Bien sûr, les sorcières «peuvent ôter la capacité de procréer, au vu comme à l’insu de tous». Elles «abattent la virilité» soit de l’extérieur, en utilisant figurines, talismans, cartes ou breuvages, soit de l’intérieur, «en bloquant l’émission de la semence chez l’homme». Elles sont également capables de traverser les murs, de voler dans les airs, de transformer en loup un jouvenceau, et de tant d’autres merveilles. On sait aussi de source sûre que des hommes «ont été conçus sans copulation charnelle» - ce qui évite de songer «aux manigances et lubricités de prêtres oisifs et de moines gaillards» et à «la honte de leurs maîtresses et concubines». Sornettes.
Comment se persuader de choses pareilles, croire que des décrets divins ou lucifériens fixent nos destins, que des mots en l’air soient des prophéties, que ventriloquie, batelage et chiromancie soient pouvoirs surnaturels défiant ceux de Dieu ? Comment la croyance peut s’ankyloser au point de devenir une idée granitique qui occupe tout le cerveau, comment dans ce théâtre d’ombres, d’esprits, d’incubes et de succubes, d’apparitions, sabbats, naît le fanatisme ? «N’y voyez pas plaisanterie, car cela figure dans les écrits de ceux qui furent, ou sont aujourd’hui, juges de la vie et de la mort d’autrui.»
R. Scot, La sorcellerie démystifiée (1584)
Traduite pour la première fois en français, paraît la Sorcellerie démystifiée (The Discoverie of Witchcraft), l’une des plus décapantes critiques des impostures liées à la crédulité : la crédulité de ceux qui «gobent tout», qui prenant un illusionniste pour un mage et un mage pour l’incarnation d’un ange ou d’un saint esprit, sont bientôt prêts à croire que «la lune est faite de fromage blanc», et l’obsession de ceux qui savent pourtant, philosophes, médecins, juristes ou doctes théologiens, mais qui, voyant en ces magies la patte poilue du diable, n’ont qu’une idée en tête : envoyer tous ces possédés au bûcher.