blogspot counter

Articles, témoignages, infos sur la psychiatrie, la psychanalyse, la clinique, etc.

mercredi 18 août 2010

LES LIVRES DE LA PSYCHANALYSE

Psychanalystes en devenir : les constructions d'une clinique

Anahit Dasseux Ter Mesropian, Ignacio Garate-Martinez, Laurence Joseph et al.

Parution : mai 2010
Éditeur : Encore marine
Prix : 19 €


En 1994, Maud Mannoni demandait à des psychanalystes engagés dans la pratique de témoigner dans un livre de leur passage à l'analyste (Devenir psychanalyste, les formations de l'inconscient, Denoël, Paris). Aujourd'hui, plus de quinze années après, les réductions statistiques d'une société néolibérale qui commercialise la vérité à l'aune de ce qui peut se mesurer, se peser, se compter, nous poussent à témoigner d'une autre manière de transmettre. Transmettre l'énigme de ce qui est unique, qui ne peut pas s'additionner à d'autres valeurs, qui ne peut pas se réduire à une vérité close. Transmettre, comme une poétique, les effets d'une rencontre qui transforme la souffrance en créativité, qui rend compte de ce qui a une valeur sans pour autant être évaluable.

Jacques Lacan et Maud Mannoni nous ont transmis la nécessité d'écouter les jeunes pour garder vivante en nous la passion pour la psychanalyse, de continuer d'apprendre des patients qui savent débusquer, dans leurs propres souffrances subjectives, les sources des inventions à venir.
Cinq psychanalystes s'y risquent, chacun dans son style. Ils y affirment leur passion pour l'inconscient, les prises et reprises de leur expérience, devenue récit, littérature, et qu'ils lisent en position d'analysant pour tenter de dire ou de repérer dans leur récit la présence du psychanalyste. Ils y affirment qu'il n'y a pas de psychanalyste en dehors de l'expérience même d'une cure, en dehors de la relation d'amour qu'instaure le transfert, dans la dissymétrie même de la rencontre.

Ces cinq psychanalystes s'autorisent à devenir auteurs du récit de leur acte, pour continuer de transmettre sa consistance. Ils montrent que celui-ci ne se conclut jamais, ne ferme pas la dimension de la rencontre à venir ; il demeure vivant et nous invite à inaugurer une ouverture : affirmer toujours qu'il y a de l'autre et l'écouter sans relâche, en nous, en lui, dans la certitude de ce qui est encore en devenir dans les mots et leurs intervalles
LES LIVRES DE LA PSYCHANALYSE

Jésus était-il fou ?

Frédéric Joi

Parution : Juin 2010 – Edityeur : Max Milo – Prix : 16 €

La chance de Jésus, c'est d'être né avant Freud.
Car imaginons un instant que la grille de lecture de la psychanalyse soit appliquée au personnage décrit par les Evangiles. Que penser d'un quidam qui prétend à qui veut bien l'entendre : "Le Père est en moi et je suis dans le Père" ? Que diriez-vous si votre voisin venait frapper à votre porte pour vous informer que "celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle" ? Jésus était-il fou ? Se basant sur les Evangiles, l'auteur suit ce " fils de Dieu " autoproclamé dans ses actes et ses paroles et découvre qu'il peut être diagnostiqué comme mégaparanoïaque c'est-à-dire un paranoïaque produisant des projections mythiques.
Mais la difficulté augmente d'un cran lorsqu'on sait que Jésus a fasciné des foules toujours plus vastes, au fil d'innombrables générations. D'où ces autres questions : de quelle maladie psychique étaient frappés ceux qui l'ont cru ? Comment fut possible cet amour entre fous, entre un berger mégaparanoïaque et ceux qu'il appelait à juste titre ses moutons ?

Frédéric Joi est docteur en psychologie et agrégé de philosophie.
LES LIVRES DE LA PSYCHANALYSE

Médecine, psychiatrie et psychanalyse - Pour une éthique commune

Sélim Abou, Chawki Azouri, Edouard Azouri, Alain Didier-Weill, Collectif

Paru le: 23/06/2010 - Éditeur : Campagne Première – Prix : 22 €

Les avancées de la médecine et des neurosciences ouvrent des perspectives de progrès mais, dans le même mouvement, elles favorisent l’idéologie scientiste, qui néglige le désarroi psychique du sujet.
De nos jours, l’impératif de l’efficacité, du mesurable et de la suppression des symptômes devient de plus en plus incompatible avec le temps nécessaire à l’écoute et tout ce qui ce joue, dont le transfert, dans la relation avec le patient. Le sujet qui souffre risque de disparaître derrière la technique, sa parole est confisquée ; plus que jamais la maladie prend la place du malade (et la souffrance se mesure aux degrés de douleur).
Les symptômes se réduisent à une liste de signes cliniques répertoriés, renvoyant à des prescriptions pharmaceutiques. Des médecins, des psychiatres et des psychanalystes s’insurgent contre cette « appropriation de l’humain » par les lois du marché et la politique des laboratoires. Au-delà de la différence de leurs pratiques, ils sont amenés à repenser les sources et la possibilité d’une éthique commune.
LES LIVRES DE LA PSYCHANALYSE

L’Imposture dans le siècle

CLINIQUES MEDITERRANEENNES n°86

Parution : mai 2010 – Editeur : Erès – Prix : 25 €

“Que le sujet soit, de structure, en position d'imposture, n'implique pas qu'il assume toujours de la même façon cette position. Qu'il s'en arrange et en vive, le mène tout droit sur les rives de l'imposture dite « pathologique ». Ce qui éclaire certainement d'un jour nouveau le rapport de la science à l'imposture, la science en acceptant de jouer le rôle de garante de la vérité, ne peut que la mettre alors en position d'imposture structurelle. Position dont elle cherche ensuite à se démettre en en accusant « l'autre », par exemple sous couvert d'« évaluation ». Ce siècle naissant, s'il entend se donner la science pour religion, ne peut dès lors que faire le lit, et le succès annoncé, de l'imposture - précisément."

Coordination : Alain ABELHAUSER

Ont participé à ce numéro : Paul-laurent ASSOUN - Antoine BIOY - Mikael BONNANT - Marie-helene BUSSAC-GARAT - Marie-paule CHEVALERIAS -Guy CHOURAQUI - Lauriane COURBIN - Nathalie DE KERNIER - Bernard DUEZ - Roland GORI - Line mai GRANN - Stephane GUMPPER - Romuald HAMON - Lucien HOUNKPATIN - Lyasmine KESSACI - Laurie LAUFER - Sylvie LE POULICHET - Colette LHOMME-RIGAUD - Pascale MACARY-GARIPUY - Francois MARTY - Franck MATHIEU - Georgia PANDOULA-KAFCHITSAS - Avner PEREZ - Laure RAZON - Joelle ROSEMAN - Laura SOKOLOWSKY - Eric SOUTIF - Martine SPIESS - Nicolas TAJAN - Eric TOUBIANA - Berenice VANNESSON -
LES LIVRES DE LA PSYCHANALYSE

Le Pain et les miettes. Entre tout et rien : essai de psychanalyse de l'homme actuel

Christian Godin
Parution : mars 2010 – Éditeur : Klincksieck – Collection : Hourvari – Prix : 17 €

Être, agir, pouvoir, voir, avoir, savoir, dire : l'existence humaine se distribue diversement selon ces sept verbes. Entre le désir du tout (le pain) et la fascination du rien (les miettes), en passant par le contentement du petit peu (la tranche), les vies postmodernes hésitent à se déterminer. Parce que l'inconscient ignore la contradiction (Freud), la psychanalyse reste l'un des meilleurs moyens pour comprendre ces désordres, qui sont ceux de notre monde, et aussi l'outil le plus efficace pour contrecarrer les effets des discours lénifiants de la philosophie et des sciences sociales d'ambiance, très en honneur aujourd'hui.

Entre littérature et histoire, psychologie et sociologie, le présent essai analyse quelques-uns des symptômes les plus significatifs, parce que contradictoires, de notre postmodernité : le tourisme et la crémation, le fétichisme et le vagabondage sexuel, le vide grenier et la fin du cadeau, le zapping et Facebook, la manie des intégrales et le best of, l'avidité sans bornes et l'abandon total...



