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mardi 18 août 2015

Fais tourner le joint, c’est pour la science !

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO Par 


Beaux métiers que ceux de pharmacien, chimiste ou médecin, où l’on peut planer en travaillant, sous couvert de remplir une mission de recherche ! Depuis le XIXe siècle, nombre de scientifiques ont ainsi expérimenté sur eux-mêmes la molécule psychoactive qu’ils venaient de découvrir, ou une drogue dont ils voulaient mieux comprendre les effets. Au risque, toutefois, de sombrer eux-mêmes dans la toxicomanie…

Persuadé que la cocaïne pouvait être un médicament puissant, notamment pour traiter l’addiction à la morphine, Sigmund Freud (1856-1939) l’a testée sur lui-même, et est devenu cocaïnomane pendant plus de dix ans. La même mésaventure est arrivée au chirurgien américain William Stewart Halsted (1852-1922), tombé dans la poudre blanche en explorant ses propriétés d’anesthésique local.

D’autres, comme le pharmacien allemand Friedrich Wilhelm Adam Sertürner (1783-1841), reconnu comme le père de la morphine, ont failli payer de leur vie leurs audacieuses expériences. Agé d’une vingtaine d’années, Sertürner n’est encore que stagiaire dans une pharmacie en West­phalie (Allemagne) quand il commence à s’intéresser à l’opium, en 1803. Son objectif est d’identifier le principe actif de cette plante dont les vertus médicinales sont connues depuis des siècles. Avec les moyens limités de l’époque, et une infinie patience pour mener à bien la cinquantaine d’étapes ­nécessaires, le jeune pharmacien réussit à isoler la morphine. Il en administre alors des cristaux, mélangés à de la nourriture, à des souris et des chiens. Les animaux s’endorment. Ils ne se réveilleront pas.


Les quatre jeunes absorbent le breuvage en même temps. « Immédiatement, leur visage s’empourpre, et ils se sentent fiévreux », décrit Lawrence Altman dans son livre sur l’autoexpérimentation, Who Goes First (University of California Press, 1987, réédité en 1998). Une demi-heure plus tard, les quatre courageux reprennent une dose, puis une troisième. Leur ­malaise s’accroît, avec nausées et vertiges. Groggy, victime de « palpitations » dans les membres, Sertürner est contraint de s’allonger. Inquiet de la toxicité de son produit, il avale et fait avaler à ses compagnons quelque 200 ml de vinaigre fort… Il leur faudra plusieurs jours pour récupérer.

Il faut dire que la quantité de morphine qu’ils ont ingurgitée correspond à environ dix fois la dose moyenne recommandée. Quelques années plus tard, en 1831, le pharmacien allemand sera récompensé par l’Institut de France, qui lui remettra 2 000 francs, « pour avoir ouvert la voie à d’importantes découvertes médicales ».


Le Club des Hachichins


Plus poétiques furent les expériences de Jacques-Joseph Moreau de Tours (1804-1884), au XIXe siècle toujours, avec le haschich. Ce psychiatre s’était donné pour ­ambition d’étudier au plus près les problèmes de ses patients, ce qu’il fit en provoquant sur lui-même des épisodes de folie, pour les vivre de l’intérieur. « Pour se faire une idée d’une douleur quelconque, il faut l’avoir ressentie. Pour savoir comment déraisonne un fou, il faut avoir déraisonné soi-même », plaidait-il.

Au début des années 1840, au ­retour d’un voyage d’Egypte, Moreau de Tours a l’intuition que le haschich, largement consommé dans ce pays, est à l’origine d’hallucinations. C’est le point de départ de ses autoexpérimentations avec ce produit, qu’il va aussi administrer à d’autres : médecins, chercheurs, mais aussi artistes, écrit l’historienne et philosophe des sciences Katrin Solhdju dans un long texte consacré à Moreau de Tours. Dans une démarche scientifique mais aussi artistique, l’aliéniste crée le Club des Hachichins, qui se réunit tous les mois à l’hôtel Pimodan, sur l’île Saint-Louis. S’y pressent peintres et écrivains comme Eugène Delacroix ou Charles Baudelaire.

Théophile Gautier raconta ainsi que Moreau de Tours l’accueillit, lui mit dans la main une praline de haschich (d’une quarantaine de grammes !) en lui disant : « Ceci vous sera défalqué sur votre portion de paradis. » De ces séances appelées « Fantasias », l’écrivain a tiré un récit, Le Club des Hachichins (1846). Moreau de Tours, lui, a consigné ses observations dans un ouvrage paru en 1845 chez l’éditeur médical Masson, Du hachisch et de l’aliénation mentale.

Bien d’autres histoires pourraient être rapportées ici. L’une des plus célèbres est sans doute celle du LSD par le chimiste suisse ­Albert Hofmann (1906-2008), qui a découvert cet hallucinogène en 1943, en travaillant sur l’ergot de seigle. En matière d’autoexpérimentation, Hofmann détient d’ailleurs probablement la palme de la longévité : la dernière fois qu’il tâta du LSD, il avait 97 ans. Il est mort à 102 ans.

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