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lundi 13 février 2017

Claire Wyart illumine le mouvement

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |  | Par 


Avec Claire Wyart, nous plongeons dans les sous-sols de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), à Paris. Une lueur bleue baigne les soutes de ce vaste vaisseau de verre, ancré à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Nous voici au beau milieu d’un banc de 10 000 poissons-zèbres. Un tourbillon véloce, envoûtant, que reflète un kaléidoscope de 1 000 aquariums.

Dès 2005, la chercheuse s’est laissé charmer par ces flèches d’argent, nouvelles sirènes des laboratoires. « Je m’intéresse à ce poisson, même s’il paraît très loin de l’homme, car c’est un bon modèle d’étude des circuits nerveux qui commandent la locomotion. » Depuis 2011, elle dirige une équipe de l’Inserm sur ce thème, à l’ICM.

Claire Wyart, à Paris, le 26 janvier.
Legging rose, chaussures de jogging assorties : avec un naturel très américain, Claire Wyart respire un enthousiasme contagieux, un bonheur à conter ses travaux, partager ses ferveurs scientifiques. Un dynamisme, un rire communicatifs. Le 7 février, à bientôt 40 ans, la docteure en biophysique et en neurosciences recevait le prix de la Fondation Schlumberger pour l’éducation et la recherche (FSER), à l’Académie des Sciences, à Paris. Les lauréats, jeunes chercheurs reconnus dans le domaine biomédical, sont dotés de 90 000 euros pour développer leurs travaux.


Retour à la surface. Au troisième étage, les chercheurs se livrent à une pêche au trésor. « Le principal atout du poisson-zèbre est d’être transparent durant son développement précoce. Nous pouvons ainsi commander à loisir l’activité de ses neurones par de la lumière. » Comment ? Grâce à un outil puissant, l’optogénétique : « Un moyen unique de sonder en temps réel les fonctions des neurones de l’animal qui se meut, en réponse à des stimuli », dit Claire Wyart. Ce, de façon non invasive.

Une troisième voie explorée


Ses travaux ont révélé « un groupe de neurones assez inhabituel et très intéressant », explique Gilles Laurent, directeur de l’Institut Max-Planck pour la recherche sur le cerveau, à Francfort (Allemagne). Tapissant le canal central de la moelle épinière, ces neurones, hérissés de cils, exercent des fonctions mécano-sensorielles.
Jusqu’ici, on savait la locomotion des vertébrés gouvernée par deux voies : le cerveau, qui envoie ses ordres à la moelle épinière, et des voies réflexes. 

L’équipe de Claire Wyart explore une troisième voie, avec ces neurones ciliés. En « goûtant » le liquide céphalorachidien qui les baigne, ces neurones en intègrent les signaux mécaniques et chimiques. En réponse, ils modulent la locomotion et la posture en se projetant sur les circuits moteurs de la moelle épinière. Identifiés chez le poisson-zèbre, ils sont conservés chez la souris et le macaque, a montré cette équipe. « Nos états internes – notre rythme circadien, une maladie… – pourraient-ils moduler notre locomotion via cette voie ? », s’interroge Claire Wyart.

Elle est une scientifique « visionnaire » qui explore des questions de neurobiologie originales, « en tirant parti d’un cursus multidisciplinaire et des outils techniques de pointe », estime Marnie Halpern, experte de la génétique du poisson-zèbre à l’Institut Carnegie de Sciences (Baltimore, Etats-Unis).

« Mieux vaut échouer en étant original que réussir en imitant. » Au-dessus de sa signature mail figure ce mot de Herman Melville (1819-1891). Il témoigne d’un goût pour les parcours non balisés. Si elle fut une « ado rebelle », elle entamera, au lycée, un parcours d’excellence : classes préparatoires, puis Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm, « une super-formation, parfois un peu nombriliste. »

Après une thèse à Strasbourg, elle part en mission humanitaire pour enseigner dans des écoles tibétaines : « Une expérience géniale avec les enfants, décevante auprès des enseignants. » Elle se lance ensuite dans un double post-doc aux Etats-Unis, à l’université de Berkeley (Californie). D’abord chez Noam Sobel, pour étudier le système olfactif humain. Puis elle rejoint le labo d’Udi Isacoff : « C’était la liberté, et aussi le Far-West ». Elle y peaufine des outils d’optogénétique, de biophysique et de design moléculaire chez le poisson-zèbre.