Psychanalyse, société et politique 2
Numéro 205 - Revue trimestrielle

En librairie : 23.06.2011
COQ HERON -LE- (Revue) Directrice de la revue : Eva Brabant
17.00 €

Ce numéro qui fait suite au n° 201 continue à proposer un regard psychanalytique sur toute une série de problèmes et de phénomènes sociaux et politiques. Problèmes historiques, comme l'article d'André Bolzinger, « Freud et le Moyen Âge rhénan », ou celui de Wilfrid Bion sur « La guerre des nerfs » que nous présente Jacquelyne Poulain-Colombier. Ou problèmes du présent, comme celui d'Emanuel Berman : « Valeurs et transferts dans l'étude psychanalytique du terrorisme et la politique » ou « Malheur dans la civilisation » de Jacques Broda et Céline Fréchard. Ce numéro comporte également l'ébauche d'une bibliographie sélective sur ces sujets, établi par Jacques Letondal.
LES LIVRES DE LA PSYCHANALYSE

Vous avez dit dépression ?
La clinique lacanienne Numéro 17 - revue semestrielle – 2010

Editons Erès – Prix : 25 €

Si le monde actuel connaît une forte augmentation des pathologies dépressives - ou dites dépressives - la question du statut que le psychanalyste leur donne n'est pas simple. Il peut en effet être tenté d'analyser ce phénomène « de l'extérieur », en dénonçant la généralisation d'un diagnostic qui en dirait plus long sur le discours médical contemporain que sur le sujet qui se dit déprimé. Il peut aussi distinguer de façon très marquée la mélancolie d'un côté, et de l'autre des troubles névrotiques de l'humeur, qui seraient nettement moins bien caractérisés. Mais il ne peut éviter cependant d'aller un peu plus loin : à supposer que la généralisation du diagnostic de dépression n'aille pas de soi, ce qu'il faut, pour le moins, c'est tenter de l'éclairer. Or dès lors qu'on tente de le faire on s'aperçoit selon les mots d'un des articles du dossier que « le dépressif est celui qui est le mieux à même de nous apprendre quelque chose de notre monde ».

Ont participé à ce numéro : Marika BERGES-BOUNES - Gorana BULAT-MANENTI - Isabelle FLOC'H - Helene GODEFROY - Francoise GOROG - Jean-jacques GOROG - Rosa GUITARD-PONT - Christian HOFFMANN - Christiane LACOTE-DESTRIBATS - Jean-pierre LEHMANN - Martine LERUDE - Gerard POMMIER - Jean-jacques TYSZLER - Bernard VANDERMERSCH - Alain VANIER -
LES LIVRES DE LA PSYCHANALYSE

La dépression, affect central de la modernité

Cinzia CROSALI CORVI

Parution : mai 2010 – PU de Rennes – Prix : 20 €

L’époque moderne nous confronte à une multiplication grandissante des affects dépressifs. Plus les objets de consommation produits par la science circulent sur le marché en promettant le bonheur et plus il est difficile pour l’être parlant d’atteindre à la satisfaction de sa demande. Ce paradoxe caractérise notre modernité, qui se révèle productrice à la fois d’objets de plus en plus performants et de ce malaise inquiétant de la civilisation appelé : dépression.

Tout le monde peut à un moment donné de sa vie se dire déprimé. Pour la psychanalyse lacanienne, la dépression n’est pas une maladie biologique, elle n’est pas non plus un symptôme, mais un affect. Elle découle de la difficulté pour chaque sujet de mettre en résonance le signifiant avec la jouissance, de conjuguer le symbolique avec le réel. Elle signale un débranchement d’avec le discours, donc d’avec le lien social. La dépression a des liens étroits avec l’angoisse puisque l’état dépressif exprime le retrait du sujet face à l’angoisse et au surgissement de l’objet qui cause son désir. Désarrimé de l’objet, le sujet n’arrive plus à saturer sa jouissance par son symptôme. Seul un diagnostic différentiel des états dépressifs permet une pratique clinique tenant compte de la structure de chaque sujet.
La boussole de cette clinique de l’affect dépressif est « l’objet cause du désir », à distinguer de l’objet du désir. Loin d’un objectif de normalisation, le traitement psychanalytique des sujets, définis par le discours moderne comme « déprimés », valorise la potentialité de chacun vers des solutions inédites et particulières à chaque sujet.

Ce livre veut démontrer que, face aux protocoles standards d’évaluation de l’humeur qui définissent la dépression à partir de l’effet des antidépresseurs, privilégiant ainsi une causalité organique, la psychanalyse propose une clinique du cas par cas, une clinique pour laquelle la singularité des modes de vie (des modes de jouissance) d’un sujet, a la priorité sur les modalités de recaptation neuronale de la sérotonine.

Cinzia Crosali Corvi, née à Fidenza près de Parme, est psychologue clinicienne, psychanalyste et criminologue. Elle vit en France où elle exerce en tant que psychanalyste, associant sa pratique à une activité de recherche au sein de l’École de la Cause freudienne. Ce livre est le résultat d’une thèse de Doctorat en psychanalyse, réalisée en co-tutelle avec l’Université Paris-8 et l’Université de Bergame (Italie) sous la direction du professeur Pierres-Gilles Gueguen et du professeur Pietro Barbetta. Thèse soutenue à l’Université de Paris-VIII sous la présidence du professeur Jean-Claude Maleval.
LES LIVRES DE LA PSYCHANALYSE

Œdipe mimétique

Mark Anspach

Éditions de l’Herne – Avril 2010 – 12,50 €

Préface et entretien de René Girard

Œdipe roi est le premier polar. Il faut trouver le meurtrier de Laïos. Œdipe accuse le prophète Tirésias : « C’est toi le coupable ». Tirésias répond du tac au tac : « Le coupable, c’est toi.
Et en plus, t’as couché avec ta mère ! » Bientôt tout le monde reprend le refrain : Le roi Œdipe est une ordure.

Et si tout le monde se trompait ? Pour René Girard, le mythe d’Œdipe a son origine lointaine dans le lynchage d’un bouc émissaire. Mark Anspach décèle dans le texte même de Sophocle des indices qui jettent un doute sur la culpabilité du protagoniste. Sa seule faute serait de se laisser emporter dans ses rapports mimétiques aux autres. Mais n’est-ce pas là une tendance qu’il partage avec le père de la psychanalyse ? L’auteur trouve dans la vie de Freud lui-même des éléments à l’appui d’une lecture mimétique.
LES LIVRES DE LA PSYCHANALYSE

Anthropologie de la guerre

Sigmund Freud

Parution : juin 2010 – Éditions : Fayard – Prix : 20 €

Quel regard le père de la psychanalyse, mort quelques jours après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, a-t-il porté sur les soubresauts de la politique internationale qui ont émaillé le début du XXe siècle ?

Dans Considération actuelle sur la guerre et la mort (1915) et Malaise dans la civilisation(1930), puis dans une lettre à Albert Einstein Pourquoi la guerre ? (1932), Freud articule sa réflexion sur la guerre à une interrogation plus large sur les causes profondes des conflits, la pulsion de mort, la notion de civilisation et la transmission de l’ordre symbolique qu’elle suppose.

Ce dernier thème trouve un écho dans une postface d’Alain Badiou écrite pour les parents et les enfants que nous sommes. Le malaise de civilisation contemporain se manifeste dans le désarroi des jeunes générations, et des fils en particulier. Quelle initiation est possible dans un État démocratique souffrant d’un déficit de capacité symbolique ? Comment faire de nos fils des sujets ?

Cet ensemble de textes de Sigmund Freud, proposés ici en version originale et dans une nouvelle traduction, avec une présentation magistrale et un glossaire de l’allemand freudien, nous fait redécouvrir un Freud « politique » à la résonance singulièrement contemporaine.
Traduit de l’allemand par Marc Crépon et Marc de Launay
Introduction et appareil critique de Marc Crépon et Marc de Launay
LES LIVRES DE LA PSYCHANALYSE

Quid pro quo n°5

Marie-Hélène Devoisin / Laurent Cornaz / Hyacintha Lofé










E.P.E.L. – Mai 2010

Marie-Hélène Devoisin, MLF : L'invention au XXe siècle d'une homologia parrêsia côté femmes,
pour Chaque une plurielle autant que mille, Générations MLF 1968-2008
Laurent Cornaz, Dupe d'un nom,
pour Jean-Claude Milner, L'Arrogance du présent, Regards sur la décennie 1965-1975
Hyacintha Lofé, Les objets, vous dis-je !,
pour Tobie Nathan, À qui j'appartiens ? Écrits sur la psychothérapie, sur la guerre et sur la paix

