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samedi 21 mai 2016

A Nantes, les mineurs étrangers vivent en squat pour éviter la rue

LE MONDE  | Par Maryline Baumard

Les mineurs se retrouvent souvent en situation d'attente. S'ils ont la chance d'être hébergé, leurs journées se résument à dormir, manger, se rendre à des rendez-vous dans l'espoir d'une régularisation. À Nantes, un réseau associatif se démène pour leur venir en aide. Le 10 mai 2016 à Nantes.
Les mineurs se retrouvent souvent en situation d'attente. S'ils ont la chance d'être hébergé, leurs journées se résument à dormir, manger, se rendre à des rendez-vous dans l'espoir d'une régularisation. À Nantes, un réseau associatif se démène pour leur venir en aide. Le 10 mai 2016 à Nantes. ADELINE PRAUD/BELLAVIEZA POUR LE MONDE

Toujours épuisés, souvent victimes de violences, ils débarquent un beau jour dans une ville française. Les mineurs étrangers isolés sont de plus en plus nombreux dans les campements à Paris, Calais mais aussi dans des villes moyennes. Ils seraient de 8 000 à 10 000 en France métropolitaine, selon France Terre d’Asile, autant en outre-mer. Après un hébergement de quelques jours payé par l’Etat, le temps de vérifier leur âge, un nouveau parcours d’obstacles commence.
Dans la petite cuisine vétuste, d’une maison nantaise, Aboubakari mélange au fond d’un gros fait-tout des oignons bruns, des carottes et des choux. Le garçon joue sa réputation sur son « riz gras » du soir. A chaque instant, il goûte et assaisonne, l’œil rivé sur les trois kilos de riz qui cuisent à côté. Le chemin qui a mené Aboubakari du Mali en France a été long, mais depuis quatre mois, il dort dans le même canapé, assure ses tours de cuisine et de ménage, comme les vingt-quatre autres garçons d’un des deux squats d’adolescents de la ville.
Aboubakari est arrivé en octobre 2015 à Nantes. Envoyé à l’hôtel par l’association mandatée par le conseil départemental, il a raconté son histoire et montré ses papiers. « Le 28 décembre, le gérant a repris ma clé de chambre et m’a mis dehors. » L’association, qui a refusé de répondre à nos questions, a estimé qu’il avait plus de 18 ans, que son extrait de naissance, pourtant authentifié, n’était pas le sien. Alors pour éviter de dormir à la rue, il a rejoint la « maison des enfants », comme on l’appelle ici.
Aboubakari n’est pas un cas isolé. Ses colocataires, Guinéens, Maliens, Camerounais, Bangladais ou Pakistanais, ont aussi vu leur minorité niée par le conseil départemental. La prise en charge des mineurs étrangers isolés incombe au département et lui coûte cher, 12 millions d’euros en 2015. A l’été 2015, le conseil départemental de la Loire-Atlantique a tout simplement décidé d’arrêter de les accueillir, avant d’être condamné dix-neuf fois par la justice.« Comme le département faisait la sourde oreille aux premiers jugements, le juge a ajouté ensuite une astreinte financière pour qu’il recommence à héberger les enfants », rappelle Yann Chaumette, un des avocats qui suit le dossier.
70 % des enfants isolés pris en charge
Les associations estiment que les départements minorent de plus en plus le taux de reconnaissance des moins de 18 ans pour rester financièrement à flot… Ce serait vrai pour la Loire-Atlantique et pour tous les autres lieux d’arrivées importantes. Depuis 2015, les adolescents migrent de plus en plus souvent seuls, selon les informations du Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR). Ainsi, 51 mineurs ont choisi Nantes pour terminus en 2011 et 430 en 2015, rappelle Fabienne Padovani, la vice-présidente (PS) aux familles et à la protection de l’enfance du conseil départemental.






