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mardi 12 janvier 2016

Le suicide du Pr Jean-Louis Megnien à l'AP-HP appuie l'idée d'encadrer le mandat de chef de service

LE FAIT

Un chef de service peut-il rester à vie en poste ? Un peu extrême, la question reflète pourtant une certaine réalité dans nombre d'hôpitaux. Et le suicide du Pr Jean-Louis Megnien à l'AP-HP la relance. Car ces médecins occupent désormais une telle place managériale qu'ils se doivent d'être plus sérieusement évalués et de rendre des comptes.

L'ANALYSE

Parmi les mesures énoncées le 4 janvier après le suicide du Pr Jean-Louis Megnien par défenestration sur son lieu de travail à l'hôpital européen Georges-Pompidou (HEGP), le directoire de l'Assistance publique-hôpitaux de Paris (AP-HP) a notamment émis son intention de "rétablir une durée limite au mandat de chef de service", avec une évaluation médicale et paramédicale avant tout renouvellement (lire ci-contre). Sollicité parHospimedia, le CHU francilien a toutefois précisé qu'aucune durée précise n'a encore été définie, laissant juste entendre que l'établissement souhaite suivre les orientations du projet de loi de modernisation de notre système de santé, qui table sur une durée limite de quatre ans. Présenté d'ailleurs en fin d'année aux intersyndicales de praticiens hospitaliers, le projet de décret — dont Hospimedia a obtenu copie (à télécharger ci-contre) — prévoit précisément que "les responsables de services, de départements, de structures internes ou d'unités fonctionnelles sont nommés pour une période de quatre ans renouvelable"*. Par ailleurs, "dans les deux mois suivant leur nomination, le directeur propose aux praticiens nommés dans les fonctions de responsable de services, de départements, de structures internes ou d'unités fonctionnelles une formation adaptée à l'exercice de leurs fonctions". Enfin, il est également inscrit que le règlement intérieur définit "les principes de la formation et de l'évaluation des fonctions des chefs de service et des responsables des départements, unités fonctionnelles et autres structures internes".

Un des méfaits de la loi HPST

Cette question de la limitation du mandat des chefs de service fait débat. Historiquement, ils l'étaient à vie, avant d'être supprimés par la loi en 1984 puis réintroduits deux ans plus tard mais cette fois sur des mandats de cinq ans renouvelable. D'ailleurs comme le rappelle l'AP-HP, ses chefs de service disposaient de mandat de cinq ans jusqu'au 3 mai 2005 puis, jusqu'à l'application de la loi HPST à l'été 2009, de quatre ans. Mais la loi HPST ayant transformé les services en structures internes des pôles, les services devenant de facto "une structure facultative", aucune durée de mandat n'a alors été fixée, souligne le CHU francilien. Plus de mandat donc pour des postes censés ne plus exister mais qui, dans la réalité, ont très souvent perduré passé HPST comme si de rien n'était. D'où ce retour en arrière à venir via le projet de loi de modernisation de notre système de santé. Toutefois, au contraire des présidents de commission médicale d'établissement (CME), qui sont clairement restreints à deux mandats consécutifs de quatre ans maximum, aucun nombre limite de mandats n'est envisagé : l'aspect "renouvelable" pourra, dès lors qu'un chef de service décroche une bonne évaluation, le reconduire sans fin en chefferie. À noter que s'agissant des chefs de pôles, la notion de "renouvelable" ne se pose même pas puisqu'aucune notion de durée n'a été fixée dans le mandat.
"Arrêtons de hurler ! Ce n'est pas la durée qui est en cause mais l'évaluation ou plutôt l'absence d'évaluation. Quelqu'un qui est mauvais est mauvais tout de suite, il n'a donc pas à devenir chef de service."
À la Coordination médicale hospitalière (CMH), le Dr Norbert Skurnik se déclare farouchement opposé à toute limitation du mandat des chefs de service, rappelant que ce poste concerne avant tout une spécialité médicale qui ne nécessite aucun couperet mais, au contraire, une stabilité dès lors qu'on a su nommer "la bonne personne au bon endroit". En revanche, s'agissant des critères d'évaluation, il s'agirait notamment d'instaurer une commission des pairs à l'échelon national pour pleinement élaborer une liste d'aptitudes par spécialité : "Prenez un chef de service de neurochirurgie, qui mieux qu'un autre neurochirurgien peut le juger ?". Pas simple d'établir des critères objectifs, note le Dr Jacques Trévidic à la Confédération des praticiens des hôpitaux (CPH). Deux critères ressortent toutefois : le taux d'absentéisme et le turn-over. Un avis de l'équipe, donc des soignants, aurait également été le bienvenu mais il n'a pas été retenu dans le projet de décret. "On ne peut pas laisser des gens en place à vie sans les évaluer. Il est donc logique d'harmoniser, d'évaluer sur des critères managériaux selon le ressenti des équipes", note le praticien. Chef de service au CHU de Nantes depuis vingt ans, le Dr Rachel Bocher, pour l'Intersyndicat national des praticiens hospitaliers (INPH), rappelle que ce n'est pas tant la durée d'un mandat qui pose problème dès lors que, comme chez elle, un projet de service est bâti tous les quatre ans. "Les histoires arrivent quand les règles ne sont pas claires avec des liens de confraternité notamment. Mais arrêtons de hurler ! Ce n'est pas la durée qui est en cause mais l'évaluation ou plutôt l'absence d'évaluation. Quelqu'un qui est mauvais est mauvais tout de suite, il n'a donc pas à devenir chef de service." Et d'insister sur la transparence dans les procédures de nomination puis les critères d'évaluation.