Le numéro 5 de la revue Quid pro quo vient de paraître. Il comporte trois petits livres. Le premier porte sur l’ouvrage collectif Génération MLF 1968-2008. Ce Mouvement passe, le plus souvent encore aujourd’hui, pour l’incarnation du féminisme. Croisant une version de la psychanalyse, la parrêsia antique dont Michel Foucault fit grand cas, et de multiples références, Marie-Hélène Devoisin montre dans un texte aux allures de Manifeste, qu’il n’en est rien.
Il y a quelques années de cela, le linguiste Jean-claude Milner se demandait tranquillement si il existait encore une vie intellectuelle en France. La réponse était dans la question. À l’occasion de son dernier livre, lecture peu commune de ce que fut l’aventure de la Gauche prolétarienne à laquelle il appartint, son signataire se demande si ce livre peut être tenu pour le dernier volet d’un triptyque, avec deux de ses livres antérieurs, Les Penchants criminels de l’Europe démocratique (2003) et Le Juif de savoirL’avenir… Une inattendue figure émerge de cette lecture critique.
De son côté, Hyacintha Lofé se saisit de la publication du livre de Tobie Nathan, À qui j’appartiens ? pour revisiter le parcours de T. Nathan au-delà de ces vingt dernières années, sa proximité puis finalement sa rupture d’avec la psychanalyse. Qu’en est-il de son prolongement de "l’éthnopsychiatrie" proposée par son maître Georges Devereux, avec qui finalement il rompit un samedi soir de 1981… Pour une Autre appartenance.
Ces trois essais montrent aussi, selon des voies multiples, comment la psychanalyse, si pressente aujourd’hui dans la culture, n’en réduit pas pour autant le malaise ; faisant l’objet de refus pas toujours bruyants.



 Autogestion et démocratie chez les scientifiques

Il est 23 heures : l'équipe de nuit vient de prendre la relève dans la salle de contrôle du détecteur Atlas. Un silence religieux plane dans la grande pièce climatisée, tapissée d'écrans géants, où une vingtaine de chercheurs s'affairent devant des batteries d'ordinateurs. Les gobelets de café s'accumulent sur les tables, les mines sont tendues. On recommande au visiteur de ne pas s'approcher de la console bardée de gros boutons rouges: pas question de toucher les commandes d'arrêt d'urgence du plus grand accélérateur de particules du monde...

Le Large Hadron Collider (LHC) vient de redémarrer, le 21 novembre, plus d'un an après l'explosion du circuit de refroidissement qui l'a paralysé dès son inauguration, en septembre 2008. Les scientifiques qui procèdent ce soir aux premières collisions ont des raisons de se montrer nerveux. Nicolas, un jeune étudiant de l'université de Marseille-Luminy, a l'air émerveillé d'un gamin déballant un cadeau de Noël. Invité par son directeur de thèse, c'est la première fois qu'il pénètre dans le coeur du système, réservé aux seuls initiés. "Imaginez: les grandes découvertes des dix prochaines années vont se produire ici. Tous les physiciens du monde rêveraient d'être à ma place!"

Nous voici dans la Mecque de la physique des particules, au Conseil européen pour la recherche nucléaire (Cern), situé à Genève, en Suisse. Vu de loin, l'endroit ressemble à un complexe industriel poussé en pleine campagne. Usines, hangars, immeubles de bureaux se déploient sur une centaine d'hectares entourés de murs de béton. Toutes les rues de cet étrange village portent les noms de grands physiciens: Einstein, Marie Curie... On y trouve une banque, un bureau de poste, une garderie et trois restaurants.








John Ellis, physicien et théoricien de la physique.

Près de 10 000 personnes, dont 8000 scientifiques venus du monde entier, travaillent ici à construire et à faire fonctionner la machine la plus complexe jamais élaborée par l'homme. Cet appareil pachydermique est constitué d'un tunnel circulaire de 27 kilomètres de circonférence, creusé à 100 mètres sous terre entre la Suisse et la France, dans lequel des faisceaux de protons poussés à une vitesse proche de celle de la lumière se percutent en produisant des gerbes de particules élémentaires. Quatre détecteurs installés sur le parcours de la boucle, baptisés Atlas, Alice, LHCb et CMS, sont chargés d'enregistrer la trace des collisions. Le tout forme un colossal instrument scientifique, sorte de mégamicroscope doublé d'une machine à remonter le temps, qui permet de voir la structure des atomes et de reconstituer les conditions qui régnaient dans l'Univers pendant les premières fractions de seconde qui ont suivi le big bang, voilà 14 milliards d'années. A pleine puissance, l'engin consomme 300 mégawatts d'électricité, autant qu'une ville de 200 000 habitants.
 
Mais, au-delà des vertiges techniques, le Cern a aussi donné naissance à une formidable aventure humaine. Le Large Hadron Collider est un instrument mis à la disposition de la communauté scientifique mondiale: chaque pays envoie ses propres chercheurs à Genève, pour des périodes de quelques jours à plusieurs années, payés par les institutions ou les universités dont ils dépendent chez eux. "L'équipe du détecteur Atlas dans laquelle je travaille rassemble 2000 chercheurs: c'est de la science à l'échelle industrielle", explique Henri Bachacou, 34 ans, physicien détaché du laboratoire du CEA-Saclay, en région parisienne.

Autogestion et démocratie chez les scientifiques

Aussi incroyable que cela puisse paraître, les 8000 savants du centre fonctionnent en quasi-autogestion. Il n'y a pas de chef ici. Personne n'a le pouvoir de donner des ordres ou d'assigner telle personne à telle tâche. Chaque équipe élit un "porte-parole" censé coordonner l'ensemble, mais qui n'a en réalité aucun pouvoir formel. Toutes les décisions importantes sont prises en assemblée générale, à la majorité. De l'étudiant en thèse au professeur confirmé, tout le monde est traité sur un pied d'égalité.

La particule de dieu

Financée par les 20 États européens membres du Cern, ainsi que les États-Unis, la Russie, le Canada et le Japon, la construction du LHC a commencé il y a plus de dix ans et a coûté la bagatelle de 3 milliards d'euros.

Le tunnel, où les faisceaux de particules sont dirigés par d'énormes aimants supraconducteurs baignant dans l'hélium liquide, est considéré comme l'endroit le plus froid sur terre. Il y règne un vide dix fois plus poussé que sur la Lune, et la température dégagée par les collisions atteint plusieurs fois celle qui règne à la surface du Soleil.

Les physiciens espèrent découvrir, avec cet instrument de tous les superlatifs, une particule dont l'existence a été prédite depuis presque trente ans : le boson de Higgs. Surnommée la "particule de Dieu", cette pièce maîtresse, qui manque encore au modèle standard de la physique (et qui est censée donner leur masse à toutes les autres particules), permettrait aux physiciens de décrypter l'ensemble des forces régissant le comportement de la matière, de l'infiniment petit à l'infiniment grand.

"La science se fait par consensus, pas par la contrainte, explique Fabiola Gianotti, physicienne italienne de l'université de Milan, porte-parole chargée de coordonner le projet Atlas. Le Cern n'est pas une usine automobile, nous ne sommes pas tenus à l'efficacité économique, mais à la nécessité de faire avancer la science. Ce qui implique de favoriser au maximum la créativité. Bien sûr, il y a des conflits et des batailles d'ego, c'est parfois la pagaille, on s'engueule beaucoup, mais c'est toujours à propos de physique."

Les articles scientifiques publiés par le groupe sont signés par tous ses membres, dans l'ordre alphabétique. "C'est parfois injuste, car certains font l'essentiel du boulot pendant que d'autres se contentent de signer, mais c'est la règle." Ces publications à 2000 auteurs pourraient aussi poser un problème en cas de grande découverte justifiant un prix Nobel: celui de physique ne peut officiellement être attribué qu'à trois individus au maximum.

Le centre étant loin de Genève, beaucoup de chercheurs sont logés sur place. Il n'y a pas grand-chose à faire sinon travailler; les bureaux restent souvent allumés tard le soir. Une grande partie du temps se déroule en réunions. A chaque étage du bâtiment principal, on aperçoit des groupes de 20, 30 ou 50 chercheurs assis en rond, le nez sur leurs ordinateurs portables. De nombreux participants interviennent aussi parfois au téléphone depuis leur laboratoire à Londres ou à Chicago.

Une ambiance décontractée règne dans cette cité métissée où cohabitent 85 nationalités. A l'heure du déjeuner, une foule bigarrée se retrouve au coude-à-coude dans les cafétérias, des jeunes thésards aux vieux briscards, des chercheuses iraniennes en hijab aux physiciens afro-américains, suédois, japonais, turcs... Autour des tables, on discute dans un anglais de cuisine de la théorie des cordes, mais aussi des meilleures pistes de ski des environs ou des avantages du dernier MacBook.

