaires, âgés d’au moins 15 ans (âge de la majorité pénale en Suède), sur 4 059 personnes de leurs fratries (pour évaluer l’impact particulier d’une possible composante génétique) et sur plus de 37 000 sujets-contrôles.

Durant le suivi, une évolution vers la criminalité a concerné 8,4 % des personnes avec troubles bipolaires, mais sans différence appréciable entre ces quatre catégories cliniques : psychotiques, non psychotiques, maniaques, ou dépressifs. Cette fréquence d’une suite judiciaire se révèle 2,4 fois plus élevée que dans la population générale (où elle est seulement de 3,5 %). Mais on constate qu’un tel accroissement de la criminalité lié à la maladie bipolaire se limite en fait « principalement à des patients en situation de co-morbidité avec une toxicomanie », et qu’il demeure en revanche « minimal

Estimant avoir démontré « une association claire entre la bipolarité et la criminalité en cas d’addiction surajoutée », les auteurs conseillent donc de tenir compte de cette augmentation du risque de violence chez des patients simultanément bipolaires et toxicomanes, bien que les recommandations actuelles pour le suivi d’une maladie bipolaire ne préconisent pas cette appréciation systématique du risque de violence. Toutefois, cette nocivité incontestable des addictions ne résume sans doute pas l’ensemble des facteurs de risques criminogènes associés à un contexte de maladie bipolaire, car cette étude ne disposait d’aucune information sur d’autres phénomènes de co-morbidité « potentiellement importants », comme des antécédents de troubles du comportement dans l’enfance.
Dr Alain Cohen

lundi 11 octobre 2010





Onfray repart à l'assaut de la psychanalyse

Suite et fin du débat ? Les éditions Grasset annonce la publication, le 3 novembre, d'une Apostille au crépuscule, un essai de Michel Onfray supposé résumer et conclure la polémique née avec Le crépuscule d'une idole. L'affabulation freudienne. Le nouvel opus se présente comme un essai « pour une psychanalyse non freudienne », qui s'inspire de Wilhelm Reich, Pierre Janet, Gilles Deleuze et Félix Guattari, Jacques Derrida. De quoi… relancer le débat.





Polémique
Ces “facteurs culturels” qui favorisent la délinquance, selon Hugues Lagrange


Pourquoi les jeunes issus de l'Afrique sahélienne sont-ils surreprésentés dans la délinquance en France ? Dans “Le Déni des cultures” (Seuil), le sociologue Hugues Lagrange insiste sur les facteurs “culturels” : polygamie, soumission des mères, autoritarisme des pères… Et provoque un débat incendiaire. Retour sur quinze jours de polémique.

Résumé des épisodes précédents
Hugues Lagrange, directeur de recherche au CNRS, professeur à Sciences Po, fait le constat que les Noirs, et plus précisément « les jeunes issus de l'Afrique sahélienne », sont surreprésentés dans la délinquance en France. Se démarquant de l’approche socio-économique de la majorité des chercheurs travaillant sur la question, il met en avant le « facteur culturel » : le déficit d’autonomie des femmes, l'autoritarisme des pères ou la polygamie, eux-mêmes aggravés par la façon dont la France accueille ses immigrés expliqueraient, pour une bonne part, les « dérives des quartiers d’immigration ».

Un vrai débat ou un coup marketing ?
A la lecture du livre, un curieux malaise s’installe : comment Hugues Lagrange a-t-il pu conclure que les « facteurs culturels » expliquent « la dérive des cités sensibles » alors que ses études, très fouillées, s’étalant sur plusieurs années, des ghettos noirs de Mantes-la-Jolie (1) au 18e arrondissement de Paris, invitent à plus de circonspection. De tableau en tableau, de statistique en statistique, on voit bien que la question est évidemment plus compliquée. Et que le « facteur culturel », largement mis en avant dans le titre, l’introduction et la quatrième de couverture, est loin d’être le critère unique et même déterminant pour expliquer la délinquance.

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dimanche 10 octobre 2010






La loi enfermera-t-elle encore davantage ?

La violence est ailleurs que chez les fous, les étrangers, les Roms…

Par Pierre Paresys, Vice-président de l’union syndicale de la psychiatrie


L’esprit de la loi de prévention de la délinquance (5 mars 2007), rédigée à quatre mains par madame Dati et monsieur Sarkozy, sa volonté évidente de constituer par association une « image type du supposé nuisible », de « l’ennemi intérieur » où chacun trouvera le sien sans pour autant s’y reconnaître, trouve à nouveau sa parfaite illustration dans l’actualité. Le chapitre 3 de ce texte (les dispositions tendant à limiter les atteintes aux biens et à prévenir les troubles de voisinage) associait dans sa dernière mouture les gens du voyage, les chiens méchants et les malades mentaux.

Il s’agissait d’instrumentaliser les travailleurs sociaux et les éducateurs, les enseignants, la psychiatrie et l’ensemble du secteur sanitaire afin de contrôler la population sous couvert de délinquance habilement associée à la précarité, à la fragilité, à l’absentéisme scolaire, à la santé mentale voire à l’immigration.

