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lundi 22 février 2016

Sexe contre religion, est-ce une fatalité ?

Le Monde.fr Par 

"L'Extase de Sainte Therese d'Avila (1515-1582)" dans la chapelle Cornaro de Santa Maria della Vittoria à Rome. Sculpture en marbre de Gian LorenzoBernini, dit Le Bernin .
"L'Extase de Sainte Therese d'Avila (1515-1582)" dans la chapelle Cornaro de Santa Maria della Vittoria à Rome. Sculpture en marbre de Gian LorenzoBernini, dit Le Bernin . DE AGOSTINI / LEEMAGE

Vous voulez améliorer votre vie sexuelle ? Cessez cet obscène plan à trois avec votre partenaire et Dieu. Roulez-moi ce tapis de prière, balancez ce crucifix, revendez votre menora sur eBay. L’option semblera un peu brutale aux croyants, elle a pourtant été observée scientifiquement : la sexualité se porte mieux sans l’œil du Jugement dernier dans la chambre à coucher. Surtout quand le jugement est réprobateur, avec un potentiel aller simple pour l’enfer.

En ces temps de sextapes révélées et de fuite des données, l’idée d’un dieu voyeur hante nos cauchemars. Internet fête cette année les dix ans d’un de ses plus fameux phénomènes : le ceiling cat. Les spécificités de cet adorable matou du plafond ? 1) Il regarde quand nous nous masturbons, 2) justement parce qu’il regarde, il est considéré comme le dieu d’Internet (il possède sa propre Bible).

Alors posons la question qui fâche : la scrutation divine influence-t-elle notre vie sexuelle ? Pas au niveau des pratiques. Les enfants de chœur ne deviennent pas des oies blanches : qu’on parle de comportement sexuel, de fréquence des rapports ou de premières expériences, les plus pieux d’entre nous restent des créatures de chair. Ils regardent autant de pornographie que les autres, voire plus (les pays les plus restrictifs sont les plus pornovores). Ils sont aussi infidèles que le président de votre choix. Leur satisfaction sexuelle est bonne, d’autant que les mariages sont solides.

Plus on est religieux, plus les plaisirs sont coupables


Alors, rien à déclarer ? C’est plus compliqué que ça. Car quand on demande à ceux qui ont quitté leur religion (le plus souvent chrétienne) d’en expliquer les conséquences, 55 % des personnes interrogées rapportent une monumentale amélioration de leur vie sexuelle, contre 30 % qui n’ont pas observé de changement et 2 % qui ont noté une détérioration. 

Plus on a été religieux, plus la bonification est radicale. Vous m’objecterez que ces apostats peuvent avoir des griefs contre une foi qu’ils ont rejetée ? Je vous contre-objecterai que seuls des apostats, et de nouveaux convertis, peuvent comparer l’avant/après.

Comment expliquer une telle amélioration ? Trois raisons possibles. La première, c’est bien sûr la culpabilité associée à la sexualité dans les grands monothéismes. Plus on est religieux, plus les plaisirs sont coupables (les mormons et les Témoins de Jéhovah étant les pires options à cet égard). Mentionnons ensuite des carences en termes d’éducation sexuelle, avec 50 % de foyers très fervents interdisant toute conversation sur le miel et les abeilles. N’oublions pas enfin le poids de la communication sexuelle. Alors que les personnes sans religion ne sont que 4 % à penser que c’est mal de parler de ses fantasmes avec son/sa partenaire, on grimpe à 40 % pour les personnes religieuses.

Cette friction entre sexe et religion trouve son acmé dans la censure. Le simple fait de donner un coup de ciseaux dans un corps (prépuces et clitoris, espèces religieuses en danger) ou dans une œuvre d’art signifie qu’il faudrait choisir son camp : c’est soit Dieu, soit le sexe. Une lutte à mort dont l’Antichrist de Lars von Trier a été victime tout récemment, mais la liste est longue, qui va de Salman Rushdie à Paul McCarthy. Outre ces cas médiatisés, Dieu s’incruste dans nos débats, sur la pointe des pantoufles, en brouillant les définitions. Un exemple tout simple : qu’est-ce que la pornographie ? (Et par extension : que peut-on censurer ?) Selon une étude publiée dans la revue scientifique Journal of Sexual Research, la plupart d’entre nous sont d’accord pour y faire figurer la pénétration explicite, la représentation d’une masturbation, le plan à trois ou la zoophilie. 