Des recherches qui n'ont pas de finalité militaire

Ici, les physiciens israéliens travaillent en parfaite entente avec des Iraniens, les Indiens avec des Pakistanais, les Chinois avec des Taïwanais. Malgré leur qualificatif de "nucléaires", les recherches qui sont menées au Cern n'ont pas de finalité militaire et n'ont aucun rapport avec la fabrication de bombes atomiques. Ce qui explique l'attitude bon enfant des vigiles aux postes d'entrée et la rareté des caméras de surveillance. De nombreux bâtiments restent ouverts aux quatre vents, à l'exception de quelques zones "sensibles" dont les accès sont contrôlés par badge magnétique. En octobre dernier, l'arrestation d'un ancien chercheur du centre, un physicien d'origine algérienne, suspecté d'avoir eu des contacts avec Al-Qaeda, a suscité de nombreux commentaires, mais n'a entraîné aucun durcissement de la sécurité.

Les physiciens du Cern se classent eux-mêmes en plusieurs catégories: théoriciens, expérimentateurs, techniciens, chacun étant persuadé d'être au-dessus du panier. Les théoriciens travaillent le plus fréquemment seuls. Ils ressemblent souvent à la caricature du Pr Tournesol : débraillés, le cheveu en bataille et perdus dans la lune. Les expérimentateurs conçoivent les appareils destinés à valider les idées des théoriciens, et se prennent pour les architectes suprêmes. Puis viennent les techniciens des accélérateurs. Eux mettent les mains dans le cambouis, d'où leur tendance à croire que ce sont eux qui font réellement de la physique. Enfin, il existe une catégorie à part, celle des informaticiens qui élaborent les programmes indispensables au contrôle des machines et au traitement des résultats. "C'est le secteur le plus sexy et le moins salissant, persifle Henri Bachacou: tout le monde s'y précipite, alors que d'autres tâches, plus prosaïques, manquent de bras."








Le 30 novembre dernier, dans la salle de contrôle LHC,
les physicuens explosent de joie: après plus d'un an d'arrêt,
l'accélérateur vient de redémarrer.
AFP/Cern

Le 30 novembre dernier, dans la salle de contrôle LHC, les physicuens explosent de joie: après plus d'un an d'arrêt, l'accélérateur vient de redémarrer.

Les informaticiens du Cern ont pourtant changé la face du monde. C'est à eux que l'on doit l'invention de l'Internet. Le langage HTML et les liens hypertextes, qui constituent l'architecture du réseau mondial, ont été mis au point ici, entre 1989 et 1990, par un physicien britannique, Tim Berners-Lee. L'objectif était de permettre aux scientifiques de partager les données des expériences sur les ordinateurs des universités dispersés aux quatre coins du monde. On peut voir au musée du Cern une feuille de papier sur laquelle Berners-Lee avait schématisé le principe de sa trouvaille. Assorti d'un commentaire, rédigé par une main anonyme: "Vague, mais excitant."

Une masse colossale de données à stocker


Aujourd'hui, le centre est confronté à un autre défi informatique: la quantité colossale de données produites par le nouvel accélérateur. Le LHC, qui tourne encore au ralenti pour quelques mois, va dégager bientôt une masse colossale de données: 1 pétaoctet par an, l'équivalent d'une pile de 1 million de cédéroms, haute comme 5 fois la tour Eiffel. Pour gérer cette avalanche, les bidouilleurs du Cern ont conçu un nouveau système, baptisé "the Grid" (la grille), qui préfigure les réseaux intelligents de demain.

Tout - ou presque - reste à découvrir: les physiciens ne connaissent aujourd'hui que 5% de ce qui constitue l'Univers, les 95% restants, formés de "matière noire" et d'"énergie noire", demeurent encore un mystère. Le moins qu'on puisse dire, c'est que les pensionnaires de la petite république genevoise ont du pain sur la planche.

vendredi 13 août 2010


LES LIVRES DE PSYCHANALYSE

LA LETTRE DE L'ENFANCE ET DE L'ADOLESCENCE (Revue du Grape) n°79

Editions Erès – Juillet 2010 – 16 €

L'origine latine du mot « fiction » est un verbe dont les définitions recouvrent tout autant l'acte de « manier », « caresser », « composer » ou encore « feindre ». Dans quelle mesure est-il nécessaire pour un sujet d'accompagner son histoire subjective de ces mouvements ? Que nous enseigne la clinique de l'enfance et de l'adolescence sur leur caractère nécessaire, tout à la fois symbolique et imaginaire, dans la construction subjective ? Nos pratiques peuvent-elles s'appuyer sur les « fictions » pour accompagner, éduquer, soigner ?

Coordination : Maryvonne BARRABAND (@) - Viviane DURANDOnt participé à ce numéro : Lucie BOUSQUET - Laurence CAMPET-DENISSE - Vincent CORNALBA - Armando COTE - Tristan GARCIA-FONS - Vanessa JULIEN - Karima LAZALI- Marc LEVIVIER - Anne LONCAN -Veronique MASSUY - Jose MOREL CINQ-MARS -Claudine OURGHANLIAN - Didier PILORGE - Ilaria PIRONE - Jean-bertrand PONTALIS -Myriam REVIAL - Alain VERGNIOUX -




Une circulaire pour accélérer le financement de 250 maisons de santé

Le gouvernement a passé la vitesse supérieure dans le déploiement de 250 maisons de santé pluridisciplinaires après le lancement en février d’un plan national par le président de la République.

Les ministères de l’Intérieur, de la Santé et de l’Espace rural et de l’Aménagement du territoire viennent en effet d’adresser une circulaire aux préfets et aux directeurs des agences régionales de santé (ARS) pour accélérer le financement de ces nouvelles structures censées apporter une solution aux problèmes de démographie médicale, notamment dans les territoires ruraux.

Ce document précise les financements dont les maisons de santé pourront bénéficier. Il est ainsi prévu que les maisons de santé puissent profiter de subsides pour « les études préalables et l’ingénierie, sous la responsabilité des ARS (50 000 euros maximum par projet) ainsi que pour les dépenses de fonctionnement dans le cadre de l’expérimentation des nouveaux modes de rémunération des professionnels ». Les promoteurs des structures pourront également solliciter des investissements auprès des Dotations globales d’équipement ou de développement rural ou encore du Fonds national d’aménagement et de développement du territoire sous l’égide des préfets.

La circulaire précise que l’État pourra prendre en charge jusqu’à 25 % du coût du projet, voire 35 % dans les territoires prioritaires identifiés par les schémas régionaux d’organisation des soins (SROS) qui seront établis en 2011.

Les maisons de santé devront respecter un cahier des charges national pour bénéficier des financements de l’État. Des conseils régionaux de sélections seront chargés de faire part avant le 30 octobre des projets sélectionnés et des objectifs fixés de 2010 à 2012.

Un « cadrage national » sera ensuite réalisé pour le déploiement des maisons de santé en 2011 et 2012, conclut la circulaire.

› CH. G.

Quotimed.com, le 30/07/2010





Plus de 40 % des jeunes handicapés se sentent discriminés

Une étude de l’INSEE (Institut national de la statistique et des études économiques)* révèle que plus de 40 % des jeunes handicapés estiment avoir subi au moins une fois une discrimination, soit huit fois plus souvent que les jeunes du même âge sans handicap.

Si insultes et moqueries sont ressenties presque à égalité par les jeunes sans handicap (90 %) ou avec (86 %), la mise à l’écart est déplorée par 62 % des handicapés, contre 35 % des non-handicapés. Le refus d’un droit toucherait 13 % des handicapés contre 1 % seulement des personnes valides.

Les troubles cognitifs (troubles du comportement, de l’apprentissage, du langage ou de la compréhension) entraînent des discriminations pour 31 % des 25-54 ans et 45 % des 10-24 ans.

Dans le cas des handicaps moteurs (paralysie, amputation, gêne dans les articulations...), les discriminations sont ressenties par 40 % des jeunes et 26 % des adultes. Pour les handicaps d’ordre sensoriel (cécité, surdité), le sentiment de discrimination est partagé par 33 % des jeunes et 19 % des adultes.

Parmi les 25-54 ans, les situations sont plus contrastées, si l’on compare les adultes qui travaillent à ceux qui sont au chômage. La moitié des chômeurs déclarent en effet avoir subi une discrimination ou ont le sentiment d’avoir subi une injustice liée à leur santé ou à leur handicap, contre un quart des actifs ayant un emploi.

