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mardi 26 mai 2015

Jacques Lacan, sur la crise de la Psychanalyse, entretien avec Emilia Granzotto (1974)

OLIVIER DOUVILLE

Emilio Granzotto. On parle de plus en plus souvent de crise de la psychanalyse. Sigmund Freud, dit-on, est dépassé, la société moderne a découvert que son oeuvre ne saurait suffire pour comprendre l'homme, ni pour interpréter à fond son rapport avec le monde.

Jacques Lacan. Ce sont des histoires. En premier lieu, la crise. Elle n'existe pas, il ne peut y en avoir. La psychanalyse n'a pas tout à fait trouvé ses propres limites, pas encore. Il y a encore tellement à découvrir dans la pratique et dans la connaissance. En psychanalyse, il n'y a pas de solution immédiate, mais seulement la longue et patiente recherche des raisons. Deuxièmement, Freud.
Comment le juger dépassé alors que nous ne l'avons pas entièrement compris ? Ce qui est certain, c'est qu'il nous a fait connaître des choses tout à fait nouvelles, qu'on n'aurait pas même imaginées avant lui. Depuis les problèmes de l'inconscient à l'importance de la sexualité, de l'accès au symbolique à l'assujettissement aux lois du langage.

Sa doctrine a mis en question la vérité, c'est une affaire qui concerne tous et chacun personnellement. C'est bien autre chose qu'une crise. Je le répète : nous sommes loin de Freud. Son nom a aussi servi à couvrir beaucoup de choses, il y a eu des déviations, les épigones n'ont pas toujours suivi fidèlement le modèle, il s'est créé des confusions. Après sa mort en 1939, certains de ses élèves ont aussi prétendu exercer autrement la psychanalyse réduisant son enseignement à quelque formule banale : la technique comme rituel, la pratique restreinte au traitement du comportement, et comme moyen la réadaptation de l'individu à son milieu social. C'est la négation de Freud, une psychanalyse de confort, de salon.

Il l'avait lui-même prévu. Il y a trois positions intenables, disait-il, trois tâches impossibles : gouverner, éduquer, et exercer la psychanalyse. De nos jours, peu importe qui prend la responsabilité de gouverner, et tout le monde se prétend éducateur. Quant aux psychanalystes, Dieu merci, ils prospèrent, comme les mages et guérisseurs. Proposer aux gens de les aider signifie un succès assuré, et la clientèle se bousculant à la porte. La psychanalyse, c'est autre chose.


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