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mardi 8 novembre 2016

La psychiatrie pénitentiaire écartelée à Genève

Le nouveau Service des mesures institutionnelles, chargé du suivi des condamnés perturbés, sera soumis à une double hiérarchie sanitaire et sécuritaire. Une petite révolution dans un canton précurseur en matière d’indépendance du médical
La structure des soins en milieu pénitentiaire se complique sérieusement à Genève. Trois ans après le drame de La Pâquerette, les ministres chargés de la Sécurité et de la Santé ont abouti à un compromis sur ce terrain exposé et miné par les tensions. Un nouveau Service des mesures institutionnelles est créé et devra répondre à une double hiérarchie. Quant à l’unité de sociothérapie, dont l’ouverture a été longtemps promise et sans cesse repoussée, celle-ci ne verra finalement jamais le jour au sein de Curabilis.

Choix difficiles
D’entrée de jeu, le conseiller d’Etat Pierre Maudet a souligné la complexité du domaine, expliqué avoir beaucoup consulté, et averti que «les choix opérés devront encore être éprouvés». Ceux-ci sont en tout cas très éloignés du scénario privilégié par le professeur Panteleimon Giannakopoulos, responsable médical de Curabilis depuis une année, dont le rapport, remis en juin 2016, préconisait la création d’un grand institut de psychiatrie forensique, intégré au Département de la sécurité et réunissant sous un même toit experts et thérapeutes.
Ce mélange des genres, clairement banni depuis une dizaine d’années par la jurisprudence, est écarté. Les expertises, et leur manne financière, restent en main du centre universitaire romand de médecine légale. De même, les soins psychiatriques pour les détenus, incarcérés dans des prisons ordinaires, seront toujours prodigués par le Service de médecine pénitentiaire (rebaptisé SMP car il perd tout de même la mention «psychiatrie» dans cette aventure). Ce service, dirigé par le professeur Hans Wolff, reste totalement rattaché aux Hôpitaux universitaires de Genève.
«Il est impensable de présenter un projet qui ne garantisse pas l’indépendance du médical», a relevé Mauro Poggia. Le ministre a rappelé que ce principe faisait en quelque sorte «partie des gènes du canton». Genève a en effet été le berceau d’une pratique indépendante des soins de santé en prison qui s’impose désormais comme un standard international.

Rattachement bicéphale

Et pourtant. Le principe est malmené avec le nouveau montage qui réside dans la création d’un Service des mesures institutionnelles (SMI) au rattachement bicéphale. Destiné à la prise en charge des détenus perturbés placés en milieu fermé ou ouvert, ce service interviendra à Curabilis et au sein des deux pavillons de Belle-Idée où se retrouvent des personnes considérées comme moins à risque.
Le professeur Giannakopoulos et les cadres du SMI dépendront à la fois des HUG pour la prise en charge médicale et de l’Office cantonal de la détention pour les questions liées à «la sécurité des personnes condamnées et du personnel». Sans que l’on sache vraiment ce que ces notions recouvrent exactement, la tonalité est donnée.
«Une cohabitation que nous espérons fructueuse et rassurante», a ajouté Mauro Poggia. Le politique veut que ce service assure «l’interface» avec la justice pénale et les autorités d’exécution des peines et mesures en devenant une sorte d’interlocuteur privilégié et centralisateur.
Les médecins du SMP, qui suivent des détenus sous mesure pénale mais incarcérés à Champ-Dollon ou à La Brenaz ou encore des condamnés avec un traitement ambulatoire, devront aussi rendre compte au SMI et donc à des responsables eux-mêmes rattachés en partie à l’Office cantonal de la détention. De quoi nourrir quelques crispations. 
La sociothérapie exilée
Cette nouvelle répartition devra encore être mise en musique. Un groupe de travail mixte entre les HUG et l’OCD est constitué pour la phase opérationnelle et devra rendre un rapport — un de plus — aux conseillers d’Etat concernés d’ici la fin de l’année.
Quant à la sociothérapie — et donc la prise en charge des délinquants difficiles et lourdement condamnés — celle-ci est totalement sacrifiée aux impératifs sécuritaires du moment.
L’unité qui devait prendre ses quartiers à Curabilis est rayée du programme. La place sera dévolue aux détenus sous mesure qui ne se verront pas proposer ce type d’approche. La sociothérapie pourrait peut-être renaître, sous une autre forme et sous la coupe du Département de Pierre Maudet, à la faveur d’un concept de réinsertion qui peine lui aussi à se concrétiser.

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