Selon le dernier rapport de la HALDE (Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), le handicap ou l’état de santé constituent la deuxième cause de discrimination (18,5 %), derrière l’origine (28,5 %).

› AU. B.

* « INSEE Première », n° 1308, juillet 2010.
Quotimed.com, le 30/07/2010



Chronique
La psychanalyse à la portée du plus grand nombre

C'est une petite tache d'encre qui en dit long. Pendant vingt-cinq ans, de 1970 à 1994, elle a orné chacune des 50 couvertures de la Nouvelle Revue de psychanalyse (NRP). Une sorte de test de Rorschach. A l'interprétation libre, donc. Dans son bureau perché en haut des escaliers en colimaçon de la maison Gallimard, Jean-Bertrand Pontalis s'amuse encore aujourd'hui de ce choix illustratif, qui, bien sûr, n'avait rien d'anodin. L'intellectuel, ancien élève de Sartre et collaborateur des Temps modernes, n'avait qu'une idée en tête lorsqu'il décida, en 1970, de se lancer dans l'aventure de la NRP : créer une revue libre où "chacun pouvait y voir ce qu'il voulait".

A la fin des années 1960, la guerre des clans fait rage en France au sein de la psychanalyse. Pour faire simple, c'est freudiens contre lacaniens. "J.-B." a beau être un ancien proche de Lacan, avec qui il a fait son analyse didactique, il ne supporte pas cette "allégeance à la parole d'un Maître", quel qu'il soit. Dans le premier numéro, "Incidences de la psychanalyse", qui paraît au printemps 1970, Pontalis expose son projet : "Ne pas rester entre soi", pourfendre les chapelles, et "s'ouvrir à des travaux d'auteurs étrangers, par leur pays, leur discipline, leur pensée singulière". La revue, qui sortira deux fois par an, ne sera donc ni l'organe officiel d'une institution, ni réservée aux seuls analystes.

Cette liberté se traduit d'abord par la présence, au sein du comité éditorial, de cinq analystes d'obédience différente - Didier Anzieu, André Green, Masud R. Khan, Guy Rosolato et Victor Smirnoff - mais aussi du philosophe et ethnologue Jean Pouillon, et de l'historien des idées et critique littéraire Jean Starobinski. J.-B. refuse aussi que ses auteurs jargonnent. Le vocabulaire technique est proscrit. "Une seule exigence, écrit-il : rendre sensible, sans l'effacer, l'animation de l'inconscient, rendre son travail intelligible, sans prétendre le maîtriser." Pas question de "sortir la grosse artillerie psychanalytique".

Ces principes se retrouvent dans le choix des titres des 50 volumes collectifs publiés, et tous centrés sur un thème. Le numéro 5 est ainsi intitulé "L'espace du rêve" pour éviter le terme "interprétation". De même celui (n° 13) consacré à la question du narcissisme se dénomme "Narcisses" : "Le narcissisme avait été théorisé en long et en large, explique l'analyste Michel Gribinski, qui fut pendant treize ans membre de l'équipe de rédaction de la revue. L'intitulé "Narcisses" permettait d'explorer les différents destins de ce concept cher à la pensée grecque, à la mythologie et à la philosophie."

J.-B. Pontalis semble particulièrement fier du titre du 33e numéro : "L'amour de la haine" qui rompait avec le traditionnel "amour et haine", grand classique de la littérature analytique. Un choix éditorial inspiré de la nouvelle de Joseph Conrad, Le Duel, qui raconte comment la vie de deux officiers napoléoniens s'organise autour de la haine qu'ils ont l'un pour l'autre.

Mis à part ceux à qui la psychanalyse fait trop peur, peu d'auteurs sollicités pour collaborer à la NRP refusent d'y apposer leur signature. Les historiens Georges Duby et Pierre Nora participent à "Mémoires", le numéro 15. Un bel exercice puisque le premier écrit sur "Mémoires sans historien" et le second est interrogé sur "Mémoire de l'historien, mémoire de l'histoire". Fasciné par les mots, J.-B. Pontalis demandera à son ami Georges Perec de collaborer au numéro 16 "Ecrire la psychanalyse", avec un article intitulé "Vues d'Italie".

La liste des invités - Claude Lanzmann, Roger Grenier, Jean Baudrillard... - est trop longue pour en faire une recension complète. Mais ce que l'on pouvait penser n'être au départ qu'un projet marginal au monde de la psychanalyse s'impose rapidement comme une référence. Au point d'y faire écrire des membres de la Société psychanalytique de Paris, la gardienne du temple freudien. "Les réunions du comité étaient un lieu passionnant de remue-méninges, se souvient Michel Gribinski. On brassait les idées, c'était drôle, c'était vif. Chacun y était tout entier soi-même et les désaccords quand il y en avait étaient vite oubliés." Même si la revue déroute parfois, les ventes atteignent au total 250 000 exemplaires, soit une diffusion moyenne de 5 000 numéros par titre. Le plus beau score revient au thème (n° 19) consacré à "L'enfant" (près de 8 000 ventes). Claude Gallimard, qui dirige alors la prestigieuse maison d'édition, est largement satisfait.

Pourtant, alors que la renommée de la revue et les ventes ne font qu'augmenter, J.-B. Pontalis décide de mettre fin à l'aventure. Le cinquantième numéro sera le dernier : il s'appelle "L'inachèvement". Pourquoi ce sabordage ? L'agrégé de philosophie s'en explique dans l'éditorial : "Je m'étais dit, dès le départ, que le jour où la force de l'habitude l'emporterait sur l'amour des commencements, il serait bon de marquer au moins un temps d'arrêt (...). Quelque chose n'est plus au rendez-vous. Quelque chose qui pourrait s'appeler le désir de fonder, à chaque fois, comme au premier jour."

Aujourd'hui, il reconnaît volontiers que cette décision regrettée par ses collaborateurs avait été dictée par "un peu d'égoïsme". "Au bout d'un certain temps, j'ai eu envie de passer à autre chose." J.-B. souhaitait notamment se consacrer davantage à la nouvelle collection "L'un et l'autre", qu'il dirigeait, depuis 1989, chez Gallimard. Mais dans nombre de bibliothèques, il reste comme un vide. Beaucoup de lecteurs n'ont pas compris cet arrêt brutal. Afin de les consoler, J.-B. terminait son éditorial par cet aphorisme : "Quand le train entre en gare, le voyage n'en est pas pour autant fini !"

Nouvelle Revue de psychanalyse. 1970-1994. Dirigée par Jean-Bertrand Pontalis.

Marie-Béatrice Baudet (La saga des revues)

mercredi 11 août 2010




Par Reuters, publié le 29/07/2010

Mères infanticides, malades mais responsables, selon des experts

Il est difficile de dresser un profil-type des mères infanticides, dont le nombre serait stable en France depuis les années 1970, mais dans la majorité des cas, elles sont ordinaires et conscientes de leurs actes, relèvent des spécialistes.

Seule une dizaine d'affaires sont portées à la connaissance de la justice chaque année, comme la découverte cette semaine des restes de huit nourrissons près de Douai (Nord), mais on en dénombre en réalité entre 60 et 80, selon le Dr Jacques Dayan, ancien expert après des tribunaux et spécialiste de la psychiatrie périnatale.

"Les médias braquent les projecteurs sur des cas extraordinaires mais la plupart des histoires ne concernent qu'un nouveau-né", explique à Reuters le médecin du CHU de Rennes.

Le nombre d'infanticides - on parle de "néonaticides" si les nouveau-nés sont tués dans la journée qui suit leur naissance - "est à peu près stable depuis que les avortements sont plus faciles", ajoute-t-il.

A Villers-au-Tertre, dans le Nord, une aide soignante de 47 ans a déclaré avoir accouché seule de ses huit enfants qu'elle a étouffés ensuite.

Mère de deux filles aujourd'hui âgées d'une vingtaine d'années, elle a expliqué aux policiers qu'elle était consciente de ses grossesses mais qu'elle ne voulait plus d'enfants.

Selon Sophie Marinopoulos, psychologue et auteur de "La Vie ordinaire d'une mère meurtrière", l'affaire de Villers-au-Tertre est sans aucun doute "le cas le plus grave en nombre" en France.

"BANALEMENT HUMAINES"

Dans les années 70, un couple de Corrèze a tué sept de ses enfants à la naissance. Plus récemment, Véronique Courjault a été condamnée pour le meurtre de trois de ses nouveau-nés et en mars dernier, Céline Lesage, 38 ans, a été reconnue coupable d'avoir tué six de ses enfants.

