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lundi 4 juillet 2016

La société israélienne s’ouvre aux autistes

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par Sophie Boutboul (Israël, envoyée spéciale)

Ben, enfant autiste, et son père, à l’Institut Feuerstein, à Jérusalem, le 6 juin.
Ben, enfant autiste, et son père, à l’Institut Feuerstein, à Jérusalem, le 6 juin. RAPHAËL FOURNIER/ DIVERGENCE

En Israël, à 18 ans, le service militaire est une obligation, mais aussi un rite de passage. Les jeunes présentant des troubles autistiques en sont exemptés. Si, dans le pays, plus de 150 écoles se consacrent aux enfants autistes, leur inclusion dans la société après le lycée n’est pas toujours simple. Pour améliorer cette situation, des militaires parents d’enfants autistes ont mis en place en 2013 le programme « Roim rachok » (« Ils voient au loin »), qui permet à des volontaires autistes de haut niveau d’intégrer l’armée à la suite de six mois de cours, de sessions d’adaptation et de préparation avec un psychologue.
Une cinquantaine de jeunes travaillent par ce biais dans des unités de renseignement, où ils déchiffrent des images satellites ou récoltent des données. Ils y restent entre un et trois ans et continuent à voir un psychologue chaque ­semaine pour améliorer leur socialisation et leur communication. « Il y a beaucoup de défis. Parfois, c’est dur, fatigant, parce qu’on passe de longues heures devant notre écran. Mais le travail me plaît, j’aime contribuer à notre sécurité », se ­réjouit Y., 20 ans,dont l’anonymat doit être préservé car il est au contact de données classifiées.

« Faire partie de la société »

« J’ai réalisé une étude sur la capacité d’adultes autistes de haut niveau [sans déficit intellectuel] à reconnaître les photographies aériennes. Les ­résultats ont prouvé que leurs aptitudes n’étaient pas inférieures à celles de la population générale, ce qui est suffisant pour Roim rachok », détaille Yoram Bonneh, chercheur en neurosciences à l’université Bar-Ilan de Ramat Gan. Chantal Lheureux Davidse, maître de conférences à l’université Paris-Diderot, précise : « Les personnes autistes de haut niveau compensent leur difficulté à passer des détails à une vue d’ensemble par une excellente mémoire, une extrême attention aux détails et une pensée photographique. »
Huit mille personnes pour 8 millions d’habitants sont diagnostiquées autistes, selon l’association israélienne pour les enfants autistes. Pour qu’elles aient de meilleures chances sur le marché du travail, l’organisation éducative Beit Ekstein a lancé en mars dernier sa propre université, avec un programme académique consacré aux jeunes autistes : vingt élèves y étudient sur le campus de Givatayim, en banlieue de Tel-Aviv, aidés par des tuteurs. Cent étudiants sont attendus en octobre pour commencer une ­licence de psychologie, d’économie ou d’informatique. « Beaucoup de personnes handicapées sans ­diplômes luttent pour obtenir un travail. Leur donner la possibilité d’étudier, c’est leur permettre de faire partie de la société », constate Ayelet Dobkin, de Beit Ekstein.
L’université d’Ariel, située dans les territoires occupés en Cisjordanie, porte aussi ce combat. Depuis 2008, elle a accueilli trente élèves présentant un autisme de haut niveau ou un syndrome d’Asperger. Chaque jeune est accompagné par deux élèves mentors : l’un étudie avec lui, l’autre est son colocataire et l’assiste dans ses démarches quotidiennes. « La plupart expérimentent pour la première fois la vie loin de leurs parents. Il faut donc qu’ils s’ajustent à la vie sociale. Leurs ­camarades les aident et se montrent compréhensifs envers leur comportement parfois étrange », ­explique le professeur Shmuel Schacham, responsable de l’université.
Le fils de Lior étudie la physique à l’université d’Ariel depuis un an : « On ne s’attendait pas à ce qu’il parte de la maison. C’est génial, car il a traversé beaucoup d’épreuves. De 10 à 13 ans, il a ­enchaîné les tests chez les médecins. Ils ont d’abord pensé à la dépression, puis à l’anorexie, avant de comprendre que tous ses symptômes – ne plus manger qu’un seul aliment, ne pas supporter qu’on le touche…– étaient liés à l’autisme. Il a eu de très bons résultats à la fin du lycée, mais, une fois à l’université de Tel-Aviv, il a été complètement chamboulé car c’était très impersonnel, très bruyant. »
Inclure les familles d’enfants autistes et les adultes autistes dans les centres de recherche pour améliorer la prise en charge et la qualité des études scientifiques est l’objectif du psychologue Judah Koller. Ce professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem a décidé de créer à Jérusalem le premier centre universitaire interdisciplinaire consacré à l’autisme, pour réunir au même endroit des chercheurs, des médecins, des familles, des travailleurs sociaux, et les faire communiquer.
Le partenariat entre l’hôpital Hadassah et l’Université hébraïque devrait permettre une levée de fonds de 75 millions de dollars afin d’ouvrir le centre d’ici à deux ans. Mais le travail a déjà commencé avec l’accueil d’une dizaine de personnes. « Un de nos objectifs est de répondre aux besoins immédiats : proposer plus de services aux adultes, mais aussi aux enfants qui n’ont pas accès au langage, souvent oubliés, tout comme à ceux qui ont deux handicaps, autisme et cécité ou surdité », remarque la directrice du centre, Cory Shulman. Un projet se développe aussi avec les communautés arabes de l’est de Jérusalem, où l’équipe déplore un manque de prise en charge.

