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jeudi 3 septembre 2015

Migrants : aider, un peu, beaucoup

SYLVAIN MOUILLARD MARIE PIQUEMAL ET THOMAS LABORDE 

Ils sont plus de 2 600 à avoir péri cette année en tentant de traverser la Méditerranée pour rejoindre l’Europe. La mort d’Aylan Shenu, un enfant syrien de 4 ans dont le corps sans vie a été photographié mercredi sur une plage turque, changera-t-elle la donne ? Ce drame a, en tout cas, suscité une vague d’émotion partout dans le monde. Les journaux britanniques, dont certains s’en prenaient il y a quelques mois encore aux migrants comparés à des «cafards», n’ont pas manqué d’interpeller le Premier ministre conservateur, David Cameron. En France, son homologue, Manuel Valls, a partagé la photo du petit Aylan sur Twitter, accompagné de ce message : «Urgence d’agir. Urgence d’une mobilisation européenne.» Le même Valls, imité par son ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, martèle pourtant depuis des mois un message devenu creux : «Humanité et fermeté.» Il y aurait les «bons» migrants, fuyant guerres et persécutions en Syrie, en Irak, en Erythrée. Et les «mauvais» migrants, dont le tort n’est «que» de partir de pays en proie à la misère la plus grande. Ces derniers, «clandestins» et non «réfugiés», auraient donc vocation à être raccompagnés sur leurs terres d’origine. Un débat sémantique qui a d’autant moins de sens qu’en matière d’accueil, la France est loin d’assurer le strict minimum. L’an passé, elle a été un des rares Etats européens à recevoir moins de demandes d’asile qu’en 2013. Et quand l’Allemagne se prépare à examiner les dossiers de 800 000 réfugiés potentiels, la France n’en aura qu’environ 65 000 cette année.
La réunion interministérielle de jeudi à l’Elysée, pour «examiner les volets européen et national» de la crise des réfugiés, marque-t-elle un tournant ? Le sommet des ministres de l’Intérieur de l’UE, le 14 septembre, apportera un début de réponse. Jeudi, Berlin et Paris ont annoncé qu’ils y soumettront une position commune sur le principe de«quotas contraignants»par pays. Mais, parallèlement aux atermoiements politiques, des citoyens se mobilisent déjà partout sur le continent. En France, les initiatives ne manquent pas.

PATROUILLER EN MÉDITERRANÉE

L’opération sera lancée le 12 septembre à Marseille. Ce jour-là, les équipes de l’association SOS Méditerranée, présidée par un capitaine de marine marchande allemand, tenteront de mobiliser pour financer l’achat d’un bateau et constituer un équipage de professionnels. Objectif : aller patrouiller entre l’Italie et les côtes libyennes pour porter secours aux embarcations, souvent surchargées, en difficulté. Ce n’est pas la première mission émanant de la société civile. Le Phoenix, un navire affrété par Médecins sans frontières (MSF) et l’organisation maltaise Moas, circule depuis un an dans le secteur. L’initiative est financée par un couple d’entrepreneurs millionnaires, les Catambrone. Sur la seule journée de mercredi, MSF a annoncé que ses équipes et celles du Moas avaient secouru «1 658 personnes» : «Mais cela ne devrait pas être notre travail.» L’opération «Triton», coordonnée par Frontex, l’Agence européenne de sécurité aux frontières, ne mobilise que sept bateaux sur l’ensemble de la Méditerranée. Des embarcations majoritairement italiennes, qui auraient donc, quoi qu’il arrive, effectué ce travail d’assistance aux naufragés.