"Certains les ont présentées comme des serial-killers. Vu de loin, le nombre rend ces affaires monstrueuses mais de près, elle sont banalement humaines et fragiles", dit Roland Coutanceau, psychiatre et criminologue qui a assisté au procès de Céline Lesage devant les assises de la Manche.

Comme une grande partie de ses collègues, il ne "croit pas au concept de déni de grossesse" mais parle du "déni d'investissement d'être mère": "elles tuent une chose plutôt que leur enfant".

"Psychiquement, en le tuant, elles empêchent leur enfant de naître. Elles gardent le pouvoir sur leur ventre", ajoute le Dr Dayan.

Médecins, psychologues et chercheurs estiment que les causes de ces passages à l'acte sont à rechercher dans le passé des mères - leur histoire familiale, leur rapport à leur corps - qui sont souvent inhibées, souffrent de problèmes névrotiques et ont des difficultés à établir le contact avec les autres.

Selon le Dr Dayan, 20% des mères infanticides seulement ont été prises dans un épisode délirant, une psychose puerpérale. Dans ces cas-là, les mères sont déclarées irresponsables et échappent à un procès mais pour les 80% restants, "ce sont des femmes ordinaires".

Pour la psychologue Odile Verschoot, qui a écrit "Ils ont tué leurs enfants", "le geste infanticide surgit d'un double désir : d'une part, le désir fou de garder en soi l'enfant que l'on craint de perdre et, d'autre part, en éliminant la descendance, celui de conserver sa place de 'nourrisson psychique' au sein de la famille initiale".

Puisqu'on n'arrive pas à concevoir qu'une femme 'normale' puisse tuer son enfant, la société a toujours été assez tolérante à leur égard, note Jacques Dayan.

Lorsque la peine de mort était encore en vigueur en France, elle n'était pas prévue dans le Code pénal pour les mères infanticides.

Véronique Courjault a été condamnée à huit ans de prison et Céline Lesage à quinze années de réclusion.

NOUVELLE ÉTUDE | Pour la première fois, des chercheurs zurichois montrent une corrélation directe entre la possession d’armes à feu et le taux de suicides par balle dans les cantons. Résultat: il y a plus de décès outre-Sarine qu’en Suisse romande.

http://www.tdg.ch/actu/suisse/armes-maison-suicides-balle-2010-07-28

Une telle étude était attendue depuis longtemps en Suisse. Hier, des chercheurs de l’Université de Zurich ont comblé la lacune, en montrant une corrélation directe entre la possession d’armes à feu et le taux de suicides par balle dans les cantons. Confirmant les études étrangères, leurs résultats démontrent que les suicides par balle sont plus fréquents dans les régions où de nombreuses armes sont en circulation. Si la Suisse centrale est particulièrement armée et affiche le plus haut taux de suicides par balle du pays, Vaud, Genève et Neuchâtel font figure de bons élèves en affichant deux fois moins d’armes à feu et de suicides par balle. 
Réalisée sous la conduite de Vladeta Ajdacic-Gross, chercheur à l’Institut de psychiatrie sociale, l’étude apporte d’abord une bonne nouvelle: en Suisse, le taux de suicides par balle a reculé de 30% à 19% entre 1998 et 2007, alors que le taux de possession d’armes à feu a baissé de 38% à 28%. En revanche, l’enquête révèle qu’il y a eu, en neuf ans, pas moins de 13 410 suicides, dont 3169 par balle, réalisés en majorité par des hommes.

Vaud et Genève affichent les taux les moins élevés

Et devant les armes, les cantons ne sont pas tous égaux. En Suisse centrale, plus d’un ménage sur deux possède un fusil ou un pistolet. Uri, Obwald et Nidwald affichent en effet à eux trois le taux de possession le plus élevé, avec 57%, et un taux de suicides par balle de 32,7%. «Dans ces régions, avoir une arme est une composante culturelle, note Vladeta Ajdacic-Gross. Les citoyens font de la chasse, du tir et sont attachés aux traditions.» Que le nombre de suicides par arme y soit aussi élevé n’étonne guère le professeur. L’explication est aussi simple que cynique: il n’y a pas beaucoup d’autres moyens de passer à l’acte à la campagne.

Éviter 100 suicides par an
A l’inverse, plus on s’approche des zones urbaines, plus le taux de suicides par balle diminue. C’est le cas en Suisse romande: seuls 22,2% des foyers vaudois possèdent une arme pour un taux de suicides par balle de 17,2%. Et la proportion est de 18,2% et 15,2% à Genève. «Nous n’avons pas autant de traditions ou de stands de tir qu’en Suisse alémanique, confirme Patrick Pulh, porte-parole de la police cantonale genevoise. Il y a donc moins d’armes à feu à domicile et moins de suicides par balle. En revanche, le nombre de décès par médicament ou par chute est plus élevé.»
«Preuve, hélas, que c’est l’occasion qui fait le suicidé, constate le chercheur zurichois. Mais l’usage d’un pistolet reste la méthode la plus impulsive et sa disponibilité immédiate joue un trop grand rôle.» La solution? «Prendre des mesures! lance-t-il, sans pour autant préciser lesquelles. La Suisse pourrait ainsi éviter 100 suicides par balle chaque année.»

Ceux qui veulent envoyer l’arme à l’arsenal jubilent
Une conclusion qui apporte de l’eau au moulin de ceux qui espèrent renvoyer les armes d’ordonnance à l’arsenal. Alors que le peuple se prononcera
en 2011 sur une initiative populaire allant dans ce sens, l’association Stop suicide voit dans l’étude zurichoise un argument pour faire campagne. «C’est la première enquête qui se penche sur le cas suisse, se réjouit Anne-Marie Trabichet, coordinatrice de l’organisation. Elle montre clairement qu’on ne doit plus garder les armes à la maison. Elle nous sera utile pour répondre à tous ceux qui disent que nous jouons sur l’émotion.»
Mais les chiffres risquent d’être remis en question. «Je doute qu’on puisse réduire le nombre de suicides par arme à feu de 100 par année, relativise Yvan Perrin, conseiller national (UDC/NE) fermement opposé à l’initiative. En revanche, interdire les armes à domicile ferait beaucoup de tort aux nombreux tireurs sportifs et collectionneurs.»






Suicide : tenir compte du mode d’emploi

Certes, il est des thèmes plus réjouissants pour une période estivale. Mais si le suicide peut être sujet à des variations saisonnières, ce n’est pas de saisons dont il est question dans un récent essai dont les résultats sont publiés ces jours-ci dans le British Medical Journal.  Les auteurs de cette étude ont plutôt cherché à déterminer si certaines méthodes utilisées pour une première tentative de suicide pouvaient faire craindre plus que d’autres une « réussite » du suicide en cas de  récidive.

Ils ont pour cela suivi pendant une trentaine d’années près de 50 000 personnes admises dans un hôpital pour une tentative de suicide. Au total, pendant le suivi 5 740 (11,8 %) personnes se sont finalement donné la mort au cours d’une récidive. Mais si l’intoxication médicamenteuse dépasse largement tous les autres modes de suicide en termes de fréquence pour la première tentative (83,8 % des patients), ce sont les tentatives par pendaison, noyade, arme à feu ou par saut dans le vide qui sont suivies par le plus fort taux de récidive « réussie » dans l’année suivant la première tentative (53 à 88 % des cas).

L’on sait déjà que les troubles psychotiques, les pathologies affectives et en règle générale tous les troubles psychiatriques sont un facteur de risque indépendant pour la « réussite » d’un suicide. Mais l’association d’un trouble psychotique et d’une tentative de suicide par pendaison semble particulièrement à risque, puisqu’elle a été suivie dans 70 % des cas chez les hommes d’un nouveau passage à l’acte, mortel, dans l’année qui a suivi et dans 69 % des cas chez les femmes.

La plupart des patients de cette étude ont utilisé la même méthode pour leur récidive que lors de leur première tentative, notamment ceux qui choisissent la pendaison, dont 93 % des hommes et 92 % des femmes utiliseront à nouveau cette méthode, mais cette répétition se retrouve aussi pour la noyade (82 % des hommes et 86 % des femmes), les armes à feu (les hommes seulement) ou le saut dans le vide.

Les auteurs précisent toutefois que, malgré le taux élevé de suicides « réussis » après une première tentative par une méthode autre que médicamenteuse, la plupart des patients (70 % des hommes et 90 % des femmes) choisissent l’absorption de médicaments pour leur première tentative, et la loi du nombre fait que c’est finalement cette méthode qui est à l’origine de la majorité des décès (69 % chez les hommes et 82 % chez les femmes).

