Un conte me traumatisait enfant et, à le relire, parvient encore à me faire frissonner : la Chèvre de Monsieur Seguin d’Alphonse Daudet. La mignonne Blanquette à laquelle on s’attache finit dans la gueule du loup après une journée de plaisir intense à gambader dans la montagne. «Alors le loup se jeta sur la petite chèvre et la mangea.» Ce sentiment de peur lié à une identification à la chèvre se trouve partagé (comme sans doute bien d’autres lecteurs) avec Hélène Merlin-Kajman qui l’analyse dans un chapitre du bien nommé essai Lire dans la gueule du loup.
De ce simple texte, cette professeure de littérature du XVIIe siècle à la Sorbonne Nouvelle Paris-III explique qu’elle saurait aujourd’hui comment le lire à un enfant : «En faisant ressortir les passages moqueurs sans rien leur retirer de leur tendresse ; et en exagérant, de façon un peu comique, l’attitude du loup afin de la théâtraliser, de transformer son personnage en rôle et de catalyser ainsi l’effroi qu’il cause.» Un habile commentaire pourrait ainsi atténuer l’épouvante d’une lecture de premier degré au profit d’une catharsis. C’est l’enseignante qui parle, qui ne renie pas l’affect, au contraire, comme nous allons le voir.