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mardi 7 juillet 2015

Un risque accru d’HTAP néonatale avec certains antidépresseurs en fin de grossesse

30/06/2015

Chez environ 20 nouveau-nés /100 000 persiste le système de circulation pulmonaire fœtale à résistances vasculaires élevées, cause de shunt droit-gauche, de diminution du flux vasculaire pulmonaire et d’hypoxémie profonde. Les enfants atteints présentent, dans les heures suivant leur naissance, une détresse respiratoire sévère nécessitant intubation et ventilation mécanique. Cette hypertension artérielle pulmonaire (HTAP) persistante est associée à une morbi mortalité importante, dont approximativement 10 à 20 % de décès.

Etude sur près de 4 millions de grossesses

En 2006, l’US Food and Drug Administration avait alerté sur l’augmentation possible du risque d’HTAP en cas d’exposition maternelle, durant les derniers mois de grossesse, à des inhibiteurs de recapture de la sérotonine (SSRI) sans toutefois, en 2011, à la vue d’études conflictuelles, fournir de conclusions formelles. K F Huybrechts et ses confrères ont, à leur tour, tenté de quantifier le risque d’HTAP néonatale après exposition maternelle à différentes  classes d’antidépresseurs. Leur cohorte d’étude a inclus une large population de femmes enceintes, originaires de 46 des états US, dont les données médicales et autres étaient accessibles à partir de Medicaid Analytic eXtract. Il a été ainsi possible d’identifier toutes les grossesses de femmes éligibles à Medicaid et de préciser le devenir des nouveau- nés, avec un suivi jusqu’au 30 décembre 2010. Parallèlement, a été précisée la prescription éventuelle d'au moins une ordonnance antidépresseurs durant les 90 jours précédant l’accouchement, tant SSRI que autres classes thérapeutiques. L’HTAP était, pour sa part, notifiée selon les critères habituels, avec inclusion de déclarations tardives pouvant aller jusqu’à 30 jours après la naissance. Plusieurs analyses additionnelles ont été conduites, excluant les enfants porteurs de malformations congénitales autres que celles liées à l'HTAP, d’anomalies pulmonaires ou ceux nés avant terme. On a relevé aussi les principales comorbidités maternelles et plusieurs covariables telles que année de l’accouchement, âge de la mère, ethnie, nombre de grossesses antérieures, indications ayant motivé la prise d’antidépresseurs…Par contre, l’accouchement par césarienne n’a pas été pris en considération, de façon à éviter une possible source de biais. Un sous groupe de femmes ayant eu au moins 2 prescriptions, d’anti dépresseurs durant le 3e trimestre de leur grossesse a été analysé plus en détail ainsi que les nouveau-nés qui présentaient une HTAP majeure ayant nécessité une assistance respiratoire, une oxygénation extra-corporelle ou encore un traitement par NO inhalé. En dernier lieu, les résultats de ce travail ont été inclus dans ceux d’une méta-analyse récente ayant porté sur 5 études non randomisées (Grigoriadis, BMJ, 2014).