Cette étude confirme un élément reconnu par d’autres travaux, la fréquence élevée des récidives après une première tentative de suicide, et donne quelques repères pour le suivi des patients, attirant particulièrement l’attention sur les méthodes à haut risque.

Dr Roseline Péluchon

Runeson B et coll.: Method of attempted suicide as predictor of subsequent successful suicide: national long term cohort study. BMJ 2010; 340: c3222.






Autisme, ethnicité et immigration

Émanant notamment de pays nordiques, un nombre croissant d’études européennes suggèrent l’existence d’une fréquence accrue de l’autisme chez les enfants nés dans une famille de parents migrants. Mais curieusement, cette constatation n’est pas vérifiée dans les recherches analogues réalisées en Amérique du Nord où l’origine ethnique comme le statut migratoire de la mère tendent au contraire à être écartés des facteurs de risque possibles des troubles de type autistique (autism-spectrum disorders). Réalisée sur des données recueillies entre 1999 et 2005, et portant sur 428 enfants avec autisme, une étude prospective menée en Grande-Bretagne confirme cependant la vraisemblance de cette dimension migratoire dans le déterminisme (polyfactoriel) de l’autisme. Les données disponibles montrent en effet que les mères nées hors d’Europe ont, comparativement aux mères nées au Royaume-Uni, un risque accru d’avoir un enfant avec autisme. Ce risque se révèle maximal pour les mères Noires originaires des Antilles (Caribbean group). Une analyse plus précise suggère que cette augmentation du risque dépend surtout du contexte d’immigration, plutôt que de la seule origine ethnique. Autrement dit, ni la couleur de peau ni la culture ni la nationalité d’origine ne semblent liées au risque d’autisme à la seconde génération ; en revanche, ce risque est corrélé au statut d’immigrante de la mère. Une étude de 1995 (R. Goodman & col.) a montré par exemple que ce risque est multiplié environ d’un facteur 5 à la seconde génération de migrants d’origine africaine ou antillaise, et une autre étude (M. Barnevik-Olsson & col., 2008) a montré sa multiplication par un facteur 3,5 chez les enfants de mères d’origine somalienne ayant émigré en Suède. Plusieurs questions demeurent toutefois en suspens. Pourquoi les études nord-américaines ne confirment-elles pas ce phénomène ? Les effets de l’immigration paternelle sont-ils analogues à ceux de l’immigration maternelle ? L’âge de la mère lors de son immigration (avant ou après l’âge de procréer) a-t-il une incidence sur ce risque d’autisme dans sa descendance ? Et ces effets de l’immigration sur le risque d’autisme persistent-ils encore dans les générations suivantes ?

Dr Alain Cohen

Keen DV and coll. : Autism, ethnicity and maternal immigration. Br J of Psychiatry 2010 196(4) : 274-281.
Du rire comme arme de subversion

Si les scientifiques reconnaissent au rire des vertus thérapeutiques, d’autres – détenteurs du pouvoir sous ses formes politiques, religieuses ou économiques – le redoutent aujourd’hui et perçoivent le danger qu’il pourrait représenter pour leur image. Car telle est bien l’ambiguïté sociale du rire. D’un côté, il joue un rôle de catharsis permettant « l’évacuation de la colère, de la frustration ou de la souffrance, et donc des pulsions de violences que nous éprouvons dans certaines circonstances », ce en quoi il désamorce les risques d’affrontements ou de conflits. Mais de l’autre, il ébranle l’autorité, remet en cause le consensus lénifiant et « ruine en peu de mots, de gestes ou de symboles les stratégies de communication manipulatrices et coûteuses des détenteurs du pouvoir. » Ce constat est mis en lumière dans le premier chapitre d’un court essai, Désobéir par le rire (Le Passager clandestin, 64 pages, 5 €), écrit par un collectif (Les Désobéissants) et publié dans une collection dirigée par Xavier Renou.

Nul doute que le rire occupe une place de première importance dans la recherche d’un apaisement social. Il sert, en quelque sorte, de soupape. Rire d’un prince évite à celui-ci d’essuyer des attaques plus vigoureuses qui fissureraient ou renverseraient son trône. Rire d’un prince le rappelle aussi à la mesure, sinon à la raison s’il vient à abuser de son pouvoir ou à se mal conduire en toute impunité. En cela, l’humour se présente comme une version moderne du serviteur placé derrière le général romain lors de son triomphe et lui murmurant « Souviens-toi que tu n’es qu’un homme », ou du fou du roi, autorisé à toutes les insolences. Mais si le général romain et le roi (jusqu’à Louis XIV qui supprima la charge de bouffon) acceptaient, bon gré mal gré, l’humour corrosif attaquant jusqu’à leurs personnes, les princes contemporains (et à fortiori leurs barons…) semblent bien moins enclins à accepter une forme de critique au vitriol ou d’impertinence qui sévit aussi bien sur les ondes qu’au café du Commerce. Les mésaventures de Stéphane Guillon et Didier Porte, remerciés par la radio qui les employait (« lourdés » serait peut-être un terme plus approprié, car leur départ ne se fit pas dans la légèreté), en offrent l’exemple, même si l’on peut penser que l’initiative de ce geste n’était pas partie du Palais, mais avait été prise dans le souci de lui complaire.

Bergson l’avait souligné dans son essai Le Rire : « Le rire châtie certains défauts à peu près comme la maladie châtie certains excès. » Une remarque particulièrement pertinente à la lumière de notre actualité, dans un contexte où le « pas vu, pas pris » est, depuis longtemps, devenu un mode d’exercice des responsabilités. Pourtant, railler un roi ou un baron (quelque fonction qu’il occupe) pose aujourd’hui problème, car, sous les risées et les quolibets, le roi devient nu, un état qui se révèle intolérable dans un monde de communication globale et instantanée, où l’image l’emporte souvent sur le fond. Dans le même essai, Bergson ajoutait : « La seule cure contre la vanité, c’est le rire et la seule faute qui soit risible, c’est la vanité ». Mais, de nos jours, cette cure paraît, pour beaucoup, bien au-dessus de leurs moyens.

Umberto Eco, dans Le Nom de la rose, avait fait d’un hypothétique tome second de la Poétique d’Aristote, sensé traiter de la comédie, donc du rire, le pivot de son célèbre roman policier porté au cinéma. Le bibliothécaire aveugle de l’abbaye, Jorge de Burgos (clin d’œil à Jorge-Luis Borges…) dit, dans les dialogues du film : « Le rire tue la peur, et sans la peur, il n’y a pas de foi. Car, sans la peur du Diable, il n’y a plus besoin de Dieu. […] Pouvons-nous rire de Dieu ? Le monde retomberait dans le chaos. » Ce propos – auquel d’autres religions, sinon toutes, adhèrent encore – montre combien le rire peut saper un projet politique et, en le paraphrasant pour conduire le raisonnement à son extrémité, on pourrait ajouter : « sans la peur, il n’y a pas de pouvoir ». C’est précisément ce sujet qu’aborde Désobéir par le rire. Si les auteurs s’adressent ouvertement aux « militants » et aux « activistes non violents », en d’autres termes à une gauche alternative, à la mouvance altermondialiste et aux anars, son contenu intéressera un ensemble bien plus vaste de lecteurs s’ils parviennent à s’accommoder d’une sémantique parfois un peu trop politiquement connotée.

L’essai définit l’humour comme une arme politique, à forte portée subversive, capable de remettre en question l’ordre établi, mais aussi d’éroder l’autorité, la crédibilité, voire la légitimité des détenteurs du pouvoir à travers les abus auxquels ils pourraient se livrer. Il analyse les différentes formes d’actions possibles, des plus « potaches » aux plus sophistiquées, en s’accompagnant d’exemples parfois comiques. L’une d’entre elles a acquis ses lettres de noblesse avec le mouvement Dada et les Surréalistes, puis les Situationnistes : l’entartage dont Noël Godin, alias Georges Le Gloupier, est le théoricien et le principal praticien depuis la fin des années 1960, dans le cadre d’une démarche anarcho-humoriste. Longtemps considéré comme une blague bon-enfant dont un «philosophe» médiatique et quelques célébrités ou fausses gloires se prenant « très, très, très au sérieux » furent les cibles, l’« attentat pâtissier » est toutefois devenu un acte risqué, depuis que la Cour de cassation a qualifié fort sérieusement la tarte à la crème d’« arme par destination » (ce qui suppose une requalification de l’acte en « agression avec violence ») dans un arrêt de 2002 concernant l’entartage de Jean-Pierre Chevènement.

