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vendredi 9 décembre 2016

PSYCHIATRIE La reconnaissance du discernement altéré entraîne souvent des peines plus lourdes

Le traitement pénal des délinquants ayant des troubles psychiques ou mentaux était au cœur de la neuvième journée psychiatrie et justice, ce 6 décembre à Lille. Loin d'être une circonstance atténuante, l'altération ou l'abolition du discernement des prévenus semble entraîner un durcissement des peines prononcées.
La neuvième journée d'étude psychiatrie et justice* a eu pour thème, ce 6 décembre à Lille (Nord), le traitement pénal des malades psychiatriques délinquants. Elle s'intitulait Troubles psychiques et jugement pénal : une double peine ? Premier postulat, guère surprenant, les prisons françaises sont pleines de personnes ayant des troubles mentaux ou psychiques. "Quatre à dix fois plus de prévalence qu'en extérieur", selon le Dr Bernard Lachaux, psychiatre au CH Paul-Guiraud, à Villejuif (Val-de-Marne). "Et 30% à 40% de troubles de la personnalité chez les détenus", ajoute-t-il. "Une humiliation pour la République", pour Jean-René Lecerf, ancien sénateur (LR) et coauteur d'un rapport sur le sujet, en 2010. Selon l'ancien parlementaire, désormais président du conseil départemental du Nord, "les prisons sont les asiles de la République" et ce pour des raisons financières : incarcérer coûte moins cher qu'hospitaliser en psychiatrie. "La seule solution, c'est d'allouer des moyens supplémentaires à la prise en charge des personnes souffrant de troubles mentaux", poursuit-il.

La prison à défaut de l'hôpital

"Les expertises se multiplient, au civil comme au pénal, y compris dans l'application des peines. Et nous faisons face à un déficit d'experts et donc à un blocage des procédures", constate Tristan Gervais de Lafond, président du tribunal de grande instance (TGI) de Lille. La faute notamment à la rémunération minimale des experts-psychiatres, selon Alain Blanc, magistrat honoraire et président de l'association française de criminologie, dénonçant les conséquences graves pour les prévenus en attente d'expertise. Si tant est que la reconnaissance du discernement altéré ou aboli joue en faveur du prévenu. Car, selon Jean-René Lecerf, elle n'incite pas les jurés à la clémence, bien au contraire. "Ils sont généralement convaincus que la prison n'améliorera pas la santé du prévenu mais, qu'à défaut, elle protège la société. Et quelle alternative apporter ? Il y a de moins en moins de lits en psychiatrie." La prison serait donc, faute de mieux, un moyen de neutraliser les personnes à troubles psychiques et potentiellement récidivistes, plutôt que de les soigner.

Un parti pris partagé par certains juges, à en croire les travaux présentés par Caroline Guibet-Lafaye, directrice de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Elle a dirigé l'étude L'irresponsabilité pénale au prisme des représentations sociales de la folie et de la responsabilité des personnes souffrant de troubles mentaux, dans le cadre de la mission de recherche droit et justice. Elle démontre une tendance, chez les juges d'instruction expérimentés, à choisir les experts selon des "affinités électives" ou à "piocher" dans les expertises les arguments allant dans leur sens. En tribunal correctionnel, les expertises sont rares en première instance, freinant ainsi les chances de voir l'irresponsabilité pénale reconnue. Aux assises, si les expertises et contre-expertises sont plus fréquentes, le juge d'instruction est plus frileux à reconnaître l'irresponsabilité pénale. "L'altération du discernement entraîne des peines plus longues", déplore Jean-René Lecerf, évoquant une "entorse morale, éthique, alors qu'elle devrait au contraire constituer une circonstance atténuante et entraîner une diminution de la responsabilité". Militant depuis 2010 pour que les peines maximales soient réduites en cas de discernement altéré ou aboli, il estime que la loi du 15 août 2014 n'a repris que de façon "édulcorée" cette proposition.

Une troisième voie ?

Pour Caroline Guibet-Lafaye, "les magistrats rencontrés se divisent autour de la question des relations entre justice et psychiatrie. Une partie d'entre eux, plutôt confiants envers la psychiatrie, plaident pour une nette séparation de la voie judiciaire et de la voie médicale. Les autres, plus méfiants à l'encontre de la psychiatrie, estiment qu'un contrôle judiciaire renforcé des personnes irresponsabilisées serait nécessaire voire soutiennent l'idée d'une hybridation de la voie pénale et de la voie médicale par la création d'institutions dédiées aux auteurs d'infraction présentant des troubles mentaux, au nom d'une protection de la société contre la dangerosité". Cette "troisième voie" faisant écho à deux modèles évoqués par Jean-René Lecerf, à savoir : les centres de défense sociale belges, qui réunissent les individus potentiellement dangereux, qu'ils soient passés à l'acte ou non ; et la prison de Château-Thierry (Aisne), élégamment surnommée "prison des fous", où les surveillants feraient preuve, selon l'ancien sénateur, d'une bienveillance sans égale à l'égard des détenus.
Bruno Decottignies

* La journée était co-organisée par l'EPSM de l'agglomération lilloise, l'EPSM Lille-Métropole, l'EPSM des Flandres, le CHRU de Lille, le tribunal de grande instance de Lille, l'ordre des avocats du barreau de Lille, la cour d'appel de Douai, l'association Lill'Art et l'Association nationale des psychiatres présidents et vice-présidents des commissions médicales d’établissements de CH (ANPCME).
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