ACCUEILLIR CHEZ SOI

Mettre en relation des réfugiés et des particuliers désireux de les héberger un temps : telle est l’idée, proche du couchsurfing, du dispositif Calm (Comme à la maison), monté par l’association Singa.«Notre but a toujours été de les lier à la société française»,commente son directeur Nathanael Molle. Les réfugiés sont très connectés, ne serait-ce que pour rester en contact avec leur famille. D’où l’idée d’une plateforme internet. «Il ne s’agit pas uniquement de logement. C’est une opportunité d’intégration, de développer un réseau social et professionnel.» Les besoins sont criants. Si un demandeur d’asile a, en théorie, droit à un hébergement adapté, le réfugié, lui, se retrouve dans la nature, une fois qu’il a reçu la protection des autorités françaises. L’accueil chez un particulier (entre deux semaines et neuf mois) peut lui permettre de s’organiser. En quatre jours, Singa a reçu près de 600 propositions d’aide : «On n’a pas vu un tel élan de générosité depuis longtemps. Les gens ne veulent plus être spectateurs.»

APPORTER UNE AIDE HUMANITAIRE

Jeudi, il avait la voix enrouée à force de répondre aux journalistes.«Une journée exceptionnelle, à cause de cette image d’enfant mort. Elle a remué l’opinion. Cela va obliger l’Etat à agir. J’y crois. J’espère.» Christian Salomé, retraité, est l’un des 97 bénévoles de l’association l’Auberge des migrants, créée il y a bientôt sept ans. Tous habitent Calais ou un rayon de 50 kilomètres autour de la ville, et viennent chaque jour en aide aux migrants, avec les moyens du bord. «On a un petit budget de 200 000 euros, des dons et de l’argent sorti de nos poches. On leur fournit des vêtements, de quoi s’abriter. Des tentes, du bois qu’on achète, des bâches…» Depuis quelques semaines, beaucoup de gens viennent filer un coup de main. Le bénévole cite ce couple d’Anglais, de passage pour quelques jours, finalement resté un mois. Vincent de Coninck, chargé de mission pour le Secours catholique dans le Nord-Pas-de-Calais, constate lui aussi un élan de solidarité : «Avec la tension médiatique, c’est net. Mais ce dont on a tous besoin maintenant, c’est surtout d’une action forte de l’Etat français et de l’Europe.» Le Secours catholique poursuit ses actions menées depuis plusieurs années : les maraudes, le «vestiaire» organisé toutes les deux semaines, lors duquel les migrants peuvent trouver des vêtements et des ustensiles de cuisine : «On est en train de monter un réseau de familles d’accueil temporaire pour que les plus fragiles puissent reprendre des forces quand ils sont à bout.»

UNE ADRESSE POUR DEMANDER L’ASILE

«Tous nos services sont au taquet.» France Terre d’Asile, qui accompagne les demandeurs d’asile dans leurs démarches pour accéder au statut de réfugié, reçoit depuis début août «près de 800 migrants supplémentaires chaque semaine, le double qu’en temps normal». Un afflux difficile à gérer. La première étape, qui prend parfois plusieurs mois, consiste à leur fournir une domiciliation, indispensable pour les procédures administratives. D’autres associations, telle Dom’asile, viennent alors en renfort. Une aide bienvenue, tant le système d’asile à la française est saturé, avec une durée moyenne de dix-huit mois pour l’instruction d’une demande. La récente réforme votée au Parlement vise à diviser l’attente par deux.

FAIRE PRESSION SUR LES POLITIQUES

De l’indignation numérique face au choc des photos à l’interpellation directe des responsables politiques, il y a un pas. A l’initiative du réalisateur Raphaël Glucksmann, un «rassemblement citoyen en solidarité avec les migrants» aura lieu samedi à Paris, place de la République. Jeudi, plus de 10 000 personnes manifestaient leur intention d’y participer. Dans les enquêtes d’opinion, pourtant, les Français sont toujours majoritaires à se dire opposés à ce que leur pays accueille davantage de migrants, sujet sur lequel le clivage droite-gauche est manifeste. Le débat sera assurément présent lors des régionales, en décembre, puis dans la campagne présidentielle. Avec, en l’état, une gauche de gouvernement comme tétanisée par le FN et une droite radicalisée.

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