Autres méthodes décryptées : la parodie, qui permet, notamment, au collectif « Sauvons les riches » d’organiser de « fausses manifestations de droite » et les clowneries de la Brigade activiste des clowns. La dérision n’est pas oubliée, à travers les fausses remises de prix, par exemple aux entreprises pratiquant l’« écoblanchiment » (communi-cation sur les qualités environnementales d’une organisation ou d’un produit à des fins purement marketing) ou proposant des techniques de surveillance sociale (Big Brother Awards). Les Italiens remettent chaque année, dans le même esprit, un « Tapiro d’oro », trophée représentant un tapir doré (par allusion au nez démesurément allongé de l’animal) aux politiciens coupables de bourdes mémorables. Plus inquiétantes sont les impostures, une spécialité des « Yes Men » américains, lesquels se firent inviter à un congrès international en tant que « représentants de l’OMC » et y firent un discours prônant le rétablissement de l’esclavage sans soulever la moindre protestation de l’auditoire…

Dans la dernière partie de l’essai le lecteur trouvera un guide d’humour subversif où sont expliquées par le menu les méthodes permettant d’organiser efficacement un canular, un détournement publicitaire, un attentat pâtissier, etc., ainsi qu’une bibliographie. Pour autant, l’arsenal humoristique présenté se révèle moins subversif que l’on n’aurait pu l’imaginer dans un ouvrage laissant entendre que le rire serait un moyen de « désobéissance civile ».

Les limites posées par les auteurs définissent en effet un cadre assez consensuel, sinon politiquement correct. Sont ainsi déconseillés l’humour déplacé (« quand le sujet est trop grave ») et celui qui serait « trop provocateur en regard des tabous existants chez [les soutiens possibles] ». Nous sommes là très éloignés des sketches et chroniques des humoristes (Stéphane Guillon, Didier Porte, mais aussi d’autres, comme les chansonniers) ou des dessins d’un Siné à l’inoxydable et irrévérencieuse jeunesse. Car l’humour est aussi un moyen efficace d’éviter à une société de se scléroser dans de belles certitudes et dans ses tabous.

Par ailleurs, les exemples cités concernent quasi exclusivement des cibles « de droite », comme si la vanité ou les manipulations qu’il fallait brocarder n’existaient que dans ce camp, vision manichéenne et simpliste qui pourrait nuire à la porté du propos. Chacun se souvient ainsi de ce dirigeant écologiste, si farouchement opposé à l’automobile, affirmant qu’il s’était rendu « à vélo » à une réunion en février 2007, alors que des caméras l’avaient filmé descendant d’une voiture avec chauffeur… Cette tartufferie, qui en vaut bien d’autres, ne fit jamais l’objet d’une remise en place humoristique. On aurait aussi aimé trouver dans cet essai quelques exemples d’autodérision. Car, comme le disait Paul Léautaud, « On rit mal des autres quand on ne sait pas d’abord rire de soi-même.

Illustrations : Le Rire, huile sur panneau, XVe siècle - Le Rire de Démocrite, Hendrick Ter Brugghen, 1628 - Portrait du bouffon, Velasquez.
»
Et si Sigmund Freud avait rencontré Homer Simpson ?


Mario, Peach et Bowser ou la triade oedipienne ?

Mario est un personnage de jeu vidéo crée dans les années 80.
C’est l’un des plus célèbres de la franchise Nintendo.









Dans les différents jeux où Mario est le personnage principal, le joueur retrouve la même trame scénaristique : Mario, amoureux de la princesse Peach se trouve avec elle dans une fête au château. Cependant , l’atroce Bowser arrive et kidnappe la princesse. Mario devra dans le jeu poursuivre Bowser à travers le monde afin de sauver Peach.

Tel l’enfant se trouvant dans la relation dyadique avec sa mère, l’intrusion du père est vécu comme persécutante par Mario. Le père fait passer la relation dyadique à une relation triadique et met en exergue le partage de  l’objet d’amour maternelle avec un autre.

Mario, pour vaincre le père (sous les traits de Bowser: un monstre avec une carapace de tortue recouverte de piquant et le visage d’un dragon), parcours le monde et affronte les dangers extérieurs afin de retrouver l’amour perdu. Bowser représente d’un côté une tortue, avec sa carapace permettant de se protéger et d’agresser, mais également le phallus à travers l’utilisation destructrice qu’il fait du feu qui sort de sa bouche.

Lors de ses aventures, Mario se voit confronter à des champignons, des plantes carnivores, des squelettes, des bombes… Cependant, ce qu’il affronte, peuvent également se retrouver sous forme d’alliés : les champignons qui veulent le tuer sont opposés aux champignons lui permettant de grandir. Les plantes carnivores souhaitant le manger se retrouvent face à des plantes lui accordant des pouvoirs de feu ou de glace. Ou encore, les reptiles tels que Bowser existent également sous forme bienveillante en Yoshi (servant de monture à Mario).

Mario est face à des objets clivés: il est face à une rivalité face au père, mais également à une identification, lui permettant d’évoluer et de tuer symboliquement le père.

A chaque fin de jeu, Mario tue le père et retrouve sa princesse.

Dans les derniers jeux, les enfants de Bowser font leur apparition. Mario est comme face à des frères avec qui il se doit de partager sa princesse. Luigi constitue un frère auquel il peut demander un soutien.



LE MONDE DES LIVRES
Petit Poucet deviendra gore

C'était avant l'invention de la psychanalyse et de l'inconscient collectif. Et bien avant le cinéma, la télévision, le déferlement des images et la surenchère de violence qui s'est abattue sur les écrans. Quand Charles Perrault a raconté l'histoire du Petit Poucet, en s'inspirant d'une tradition orale venue du fond des âges, il ne prenait pas de gants avec la sensibilité de ses lecteurs - lesquels, d'ailleurs, n'étaient pas censés être des enfants.

Les petits qu'on abandonne dans la forêt, les parents indignes, le cadet mal-aimé, l'ogre mangeur de chair fraîche, le père qui finit par assassiner ses propres filles, et même la ruse de Poucet qui, pour sauver sa peau, sacrifie les jeunes ogresses - on ne peut pas dire que les moeurs étaient bien civiles au royaume des fées et des bottes de sept lieues. Mais, enfin, tout n'était pas dit, exposé, détaillé comme sur une table de dissection.

Avec Brigitte Aubert, qui publie chez Fayard Noir Le Souffle de l'ogre (298 p., 17,90 €), fini les zones d'ombre, fini le mystère. Reprenant l'histoire du Petit Poucet, mais aussi d'autres contes, comme Blanche-Neige, cette auteure de polars s'est engagée dans une veine nettement plus lugubre. Poucet y porte un numéro : il s'appelle Sept et il est l'un des deux survivants d'une fratrie décimée par un père qui décapite ses enfants à la hache, on ne sait pourquoi. L'autre, c'est Un, l'aîné, presque aveugle et infirme, qui vit attaché à un piquet au fond de la cour (dans le conte original, c'était un "rousseau" que la mère aimait plus que les autres parce qu'elle-même "était un peu rousse"). L'ogre est bien là, tout comme les petites ogresses (dotées des "mêmes dents taillées en pointe que leur géniteur"), mais l'ambiance a changé. D'une violence inouïe, surtout dans les premières pages, le roman montre un ogre qui finit par empaler un enfant "sur le long manche de sa pioche", pendant que Sept n'en perd pas une miette. Un monstre en proie à des pulsions sexuelles, un "malade" ivre de sperme et de sang, qui éprouve du remords, mais pas bien longtemps. On sait l'interprétation que les psychanalystes, à commencer par Bruno Bettelheim, ont fait des contes de fées, de leur puissance fantasmatique et de leur charge érotique. Mais, en lisant ces aventures, on ne peut s'empêcher d'éprouver un malaise. Comme si la même frénésie d'images sanguinolentes (et souvent complaisantes) s'était propagée du cinéma vers la littérature. Laquelle ne gagne pas forcément à cette escalade, qui menace de la banaliser.

Il y a d'assez bonnes choses dans ce Souffle de l'ogre, en particulier l'humour, par exemple quand Sept rencontre Blanche-Neige au fond des bois : elle y vit seule, les sept nains s'étant fait massacrer par la reine. Quant à Blanche-Neige, elle n'a dû sa survie qu'à un arrangement d'ordre sexuel avec le garde-chasse chargé de la tuer. Mais cet humour lui-même n'est qu'un correctif assez attendu à la violence, une manière supplémentaire de tout expliciter qui fait regretter le pouvoir de suggestion des contes d'origine - et leur force.

Raphaëlle Rérolle
Article paru dans l'édition du 26.06.10