À Nantes, le quartier Madeleine Champ-de-Mars accueille plusieurs associations d'aide aux migrants. Au 33 de la rue Fouré, la délégation régionale de Médecins du monde reçoit tous les mardi après-midi les Mineurs étrangers isolés (MEI), désormais appelés Mineurs non accompagnés (MNA) à la suite de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant.
À Nantes, le quartier Madeleine Champ-de-Mars accueille plusieurs associations d'aide aux migrants. Au 33 de la rue Fouré, la délégation régionale de Médecins du monde reçoit tous les mardi après-midi les Mineurs étrangers isolés (MEI), désormais appelés Mineurs non accompagnés (MNA) à la suite de la loi du 14 mars 2016 relative à la protection de l’enfant. Adeline Praud / Bellavieza pour "Le Monde"

« Ici, environ 70 % des enfants arrivés seuls sont pris en charge, mais ce taux baisse », regrette Carine Rolland, une médecin généraliste bénévole de Médecins du monde (MDM), pivot de la mission nantaise consacrée à ce public. Face aux dénis de minorité les plus manifestes, la justice est sollicitée. « Il y a quelques semaines, il a suffi au juge des enfants de recevoir Bouna pour conclure qu’il avait nettement moins de 18 ans. D’autres fois, lorsque le département estime qu’un extrait de naissance n’appartient pas à un jeune, on tente de récupérer les extraits de naissance du reste de la famille pour prouver qu’il n’a pas usurpé d’identité », explique Amandine Le Roy, avocate. « Reconnaître le droit à l’enfance de ces garçons est essentiel », observe-t-elle. Cela leur permet d’accéder à une protection aujourd’hui et après leur majorité. Dans le cas contraire, toutes les portes se ferment : logement, école, accès aux soins… « Quand on réfute la minorité d’un jeune qui a des papiers prouvant qu’il a 16 ou 17 ans, on le tient du même coup à l’écart des Restos du cœur prévus pour les adultes », s’insurge Carine Rolland.
Installées dans la même rue à Nantes, la Cimade, Gasprom et Médecins du monde forment un réseau d’aide, complété par le Réseau éducation sans frontières (RESF) et le collectif UCIJ, Uni(e)s contre une immigration jetable. « Chacun intervient avec ses compétences », observe Michel Rafin, de Gasprom. Pour RESF, Bahija Kourisna, une enseignante du public, frappe aux portes du privé « puisque le rectorat refuse de scolariser ceux que le département veut faire passer pour majeurs ».
« C’est du low cost »
Et tous les mardis, Carine Rolland tient une permanence. Un lieu d’écoute et bien plus. Le 10 mai, Mamadou, un jeune Malien, raconte une nouvelle fois son histoire, comme pour exorciser son mal. « Depuis que j’ai vécu dans la forêt, que j’ai marché sans fin dans le désert, que j’ai été poursuivi par les policiers à Ceuta et que mon ami Amara, avec qui j’étais parti, est mort… il y a cette voix qui m’appelle, me poursuit », confie-t-il. Le docteur Rolland écoute, lui prend une main, lui offre un sourire profond. Elle vérifie qu’il prend bien son traitement. Elle veut le revoir très vite, inquiète de laisser repartir un gamin aussi mal en point.
En 2015, la Loire-Atlantique a dépensé 112 millions d’euros pour les mineurs, 12 millions pour les étrangers. Avocats et associations dénoncent aujourd’hui une différence de prise en charge entre le public français et étranger. « Vous imaginez mettre en hôtel des jeunes Français, avec un éducateur qui passe de temps à autre », s’insurge la responsable du plaidoyer pour les mineurs de MSF. Car ce qui est vrai à Nantes l’est aussi à Paris ou ailleurs.« Ce système est déficient et inéquitable », insiste Anaïs Clech, une éducatrice nantaise qui offre bénévolement son temps. « C’est du low cost », renchérit Yann Chaumette. Le coût quotidien de la prise en charge d’un étranger est bien inférieur à celui d’un jeune Français suivi par l’aide à l’enfance. Des critiques balayées d’un revers de main par Mme Padovani pour qui« cette formule de l’hôtel est celle qui correspond le mieux à ces jeunes ». Le débat n’est pas clos. Cinquante nouveaux mineurs arrivent chaque mois à Nantes. Et de l’avis général, cette migration adolescente s’amplifie ce printemps.

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