En 2011, des aides de l’Inserm et du CNRS la décideront à rentrer en France, d’autant que son mari, un physicien turco-américain, trouve un poste intéressant à Paris. L’ICM lui propose de monter son équipe : elle a 34 ans. Le Conseil européen de la recherche donnera à cette équipe les moyens de parvenir à une taille critique. « Je crois vraiment en l’Europe, qui permet à de jeunes chercheurs de tracer leur carrière. »

A l’ICM, elle développe d’abord un arsenal technique varié. « Ça a été dur de tout mettre en place, mais au bout de trois ans, on a senti que la mayonnaise prenait. » Dans cet hôpital, les ponts avec le milieu médical sont un atout. Un exemple, cette récente étude qui a montré, chez le poisson-zèbre, un lien entre l’apparition d’une scoliose et le flux du liquide céphalorachidien. « Nous avons alors discuté avec Jean Dubousset, spécialiste de la scoliose : il nous a décrit les cas intrigants de certains patients. Notre équipe s’intéresse aux mécanismes en jeu. »

Dans un groupe, dit-elle, « on est plus créatif quand on côtoie des gens avec des parcours différents. » Venus des Etats-Unis, de Chine, d’Allemagne, de Roumanie, d’Angleterre, de Normandie ou de Picardie, les chercheurs-étudiants sont ici physiologistes, médecins, ingénieurs, informaticiens, biologistes moléculaires, physiciens…


Aventure intense


« Quand Claire a démarré son équipe en 2011, il n’y avait rien. Il a fallu tout mettre en place : l’équipement, l’organisation. Une aventure intense », raconte Urs Böhm, 31 ans, venu d’Allemagne faire sa thèse. Aussi neuve que les murs de l’ICM, cette équipe en essuie les plâtres : fuites d’eau, pannes électriques. Pas idéal pour les animaux. « Il a fallu régler ces problèmes, en parallèle de nos expériences. » Le jeune Allemand salue l’enthousiasme de Claire Wyart, son soutien constant, ses idées très riches. « Mais nous avons dû apprendre à filtrer, car il était impossible de tout faire ! »

A 26 ans, Jenna Sternberg, une thésarde américaine, a aussi vécu la naissance de l’équipe. « Claire Wyart est très créative, très ouverte d’esprit. » Une mentor dévouée, aussi : « Elle n’est pas juste une chef d’équipe qui veut publier dans de bons journaux. » « Ce qui m’intéresse d’abord dans la recherche, c’est le volet humain », confirme Claire Wyart. Sa plus grande fierté professionnelle, c’est de voir que tous ses étudiants ont publié des études importantes, et assurent la suite de leur parcours comme chercheurs indépendants.

Gilles Laurent loue une personne chaleureuse, qui rit beaucoup et adore sa famille. « Il est difficile de ne pas l’apprécier, aux plans personnel et scientifique. » « Elle aime danser, être une mère inspirante pour ses trois enfants, ajoute Marnie Halpern. Elle déploie une telle énergie qu’on se demande quand elle dort ! » De fait, Claire Wyart confie avoir souffert d’un burn-out en 2012. Un rééquilibrage sera salutaire. Depuis, une boîte de crayons de couleurs gît sur son bureau. « J’ai toujours un carnet sur moi pour dessiner, noter mes idées ou quelques vers afin de m’évader. »

L’influence de sa mère a été marquante. Françoise Brochard-Wyart est une physicienne de renom. De son union libre avec Pierre-Gilles de Gennes, Prix Nobel de physique en 1991, sont nés quatre enfants. « Etre élevée dans cette famille atypique m’a énormément appris. Cela donne une autre vision des choses, un désir de sortir des moules. Mon père nous a transmis une immense confiance en ce que nous pouvions faire. » Admirée pour « son courage, son audace et son cœur d’or », sa mère a su « rendre la vie pétillante », en menant sa carrière et en élevant, avec l’aide d’une nourrice dévouée, ses six enfants. Une fratrie toujours très soudée.

La jeune femme porte le nom de son grand-père, Pierre Wyart, dont elle se dit « hyper-fière ». Ce fils d’ouvrier des mines, devenu polytechnicien, a joué un rôle majeur dans la création de l’EDF : « Il s’est toujours battu pour ceux qui travaillaient avec lui, puis pour l’entreprise. »

A l’automne, l’équipe de Claire Wyart a amorcé une action de diffusion de la science en lycée, dans le cadre de la FSER. C’était au pôle innovant lycéen Lazare-Poncelli, qui accueille à Paris des décrocheurs de 16 à 23 ans. « Ces jeunes ont un regard critique sur la société matérialiste et narcissique. Ils cherchent à rejoindre un élan collectif. C’est vraiment inspirant de discuter avec eux de la façon de trouver sa voie. »

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