Le dernier recours de familles françaises

Israël propose des méthodes diverses et complémentaires pour aider les enfants et les adultes autistes à s’insérer dans la société : de la psychanalyse aux thérapies comportementales, toutes prises en charge par la sécurité sociale à hauteur de trois heures par semaine. A l’Institut Feuer­stein, une méthode cognitive et éducative est ­appliquée. Elaborée dans les années 1970 par le psychologue Reuven Feuerstein, elle repose sur « la capacité de tous à progresser » et la médiation. Les enfants autistes peuvent y être ­accueillis à la « clinique pour l’inclusion ». « Nous les y préparons doucement à faire partie d’un groupe, jusqu’au jour où ils sont prêts à aller à l’école », explique la directrice, Chaka Nakav.
L’institut dispose aussi d’un centre international qui propose des sessions de six semaines, vers lequel se tournent certains Français comme Anne et Kouresch Mamodaly, les ­parents de Ben, 9 ans. En ce mois de juin, ils y viennent pour la deuxième fois, depuis La Réunion : « On est tombés sur le livre Le Voyage ­d’Anton, de ­Mariana Loupan, qui parlait du centre, et on a pris la décision de venir parce qu’on était à bout. Sur quatre écoles, une seule avait voulu de nous, mais tout ce que Ben y faisait, c’était du vélo dans la cour. On était en souffrance et sans clés pour l’aider. Ben sait désormais qu’il est capable de plein de choses, il s’exprime et fait moins de crises », raconte Anne Mamodaly.
Le fils d’Olivia Cattan, la présidente de SOS-Autisme, a aussi passé un mois à Feuerstein, à 2 000 euros la semaine. « A 4 ans, mon fils n’allait pas à l’école, personne ne voulait l’accepter. Il ne savait dire que quatre mots. On avait essayé toutes les méthodes. Partir était notre dernier ­recours. Au retour, il avait plus de 500 mots à son actif. Ça lui a sauvé la vie, car, grâce au langage, il a été pris à l’école plus facilement », retrace Olivia Cattan, dont le fils est en CM1.
Rachel Brezis, psychologue au centre de Herzliya, auteure d’un article intitulé « Autisme en ­Israël : petit pays, grand amour », souligne les améliorations réalisées en quarante ans pour l’inclusion des personnes autistes : « Grâce à l’éducation publique et au système de santé, beaucoup d’adultes autistes s’intègrent graduellement dans la société israélienne. Cependant, il y a ­encore bien des défis à venir. Avec le nombre croissant d’individus autistes, l’Etat va devoir développer ses services pour de meilleurs diagnostics et plus d’accès aux soins dans les communautés isolées. Et cela ne devra pas se faire aux dépens de l’accompagnement des autres handicaps. »

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