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mercredi 4 mai 2016

« L’Ecole des loisirs » : la littérature menacée

LE MONDE  | Par Christophe Honoré (écrivain et cinéaste)
Le renoncement à la littérature est le grand danger qui menace les ­livres pour enfants. Il touche aujourd’hui une maison d’édition qui semblait une place imprenable. Depuis quelques mois, L’Ecole des loisirs a confisqué à son éditrice historique, ­Geneviève Brisac, la pleine responsa­bilité des collections « romans ». A la suite de cette décision, certains écrivains qu’elle publiait ont vu leur manuscrit ­retoqué, d’autres se sentent sous surveillance, d’autres enfin, dont je fais ­partie, ont décidé de quitter une maison qui prétend désormais proposer« des histoires avec des personnages positifs et entreprenants ». Un blog a été créé, où les écrivains rejetés, inquiets ou dégoûtés, expriment leur incompréhension et leur colère face à ce gâchis : Laficelleblog.wordpress.com
Pourtant, Louis Delas, directeur général de la maison, avait confié à la presse, lors des récents 50 ans de L’Ecole des ­loisirs, qu’il aurait « à cœur d’assurer la continuité de la politique d’auteurs qui faisait », selon lui, « la valeur de [sa] maison d’édition ». Destituer Geneviève Brisac n’apparaît pas comme le geste le plus pertinent d’accompagnement des auteurs. Il semble avoir oublié que pour beaucoup d’entre eux, elle a ­assuré à elle seule le sentiment d’appartenance à cette maison. Ou bien Louis Delas ne considère-t-il pas les romanciers comme faisant partie des auteurs sur qui il prétendait veiller ?

Quoi qu’il en soit, son comportement malavisé, qu’il justifie par des raisons plus économiques qu’artistiques, place aujourd’hui nombre de ces écrivains dans la situation d’exilés involontaires. D’Agnès ­Desarthe à Alice de Poncheville, ­d’Olivier Adam à Christophe Donner, ­Christian Lehmann, Isabelle Rossignol, Nastasia Rugani… la liste est trop longue pour être contenue dans cette chronique. Ce n’est plus une reprise en main éditoriale, c’est une saignée.
Défendre des livres déchirants
Que va-t-il se passer après ? Ces écrivains dans la nature doivent-ils en plus s’inquiéter du sort qui sera fait à leurs romans déjà publiés à L’Ecole des loisirs ? Pilon ? Placard ? Les autres auteurs qui, pour l’instant, se taisent, vont-ils se montrer solidaires des écrivains exclus, ou solidaires de la maison excluante ? Quels romans sont à attendre à L’Ecole des loisirs quand on observe que les quatre premiers livres rayés des programmes avaient pour l’un d’eux comme sujet la guerre d’Espagne, pour deux autres comme héros un orphelin noir et une lesbienne, et était pour le dernier un recueil de contes yiddish ? Et comment réagira l’ensemble du secteur jeunesse ? Va-t-on assister à un lâche abandon généralisé des écrivains qui ­inventent une œuvre exigeante au profit de « livres-produits » calibrés pour le marché ?
Geneviève Brisac n’a cessé de défendre une littérature pour enfants qui bannit la conformité, qui s’affranchit des formes inoffensives. Elle n’a cessé de défendre des livres déchirants, l’inverse des ­livres charmants tels que Marguerite Duras les définissait, à savoir « des livres sans prolongement aucun, sans nuit. Sans silence. Autrement dit : sans véri­table auteur ».Geneviève Brisac est une inventrice d’écrivains. La mettre à l’écart ne lui retirera pas son titre, mais cela privera les enfants des livres qu’ils ­méritent.

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