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lundi 11 décembre 2017

L’art de la mémoire est-il à l’origine du fantastique ?

Le Monde Blogs   10 décembre 2017

On a déjà parlé plusieurs fois de l’art de la mémoire dans nos colonnes : ne s’agit-il pas de la première technique d’amélioration mentale ? Officiellement, l’art de la mémoire est né au sein de la civilisation gréco-romaine. Mais cette vision est peut-être bien trop eurocentrique… Dans un article fascinant pour la revue AeonLynne Kelly (blog@lynne_kelly) nous présente quelques techniques « d’art de la mémoire » utilisées par les populations de chasseurs-cueilleurs du monde entier. Cet article reprend bon nombre d’idées qu’elle expose dans son récent et passionnant ouvrage, The Memory Code.

L’incroyable mémoire des Anciens

Ce qui caractérise un grand nombre de civilisations traditionnelles, explique-t-elle, est la prodigieuse mémoire possédée par leurs Anciens. Ainsi, nous rappelle-t-elle, les Navajos sont-ils capables de se remémorer jusqu’à 700 insectes avec leur aspect, habitat, leur comportement… et les Mangyansdes Philippines seraient en mesure de reconnaître 1625 plantes différentes, dont certaines inconnues de la science occidentale.

Et bien entendu, leurs connaissances vont bien au-delà des insectes ou des plantes. Les Anciens de ces peuples seraient capables d’accomplir les mêmes exploits de mémoire dans tous les domaines de leur environnement…
Mais l’art de la mémoire des peuples premiers est assez différent – et plus complexe – que celui des orateurs de l’Antiquité ou des penseurs de la Renaissance. D’abord, il est multimédia : il implique chant, danses et histoires mythiques variées. Ensuite, le « palais de mémoire » n’est autre que l’environnement dans lequel vivent ces populations. C’est en se déplaçant au sein de leur milieu naturel que les « anciens » de ces tribus sont capables de réactiver leurs connaissances liées à des lieux précis. C’est ainsi que procèdent les aborigènes avec leurs « pistes de chant ».
« Une piste de chants, nous dit Kelly, est une séquence d’emplacements, pouvant, par exemple, inclure les roches qui fournissent les meilleurs matériaux pour les outils, ou un arbre important ou un trou d’eau. Ces pistes sont beaucoup plus qu’une aide à la navigation. À chaque emplacement, un chant, une histoire, une danse ou une cérémonie sont exécutés, et seront toujours associés à cet emplacement particulier, physiquement et en mémoire. Une piste de chants constitue donc une table des matières pour l’ensemble d’un système de connaissances, qui peut être consultée en mémoire et physiquement. »
Certaines de ces pistes de chant peuvent couvrir des distances de plus de 800 kilomètres…
Il existe, grosso modo deux espèces de « palais de mémoire ». Les grands, qui reposent sur des lieux, et des « micro-espaces », de petits objets qui reproduisent de manière miniaturisée les plus grands palais… En Afrique, on trouve le lukasa, une planchette de bois incrustée de petits objets, auxquels l’utilisateur associe diverses informations, comme souvent les noms des grands rois et dynasties. Selon Kelly, « Des chercheurs ont affirmé que les « hommes de mémoire » de la société Mbudye passaient des années à apprendre un vaste corpus d’histoires, de danses et de chansons associées aux perles et coquillages attachés à un morceau de bois sculpté ».

Un tel savoir n’était pas seulement utile, il était politique, nous explique Lynne Kelly dans son livre. Dans les petits groupes de chasseurs-cueilleurs, la distinction par la richesse ou le leadership par la force physique n’existent pas. Tous les membres de la tribu sont à peu près à égalité. Les seuls à détenir une vraie forme de pouvoir, ce sont les Anciens qui par leurs chants, leurs mythes connaissent les méthodes de survie du groupe. C’est d’ailleurs le titre de sa thèse : When Knowledge Was Power (Quand la connaissance était le pouvoir).
La connaissance des chants était un savoir ésotérique, transmis à peu d’individus, explique-t-elle. La raison en est double. Tout d’abord, cela permet bien sûr de conserver le pouvoir entre quelques mains, mais surtout, les histoires ne peuvent subir aucune déformation ou perdre des informations qui pourraient s’avérer vitales. Il et amusant de constater que la fameuse société de la connaissance, envisagée par certains comme un objectif de notre civilisation technique, aurait déjà existé dans un lointain passé !

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