La partie concernant les malades mentaux a été retirée du projet définitif et les Roms ont temporairement relayé les fous, les autres étrangers et les gens du voyage comme instruments de la propagande sécuritaire.

Certes, un pousseur dans le RER, cela choque, fait peur, d’autant plus que cela paraît incompréhensible et semble pouvoir toucher n’importe quel innocent, mais faut-il pour autant instrumentaliser cette peur, la commercialiser ? Il s’agit là d’actes dramatiques mais exceptionnels, qui paraissent nous envahir par leur surmédiatisation et leur instrumentalisation, là ou la violence d’État se développe à bas bruit.

La plume qui, par les lois et décrets qu’elle signe, pousse la population à ne pas se soigner, les hôpitaux et les médecins à faire du chiffre, à se résigner pour certains à « adapter leur éthique », à sélectionner les actes et les patients, à réduire ces patients à des clients et à des sommes d’actes, le professionnel de la santé à un producteur d’actes, n’est-elle pas beaucoup plus dangereuse que les images qu’on exhibe pour nous faire peur ? La voix qui prétend classer les hôpitaux en fonction du taux de mortalité ne peut ignorer la sanction qui peut en résulter pour les patients âgés, fragiles, trop lourds, etc., priés de mourir avant l’admission, après leur sortie ou leur transfert. L’évaluation tous azimuts, le culte des chiffres tue en éloignant les équipes soignantes de leur objet : l’humain. La plume qui transforme le travailleur social en délateur, le policier en chasseur de sans-papiers, de gens du voyage ou de pauvres en situation d’expulsion n’est-elle pas responsable de la dégradation de l’image de ces agents de l’État et de la mise en danger de ceux-ci au même titre que tous les représentants de l’État ?

La réponse à la précarité des conditions de vie doit être une politique de simple gestion des débordements et c’est dans ce contexte que le projet de loi relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques favorise la généralisation des soins sous contrainte en ambulatoire.

Cette loi n’aurait pas d’autre résultat que d’éloigner les patients des soins, de favoriser leur marginalisation et leur abandon. Il s’agit, par une généralisation de la contrainte, de faire des équipes de psychiatrie une menace pour la population et, par là même, de retarder l’accès aux soins par la méfiance et la peur qu’elles susciteront.

Là où l’accueil, le temps de l’écoute étaient possible, l’effet d’ambiance, la crainte, la méfiance rendront toute véritable alliance thérapeutique impossible. Plusieurs dizaines d’années de travail vont être annihilées là où l’accueil et l’écoute étaient encore une exigence.

L’échec inévitable de cette politique conduira à l’extension de l’enfermement pour le plus grand profit des bétonneurs sans pour autant, bien au contraire, parvenir à l’impossible risque zéro, confortant là encore, pour le plus grand bonheur de nos stratèges, le sentiment d’insécurité.

Pierre Paresys

Les hommes, les femmes et la communication - Mais que vient faire le sexe dans la langue ?
Sophie Bailly
Anne-Marie Houdebine
(Préfacier)

Résumé

Selon une idée répandue et souvent exploitée à des fins commerciales, les hommes et les femmes auraient des difficultés à communiquer et à se comprendre: les femmes seraient bavardes et les hommes laconiques, les femmes seraient polies et les hommes grossiers, les femmes préféreraient se confier et les hommes se défier...
Alors, les hommes et les femmes parlent-ils la même langue? Communiquent-ils de la même façon et avec les mêmes intentions? En quoi le sexe, le genre et la sexualité influent-ils sur la pratique de la langue? Cet ouvrage, qui s'adresse aussi bien à des étudiant-es, des enseignant-es et des chercheur-es en sociolinguistique, en anthropologie linguistique et en études du genre qu'à toute personne intéressée par le rapport entre le sexe et la langue, est le fruit d'une recherche sur la question de la construction langagière de l'identité sexuée.
A l'épreuve des enquêtes et des analyses il apparaît que, dans leurs pratiques de communication quotidiennes, les femmes et les hommes se ressemblent plus souvent qu'ils ne diffèrent. Cependant des stéréotypes de la différence sexuelle dans le langage persistent et influencent, non seulement la façon dont nous parlons et ce que nous disons, mais aussi la façon dont nous percevons et interprétons les paroles d'autrui.
L'auteure interroge alors le rôle de ces stéréotypes dans la communication et dans la production sociale d'inégalités liées au sexe et au genre.

L'auteure en quelques mots...

Sophie Bailly est docteure ès sciences du langage et auteure d'une thèse sur la différenciation sexuelle dans la conversation.
Professeure à Nancy Université, elle est membre du CRAPEL, équipe de recherche en didactique des langues du laboratoire CNRS ATILE Ses recherches, à l'interface de la sociolinguistique et de la didactique des langues, sont menées sur des terrains divers mais convergent autour du rôle joué par l'identité sociale dans l'interaction et dans l'enseignement et l'apprentissage des langues.