Inexistants hier, indispensables aujourd'hui...

Chez Avenir hospitalier, le Dr Nicole Smolski distingue les CHU des autres CH. Pour ceux-ci, le meilleur des praticiens fait souvent office de chef de service : une évaluation de ses capacités de gestionnaire et de manageur peut suffire. En revanche en CHU, "les hospitalo-universitairess'autodésignent comme chef de service quelles que soient leurs capacités managériales". Et d'y voir un dévoiement de l'ordonnance de 1958 créant les CHU. "Ils ont une place dans les CHU mais on leur demande toujours plus, d'exceller comme clinicien, chercheur et enseignant mais aussi manageur et gestionnaire. Je ne pense pas qu'il y en ait beaucoup qui soient parfait sur ces cinq points. On parle d'hôpital entreprise mais on ne prend pas ce qui marche plutôt bien dans l'entreprise, à savoir l'évaluation des fonctions managériales..." Quant aux critères, il s'agirait par exemple d'inciter les praticiens à s'expliquer sur les raisons de leur départ pour le privé ou les causes d'un burn out : "Les indicateurs ne sont pas très difficiles à trouver". S'agissant de l'AP-HP, note Nicole Smolski, "le problème ne vient pas que de la directrice, comme certains le disent, mais illustre tout ce qui se passe dans un hôpital où sévit la collusion". Faut-il pousser jusqu'à limiter les mandats ? Inutile si le chef de service s'avère très bon à son poste, répond l'intéressée : "Pas question de basculer dans un système à la Mao Zedong". Mais un profond changement de paradigme s'est opéré depuis une dizaine d'années à l'hôpital imposant un management de proximité. S'il y a vingt ans ils pouvaient être inexistants, comme certains le laissent entendre, les chefs de service sont devenus aujourd'hui une interface indispensable face à la bureaucratie hospitalière, les obligeant à rendre des comptes.
Thomas Quéguiner 
* Il est prévu que les responsables de services, de départements, de structures internes ou d'unités fonctionnelles en exercice à la date de publication du décret restent en fonction jusqu'à ce qu'une durée de quatre ans ait couru depuis leur nomination. Dès lors, les nouvelles règles en vigueur s'appliqueront pour eux.
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