Des antidépresseurs dans le dernier trimestre pour 3,4 % des femmes

Sur 3 789 330 grossesses éligibles, on a dénombré 128 950 (3,4 %) femmes ayant eu recours à des antidépresseurs dans les 90 jours précédant l’accouchement, dont 102 179 (2,7 %) exposées aux SSRI et 26 771 (0,1 %) à d’autres molécules. Par comparaison avec les femmes non exposées, celles ayant consommé des antidépresseurs étaient souvent plus âgées, blanches, prenaient plus, en sus, de psychotropes, étaient plus fréquemment obèses, tabagiques, avec un plus grand nombre de maladies chroniques associées et recouraient davantage au système de santé. Globalement, on a relevé 20,8 HTAP néonatales/100 000 (intervalle de confiance à 95% [IC] : 20,4-21,3) chez les femmes non exposées vs 31,0/10 000 en cas de prise préalable d’anti dépresseurs. L’incidence globale, avant tout ajustement, est plus élevée en cas de prise de SSRI : 31,5/10 000 (IC : 28,3- 35,2) qu’en cas de prise d’autres anti dépresseurs : 29/10 000 (IC : 23,33- 36,4). L’Odd ratio, OR, passe de 1,51 (IC : 1,35- 1,69) avant à 1,10 (IC : 0,94- 1,29) après ajustement. Pour les antidépresseurs de classe différente, non SSRI, l’OR passa de 1,40 (IC : 1,12- 1,75) à une valeur non significative de 1,02 (IC : 0,77- 1,35) après ajustement. Quand ne sont étudiées que les HTAP primitives, après exclusion des cardiopathies congénitales autres et des hypoplasies pulmonaires, les OR ajustés, s’établissent respectivement à 1,28 (IC : 1,01- 1,64) pour les SSRI et à 1,14 (IC : 0,74- 1,76) pour les autres antidépresseurs. L’analyse des femmes enceintes ayant reçu 2 prescriptions médicamenteuses, voire plus, durant la phase tardive de leur grossesse, ne permet pas de déceler une association plus étroite. En outre, ce travail fait apparaître une association entre HTAP néonatale et diabète maternel (OR : 2,93), obésité (OR : 1,30), accouchement par césarienne (OR : 3,20) et le fait d’être noire (OR : 1,30). Enfin, quand les résultats de cette étude sont intégrés à ceux de la méta-analyse publiée en 2014, l’OR global  passe à 1,95 (IC : 1,08- 3,54) et culmine à 2,03 (IC : 1,21- 3,41) pour les seules HTAP primitives.

Une faible augmentation d’incidence de l’HTAP néonatale avec les SSRI

L’analyse de cette cohorte de 3 789 330 grossesses suivies par le programme Medicaid, dont 128 950 femmes exposées aux antidépresseurs durant le dernier trimestre de leur grossesse, confirme donc que la prise de SSRI est associée à une majoration du risque d’HTAP néo natale, mais dans des proportions moindres que ne le laissaient apparaitre des études antérieures. Il n’a pu être retrouvé d’association significative avec les autres classes thérapeutiques d’antidépresseurs. Ces résultats rejoignent ceux d’une étude scandinave publiée dans le BMJ en 2012, ayant porté sur 1,6 million de femmes enceintes, dont 0,7 % avec prise de SSRI qui faisait état, après ajustement d’une incidence, sous anti dépresseurs, de 30,0 cas d’HTAP/10 000 naissances. Le travail de K F Huybrechts a plusieurs points forts. Il a été d’une ampleur considérable. L’exposition aux antidépresseurs a été quantifiée de façon objective et fiable. Les HTAP d’autre origine ont été exclues de l’analyse. Il a aussi concerné d’autres classes que les seuls SSRI. Les réserves potentielles tiennent à de possibles erreurs de classification, en fait peu probables ; à la non prise en compte de certaines covariables telles que indice de masse corporelle maternelle, importance du tabagisme ou sévérité de la maladie diabétique. Surtout, cette étude n’a concerné que la population de femmes enceintes suivie par Medicaid. Au plan physiopathologique, on peut penser que des taux élevés de sérotonine dans la circulation fœtale pourraient entraîner une vasoconstriction et une prolifération des cellules musculaires lisses, caractéristiques de l’HTAP.
En conclusion, ce travail confirme que la prise d’anti dépresseurs de type SSRI durant la phase tardive d’une grossesse est associée à un risque, certes modeste mais bien réel, d’HTAP chez le nouveau né.
Dr Pierre Margent
RÉFÉRENCE
Huybrechts K F et coll. : Antidepressant Use Late in Pregnancy and Risk of Persistent Pulmonary Hypertension of Newborn. JAMA. 2015: 313: 2142- 2151.

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