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vendredi 18 novembre 2016

INTERVIEW «Chez les footballeurs, la souffrance psychologique est banalisée»

Par Ramsès Kefi — 17 novembre 2016 


Concurrence accrue, porosité entres vies privée et professionnelle… Le sociologue Frédéric Rasera, qui s’est immergé quatre ans dans un club pro, raconte le métier de l’intérieur.

Au cours des années 2000, le sociologue Frédéric Rasera (Photo DR),enseignant à l’université de Lyon-II, a enquêté quatre ans sur le vestiaire d’un club de Ligue 2 (il garde le nom et les dates anonymes) et compilé ses observations dans un livre, Des footballeurs au travail. Ce n’est pas tant le jeu auquel il s’est intéressé, mais sur ce qui a été zappé à la longue : le foot pro est un vrai boulot, avec sa hiérarchie, ses contraintes et ses rapports de subordination.
Avec ses spécificités en matière d’organisation du travail, qui fait du joueur un entrepreneur au statut précaire à l’intérieur même d’un groupe - il y a presque un côté schizo de prime abord, d’autant qu’il y a de la passion au milieu. «J’ai voulu le banaliser, le sortir de cette forme d’apesanteur sociale qui biaise certains jugements», dit le chercheur.
Vous écrivez que «les footballeurs sont confrontés à des logiques d’individualisation au travail, mais courent le risque d’être taxés d’individualisme». Cela signifie quoi à l’échelle du foot ?
D’un côté, le football est un univers professionnel où le collectif est valorisé à l’extrême. Les joueurs doivent montrer en permanence leur implication pour l’équipe et participer à la vie du «vestiaire» qui ressemble, à première vue, à une bande de copains. Dans ce contexte, savoir chambrer est une vraie compétence, alors que le fait de se tenir à distance des discussions collectives ou des joies d’après-match est une «faute professionnelle». En même temps, il y a effectivement toute une organisation du travail très individualisée, qui commence dès l’embauche, dans la négociation des durées de contrat, des salaires, des clauses. Par exemple, certains bénéficient de primes en fonction du nombre de matchs joués au cours de la saison. Admettons qu’un joueur est censé en toucher une dès lors qu’il dépasse la barre des 20 matchs : si on arrive au 17e, au 18e et qu’il ne joue plus… Au-delà de l’aspect financier, il y a un énorme enjeu de visibilité, qui conditionne l’attractivité et la longévité sur le marché du travail. Il ne faut pas non plus éluder la passion : lorsqu’un entraîneur écarte un joueur, il touche à ce qu’il est en tant qu’homme.

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