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mercredi 20 avril 2016

Pédophilie : les témoignages se multiplient sur Internet

LE MONDE  | Par Emeline Cazi
YASMINE GATEAU
Trois mots dans le titre et une simple phrase suffiront, a estimé « Mathilde » en rédigeant son appel à témoignages. « Parole anonyme », une autre victime sous pseudo,a préféré, au contraire, raconter précisément ce jour où, en colonie de vacances, la main du prêtre infirmier s’est attardée sur le sexe de la fillette de 8 ans qu’elle était. C’était au « chalet des forêts », à Boëge, en Haute-Savoie. Qui sait si un détail ne réveillera pas des souvenirs ? Depuis la révélation des actes de pédophilie commis par un prêtre lyonnais dans les années 1970 et 1980, des personnes qui se disent victimes de faits similaires sortent de leur silence. Depuis peu, La Parole libérée, qui a contribué à briser des années d’omerta, accueille même des avis de recherche.
Il y a des hommes et des femmes derrière ces écrits livrés souvent avec appréhension sur la Toile. Ils ont 40, 50, voire 60 ans. Jean-Pierre Martin-Vallas en a même 70 et s’appelle ainsi dans la vraie vie ; quand « Lalie » est le nom qu’a choisi cette habitante des Hautes-Pyrénées pour tout balancer : c’était à Lourdes, dans les années 1970. Elle avait 5 ou 6 ans, la première fois. L’homme était prêtre, mais aussi le frère de sa grand-mère.

Les proches de « Lalie »savent depuis une quinzaine d’années. Il n’empêche, Marie-Pierre – de son vrai prénom – se débat, comme beaucoup, seule ou sur le divan d’un psy, avec son passé. Depuis qu’en janvier a éclaté l’affaire du père Bernard Preynat, accusé d’attouchements sexuels sur des scouts de Sainte-Foy-lès-Lyon (Rhône) dans les années 1970 et 1980, elle n’a rien manqué de ce qui se disait, s’écrivait sur la pédophilie dans l’Eglise. Au début d’avril, l’évêque de Pontoise, Mgr Lalanne, intervenait sur le plateau de « C dans l’air ». Les mots n’étaient, selon elle, « pas à la hauteur ». De colère, le lendemain, elle a lancé un appel à témoins : « J’ai été violée à Lourdes (…), je n’étais pas la seule enfant (…), je recherche d’autres victimes. »
Le choix de le poster sur le site de l’association La Parole libérée fut une évidence. Depuis trois semaines, un mois, les avis de recherche fleurissent sur le forum. Une petite dizaine sont rangés dans une rubrique spécifique, mais d’autres se mêlent aux témoignages. Cette plate-forme, créée dans l’urgence de décembre par d’anciens scouts du père Bernard Preynat qui recherchaient d’autres victimes, a très vite attiré des histoires similaires. Les récits, arrivés de toute la France, datent souvent. Mais on vient, là, déposer son paquet par e-mail, certain que ces pères de famille abusés gamins et qui parlent désormais face caméra comprendraient la honte, les années de silence.
L’effet libérateur des révélations
Trouver du réconfort auprès de ceux dont les proches n’ont pas su les entendre reste une des premières raisons de visite du site. Ses fondateurs et deux psychologues bénévoles répondent aux messages, orientent vers des confrères. Des groupes d’échanges se sont formés. On y parle des angoisses, des cauchemars qu’une odeur, même fugace, ravive. Mais à présent, on vient aussi chercher des témoins du passé, en espérant secrètement ne pas avoir été l’unique victime.
« Si quelqu’un répond à mon appel, ça change tout. Même si nous ne sommes que deux, je ne serai plus seule, j’irai rencontrer cette personne », confirme Marie-Pierre. Et après ? Après, elle n’y a pas vraiment réfléchi. Les faits sont prescrits. Son agresseur principal est mort. Mais un témoin la conforterait au moins dans sa vérité. « Et puis, il y avait un autre curé avec des lunettes foncées, poursuit-elle. De toute façon, je ne supporte plus de garder tout cela. J’ai trouvé la force de parler, j’ai une responsabilité pour tous ceux qui n’y arriveront pas. » Ceux dont les faits sont trop anciens espèrent trouver une personne « non prescrite ». L’affaire pourrait alors connaître une issue judiciaire. Lundi 17 février, la mère d’une victime, « Mam Lili » est venue demander si certains du diocèse de Bayonne s’étaient manifestés, « avant de développer plus longuement une situation complexe ».
L’effet libérateur qu’ont eu les révélations lyonnaises est indéniable. « Si ces pères de famille osent parler et demander des comptes à l’Eglise, pourquoi pas moi ? », s’interrogent ceux qui s’étaient tus jusqu’alors. Des personnes se sont récemment confiées à leurs proches. Voire sur Facebook. Jean-Pierre Martin-Vallas, lui, a retrouvé de l’énergie. Abusé, dit-il par l’aumônier d’un collège jésuite parisien, dans les années 1950, il avait commencé, en 2010, à rechercher des anciens tout en demandant des comptes à l’institution. La lassitude avait fini par le gagner après quatre années d’échanges infructueux, relatés d’ailleurs sur un blog. Ce site, laissé en sommeil pendant deux ans, a été réactivé le 8 mars. Le premier message est une dédicace aux gars de La Parole libérée, qu’il « remercie d’avoir rendu [leur] combat public ; et par là même de [l]’encourager à reprendre le [s]ien ». Le 7 avril, il publiait un nouvel« appel à témoignages ».
« Il est hors de question de me taire »
Plus inattendue est l’alerte lancée par une architecte parisienne. Géraldine n’est ni victime, ni la mère de l’une d’elles. « Je suis lyonnaise. J’étais scoute au groupe Saint-Luc. » Découvrir le deuxième visage du père Preynat qu’elle « adorai[t] » fut un premier choc. Apprendre par une amie que leur aumônier de collège, dans le sud des Hauts-de-Seine, aurait, lui aussi, fait des victimes, un second. « Aujourd’hui, je me retrouve dans la même situation que ces gens qui savaient et n’ont rien dit. Je suis très catho, je ne veux pas salir l’Eglise, mais il est hors de question, maintenant que je sais, de me taire. Ce prêtre est toujours en exercice. »
Pour les victimes de pédophilie, les Lyonnais de La Parole libérée sont devenus les personnes à contacter. Parfois il n’est question ni de prêtre ni de religieuse, mais d’un médecin de la Sarthe ou d’un archéologue normand que des enfants devenus grands veulent dénoncer. Déposez plainte, « même si les faits sont prescrits », conseille alors François Devaux, l’un des fondateurs de l’association, « cela étayera un dossier »« Vous pouvez aussi vous inscrire sur notre forum pour échanger », ajoute-t-il. Enfin, « médiatisez ». A ce sujet, il dit connaître « des journalistes de confiance » qui pourraient être intéressés par leur histoire.

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