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lundi 29 février 2016

Sortir la déficience intellectuelle de l’ombre

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO  | Par Sandrine Cabut
Exemple de test de quotient intellectuel pour enfants, fondé sur les matrices progressives de Raven.
Exemple de test de quotient intellectuel pour enfants, fondé sur les matrices progressives de Raven. wikimedia
« Qu’est-ce qui vous soucie avec votre petite fille ? », demande le docteur David Germanaud. Ce matin de février, le neuro­pédiatre et chercheur commence sa consultation à l’hôpital Robert-Debré (AP-HP) avec Clara (prénom changé), 6 ans, et ses parents.
Comme la plupart des jeunes patients que prend en charge ce spécialiste des troubles neuro-développementaux, la fillette ne se développe pas tout à fait comme les autres enfants. Chez certains, ce sont des troubles du comportement qui sont au premier plan. Chez d’autres, comme Clara, ce sont des difficultés cognitives, qui perturbent les acquisitions précoces ou les apprentissages scolaires.
« Ce qui nous tracasse, c’est son retard par rapport aux camarades de son âge. Au quotidien elle progresse, mais on sent un décalage », décrit le père, la fillette sagement assise sur ses genoux. Guidés par les questions du médecin, les parents retracent le parcours de Clara, les démarches entreprises.

Un niveau de compréhension limité

Quand elle était bébé, ils se sont demandé si elle n’avait pas un problème d’audition, car elle ne réagissait pas tellement lorsqu’ils l’appelaient. Puis en première année de maternelle, ils ont pensé qu’elle était particulièrement timide. Elle n’avait pas d’échange avec la maîtresse, alors qu’elle était sociable à la maison.
Progressivement, ils ont réalisé que son niveau de compréhension restait limité, son langage basique. Des professionnels de santé ont été consultés ; une prise en charge organisée en orthophonie, psychomotricité et orthoptie.
Clara et sa famille sont entrés de plain-pied dans le monde du handicap, avec une reconnaissance de ce statut par la Maison départementale des personnes handicapées, qui ouvre l’accès à certains soins comme l’accompagnement par une auxiliaire de vie scolaire.
En fin de grande section, Clara a rencontré à deux reprises la psychologue scolaire, et les enseignants ont dit aux parents que « le plus raisonnable » était une orientation en classe pour l’inclusion scolaire (CLIS). Mais beaucoup de questions restaient sans réponse et les parents ont hésité.

De nombreuses questions

« Je me demandais si Clara ne devait pas plutôt redoubler la grande section ou passer au CP avec une aide. On était perdus. Finalement, elle a intégré une CLIS cette année, mais je ne sais pas si c’est la bonne option », avoue la maman.
David Germanaud prend son temps pour consulter les documents apportés par le couple, examiner l’enfant, faire de « petits jeux » avec elle. Il reconstitue précisément l’arbre généalogique, à la recherche de difficultés équivalentes chez les trois frères et sœurs de Clara, les parents, les cousins… Ce n’est pas le cas.
Le neuropédiatre questionne aussi soigneusement la maman sur sa grossesse : a-t-elle souffert de maladies ou été victime d’un accident ? A-t-elle pris des médicaments, même avant de se savoir enceinte, consommé de l’alcool, du tabac ou d’autres substances ? Là non plus, rien d’évident.
A l’issue de cette consultation spécialisée, que les parents attendent depuis plus de six mois, il lui faudra répondre à leurs nombreuses questions, et plus particulièrement à deux, essentielles pour la prise en charge : qu’est-ce qui fonctionne moins bien dans le cerveau de leur enfant pour la mettre en difficulté, et pourquoi ?

Repérer les points forts

« Une personne sur trois doit porter des lunettes car la nature ne sait pas fabriquer de bons yeux à tout le monde. Elle ne fait pas beaucoup mieux pour le cerveau », dit le docteur Germanaud en préambule. Puis il met des mots précis sur les problèmes de cette petite fille :
« La compréhension qu’elle a du monde n’est pas celle d’une enfant de 6 ans, mais plutôt de 4. Elle a une déficience intellectuelle modérée à légère. Chez Clara, celle-ci est isolée, c’est-à-dire qu’elle n’est pas associée à d’autres anomalies de son développement. »
Des termes que ces parents semblent entendre pour la première fois. Souvent, les professionnels ne sont pas à l’aise pour aborder avec les familles la question de la déficience intellectuelle, autrefois appelée retard mental. Ici, le couple paraît soulagé de cette démarche de transparence, menée avec bienveillance.
« Ce n’est pas parce qu’elle est globalement gênée qu’elle n’a pas des points forts, parmi d’autres plus faibles. Ses points forts, il faut les repérer et être un peu plus exigeant. Pour le reste, il faut être tolérant, accepter que certaines de ses réactions vous semblent un peu étranges parce que décalées », poursuit David Germanaud. Il rassure aussi les parents sur la pertinence de l’accompagnement et des choix faits jusque-là pour Clara.
Un constat rassurant, mais pas si courant d’après l’expérience de ce médecin. Dans la majorité des cas, à cet âge-là, les difficultés des enfants n’ont pas été convenablement identifiées et les prises en charge adaptées restent à mettre en place ou sont toujours « en attente » sans raisons valables.
David Germanaud propose ensuite aux parents de revenir pour des examens complémentaires, à la recherche d’un « pourquoi ». « Dans le cas de Clara, où il n’y a pas de cause évidente, on trouve seulement une fois sur trois, dit-il. Ces examens peuvent néanmoins nous aider à mieux comprendre l’enfant, et anticiper certains aspects de sa prise en charge. Et puis, identifier une cause permet de savoir s’il peut parfois y avoir d’autres personnes concernées dans la famille. Cela arrive avec certaines anomalies génétiques. »

1 000 pages, 2 500 références

Ce 1er mars, l’Inserm devait rendre publique une expertise collective sur ce vaste sujet des déficiences intellectuelles (DI), lors d’un colloque à Paris. Les DI sont définies par un déficit des fonctions intellectuelles (mesurées notamment par le QI) et du comportement adaptatif associé. Fruit de trois ans de travail, cet ouvrage de 1 000 pages s’appuie sur 2 500 références scientifiques. Une initiative bienvenue pour mettre un coup de projecteur sur ces handicaps qui touchent au total de 1 % à 2 % de la population mais restent méconnus, voire tabous dans le grand public et même parfois chez les professionnels.
« Ce travail permet de repenser les déficiences intellectuelles en termes scientifiques, et c’est important parce que la bientraitance passe par la connaissance », souligne le professeur Vincent des Portes, l’un des douze experts, en insistant sur la grande hétérogénéité des DI et leurs causes multiples.
Selon ce neuropédiatre (Centre de référence national des déficiences intellectuelles de causes rares, Lyon), il y a un paradoxe entre, d’un côté, la bonne volonté et la créativité des aidants familiaux et professionnels, et les moyens engagés, et, de l’autre, le sentiment de carences, de parcours du combattant. « Il faut voir cette expertise collective comme une boîte à outils pour les professionnels et les familles mais elle n’a pas pour autant vocation à dicter à chacun sa feuille de route », conclut-il.

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