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mardi 13 juin 2017

LE COSMONAUTE EN PYJAMA BLEU

Face à ce patient à l'isolement depuis 59 jours, un infirmier s’interroge sur la distance entre les recommandations de la HAS et les conditions pratiques de certaines hospitalisations. L’expédition de Thomas Pesquet dans l’espace l'entraine dans une réflexion sur les différentes formes d’isolement et les conditions humaines.
« This is ground control to Major Tom …» (1).
Après 197 jours dans l’espace, Thomas Pesquet est redescendu de la Station spatiale internationale où le 17 novembre 2016 il nous avait embarqués, tels ses compagnons d’odyssée. Cliché après cliché, la terre s’est incrustée dans nos yeux comme s’ils étaient rivés derrière un très long télescope. De notre planète on a vu :
– ses veines, artères, cicatrices, ossements, flocons duveteux, gommettes et pastilles de verts dégradés, assemblées en mosaïques, les plus claires et les plus foncées toutes mélangées. On a vu
– les villes et leur quadrillage fin de cahier d’écolier, resserrées et adossées à la courbure des fleuves, traversées et scindées de lentes reptations obscures et liquides. On les a vues tisser dès le soir leurs faisceaux de lumière, coudre les fils incandescents et perlés des grandes avenues. On a vu
–  autour peu à peu pousser des flaques de noir épaisses comme une boue froide raclée depuis le tréfonds des volcans éteints. On a vu
– des nervures, des limbes iridescentes comme sur des feuilles gigantesques, des palettes de couleurs écrasées au couteau. On a vu
– des vagues de bleu et des gouttelettes d’îles au milieu. On a vu
– le sable, ses tablettes d’argile, les glyphes d’un calame (roseau taillé en pointe dont on se sert pour l’écriture) géant pour décompter le temps.
Enfermé dans une capsule terrestre
Quant à vous, depuis 59 jours exactement enfermé dans votre capsule terrestre, vous voilà devenu cosmonaute vieillissant et blafard, chauve et rabougri. Votre bedaine, très ordinaire, écarte les pans de votre veste bleue déboutonnée. Vous, le gnome colérique et votre esquisse de barbe filandreuse, êtes là, solitaire, assis ou allongé sur le lit scellé (votre station de jour et station de nuit). Vous voilà en apesanteur de vie, tour à tour éveillé puis endormi. La climatisation chuinte tout bas, décroche ses pétales de frais métallique. Sur l’oreiller blanc une petite tâche humide fleurit juste à côté de votre bouche. Des hommes et des femmes en blanc passent dans le couloir. Dans votre cube de carreaux gris et verts, occulté par une lourde porte blindée blanche, vous ne bougez pas.
« Bon alors, racontez moi un peu, comment allez-vous et qu’est-ce que vous faites pour occuper le temps?
– Rien. 
– Et le matelas que vous avez mis sur le sol aujourd’hui, vous pouvez me dire pourquoi vous avez fait ça ? Pourquoi c’est mieux de coucher par terre ? Pourquoi c’est mieux pour vous ? »

Silence.
« J’ai pas d’idée. »

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