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vendredi 18 mars 2016

Comment une poignée de neurones contrôle la douleur

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO| Par Florence Rosier

Une équipe internationale a identifié, dans le cerveau du rat, 30 neurones (en vert) qui contrôlent la douleur, parmi d’autres neurones (en bleu) qui produisent de l’ocytocine.
Une équipe internationale a identifié, dans le cerveau du rat, 30 neurones (en vert) qui contrôlent la douleur, parmi d’autres neurones (en bleu) qui produisent de l’ocytocine. Valery Grinevich

Hormone de l’accouchement, de l’allaitement et de l’attachement, mais aussi de l’apaisement de certaines douleurs, l’ocytocine n’en finit pas d’inspirer l’étonnement. En témoignent les subtils mécanismes de son action antidouleur, qui viennent d’être décryptés le 3  mars dans la revue Neuron.
« Nous avons découvert que l’ocytocine peut contrôler la douleur par le biais d’une trentaine de neurones seulement chez le rat ! L’activation de ces seuls neurones suffit pour diminuer de 30 % à 40 % une douleur inflammatoire chez ce rongeur. Qu’un si petit nombre de cellules exerce une telle action physiologique a été une vraie surprise », témoigne Alexandre Charlet, de l’Institut des neurosciences cellulaires et intégratives du CNRS et de l’université de Strasbourg.
Chez l’homme, ces neurones seraient au nombre de quelques centaines. « Cette extrapolation est possible car les circuits nerveux utilisant l’ocytocine sont très conservés entre le rat et notre espèce », ajoute le chercheur, qui a coordonné cette étude internationale, avec le Centre allemand de recherche sur le cancer (DKFZ) d’Heidelberg.

Peu nombreux mais puissants

L’ocytocine est produite dans une petite structure de la partie inférieure du cerveau : l’hypo­thalamus. « A l’origine, nous voulions comprendre les mécanismes de “décharge” de l’ocytocine : cette hormone est libérée selon un rythme oscillatoire, raconte Alexan­­dre Charlet.Nous savions que cette activité pulsatile repose sur la communication entre deux noyaux de l’hypothalamus. »
C’est ainsi que les chercheurs « mettent le doigt » sur ces trente petits neurones, situés dans l’hypothalamus. Et qu’ils découvrent – autre motif d’étonnement – que ces cellules agissent par un double processus.
Lorsque nous sommes victimes d’une brûlure ou d’une coupure, un message « douloureux » est véhiculé par les nerfs périphériques jusqu’aux neurones de la moelle épinière. Ceux-ci l’interprètent et le codent, puis le transmettent à des cellules du cerveau. Parmi elles : cette « poignée » de neurones de l’hypothalamus, qui activent une famille de gros neurones très proches, puisque également situés dans l’hypothalamus.
Résultat, ceux-ci libèrent l’ocytocine qu’ils produisent dans la circulation sanguine. A distance, l’ocytocine ira ainsi endormir les neurones périphériques qui convoient le message nociceptif, atténuant la sensation douloureuse. Tel est le premier mode d’action de cette trentaine de neurones.
Peu nombreux, mais puissants. Car, en parallèle, ils possèdent un long axone ; cette fibre nerveuse qui prolonge le neurone, et peut atteindre un mètre chez l’humain, rejoint les couches profondes de la moelle épinière. Là précisément où le message sensoriel est codé en intensité. Là aussi où ces neurones libèrent l’ocytocine qu’ils produisent eux-mêmes. Ainsi, par deux voies simultanées, ils émoussent la force du message douloureux.

Les retombées cliniques, pour l’heure, restent très théoriques

Pour autant, cette poignée de neurones est loin d’être seule à participer au contrôle de la douleur. « On parle d’une “matrice de la douleur”, qui mobilise de très nombreuses zones cérébrales créant, interprétant ou modulant la réponse à la douleur, résume Alexandre Charlet. Les zones capables de créer une analgésie (même sans ocytocine) sont très nombreuses, depuis le tronc cérébral jusqu’au cortex, en passant par l’amygdale, un noyau crucial dans la régulation des émotions. » Car la douleur est une émotion, au même titre que la peur ou encore la joie.
« Il faut saluer l’élégance extrême de cette étude », disent d’une même voix la professeure Isabelle Décosterd, directrice du Centre de traitement de la douleur du CHU de Lausanne (Suisse), Luis Villanueva, de l’Inserm, à l’hôpital Sainte-Anne (Paris), et Eric Lingueglia, du CNRS à l’université de Nice-Sophia Antipolis.
« Les auteurs ont combiné intelligemment les techniques les plus modernes d’analyse du système nerveux. » Ils ont ainsi fait appel à des vecteurs viraux, ­induisant l’expression de molécules fluorescentes dans ces cellules, ce qui a permis de les visualiser, mais aussi à l’optogénétique afin d’activer spécifiquement ces neurones par de la lumière.
Les retombées cliniques, pour l’heure, restent très théoriques. Mais « un système aussi puissant que celui-ci, s’il se dérègle, pourrait avoir un rôle très important dans la pérennisation des douleurs chroniques », note Luis Villanueva. D’autant que l’hypothalamus est au centre de la régulation du système du stress, qui a lui-même un impact majeur dans le contrôle de la douleur.

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