Mais presque la moitié des répondants y ajoutent les modèles en maillot de bain, les personnes en sous-vêtements prenant une pose sexy, ou les séquences de nudité floutées filmées dans les clubs de strip-tease. A quoi sont dues ces différences de conception ? Principalement au statut marital… et à la religion. Plus on croit, plus on a tendance à voir du X partout – avec à la clef, la tentation de « protéger » une société qui n’a rien demandé.


Des règles à transgresser


Sexe contre religion, est-ce une fatalité ? Côté pile, on répondra que oui. Le pouvoir religieux s’appuie sur le contrôle de nos pratiques les plus intimes (de la nourriture au choix du partenaire) – on peut même avancer que la religion, pour survivre, a besoin d’envahir les chambres à coucher. Ainsi parmi les articles les plus consultés du site Fatwaislam.com, qui recense des fatwas, avis juridiques donnés dans la religion musulmane, un tiers concerne le couple ou la sexualité, avec des thématiques couvrant autant la masturbation que les rapports sexuels ou l’adultère. Même son de cloche chez les rabbins, avec pas moins de 2 000 questions posées sur la sexualité sur la plate-forme juive Cheela.org, et autant sur le couple ou la pudeur. Les fidèles seront cadrés jusque dans les moindres détails ! Quant au pape, il persiste à nous exhorter à l’abstinence pour lutter contre le sida – le sexe, tellement dangereux qu’il sort carrément de l’équation. Censuré de A à Z, comme Zika.

Cependant, côté face, la religion peut être instrumentalisée pour encanailler les relations. Elle donne des règles à transgresser : à ce titre, elle fait partie du socle de notre érotisme. On trouve en ligne quantité de fanfictions pornographiques et ironiques mettant en scène Jésus et Hitler, Jésus et Shrek, Jésus et Dieu (tadaam), Judas, Mahomet… Les costumes de bonne sœur font toujours recette pendant les orgies, on y utilise des croix (de Saint-André), le fantasme de la femme voilée se porte bien (deux millions et demi de résultats sur Google), les mormons sont désormais une niche pornographique (un million et demi de résultats). On se perdrait à énumérer les formes de spiritualité utilisant l’orgasme comme connexion avec le divin, du tantrisme à la méditation orgasmique, en passant par le Cantique des Cantiques ou certaines formes de mysticisme chrétien (salut Thérèse*). Les choses ne sont donc pas si noires ou blanches : nous irons tous au purgatoire.

Alors, concilier sexualité et religion ? C’est possible si la sexualité est l’objet et/ou le moyen de la religion en question. C’est possible si on accepte, en toute conscience, que la religion soit un perturbateur – Dieu dans nos draps, Dieu faufilé en sandwich entre les amants, et tant pis s’il faut sacrifier sa bonne conscience et ses noirs fantasmes au passage. C’est possible enfin si on transcende cette contrainte : instrumentaliser sa religion pour titiller ses zones interdites, en réveiller les potentiels érotiques, en jouer, en jouir. Les premiers seront les derniers, et les plus saints, les plus pervers…
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* « Il me semblait l’enfoncer [une lame d’or] plusieurs fois dans mon cœur et atteindre mes entrailles : lorsqu’il la retirait, il me semblait les emporter avec lui, et me laissait toute embrasée d’un grand amour de Dieu. La douleur était si grande qu’elle m’arrachait des soupirs, et la suavité que me donnait cette très grande douleur, était si excessive qu’on ne pouvait que désirer qu’elle se poursuive… » - Thérèse d’Avila.

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