L’homéopathie est une thérapie pour le moins singulière. Officiellement récusée en raison de sa non-scientificité, absente à ce titre des hôpitaux publics, elle demeure prescrite par de nombreux médecins et constitue souvent pour les patients «un médicament comme un autre», remboursé en France par la Sécurité sociale. C’est l’histoire de cette étrange et très paradoxale théorie, située «à la fois dans la médecine et en dehors d’elle», que retrace l’ouvrage d’Olivier Faure.
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Et le recours à l’histoire se révèle ici particulièrement éclairant. On doit au médecin saxon Samuel Hahnemann l’invention, à la fin du XVIIIe siècle, des grands principes fondateurs : loi des similitudes selon laquelle la substance qui donne le mal peut aussi le combattre, traitement individualisé, dilution et succussion des molécules actives dans un fort volume d’eau.

Formulées en 1810 dans l’Organon de la médecine rationnelle, ces idées font de Hahnemann une sorte de prophète, honni des pharmaciens, mais adulé par un petit cercle de disciples. En dépit des accusations de charlatanisme et des débats sans fin qui l’opposent aux médecins du temps, Hahnemann parvint à imposer peu à peu sa thérapie. Sa grande force fut d’être en «parfaite harmonie avec le paysage culturel du début du XIXe siècle».
Tout comme celui des phrénologues, son système se voulait démocratique et entendait faire le pont entre la pratique médicale et la réforme sociale. Prônant la tempérance en toutes choses (thé, café, alcool et viande de porc étaient proscrits, la sexualité modérée), il ambitionnait de régénérer à la fois la médecine et la vie en société. D’où les liens étroits noués avec les saint-simoniens et les fouriéristes. Tandis que les fidèles affluaient à Köthen pour rencontrer le maître, des disciples enthousiastes colportaient la doctrine, qui se mua rapidement en quasi-religion. Le comte Sébastien von Guidi la diffusa en France et le Lyonnais Benoît Mure au Brésil. Pourtant condamnée par les académies médicales, l’homéopathie prospéra dans les grandes villes occidentales, et jusqu’en Inde où elle fit figure d’alternative à la médecine du colonisateur.
Après la mort d’Hahnemann en 1843 (son corps, embaumé, est enterré au Père Lachaise), l’évolution fut plus contrastée. On s’étripa sur l’intensité des dilutions, toujours de plus en plus hautes, et sur le nombre de CH («centésimales hahnemanniennes») nécessaires pour imbiber les granules. La pratique s’effondra finalement à la fin du XIXe siècle. Elle ne ressuscita qu’une cinquantaine d’années plus tard, portée par un double mouvement. D’un côté l’initiative d’ambitieuses entreprises pharmaceutiques, comme celles de l’Allemand Willmar Schwabe ou des Français Jean et Henri Boiron, qui édifièrent de puissants monopoles. De l’autre la mode des médecines dites douces, alternatives, contestataires, qui désiraient se mettre autrement à l’écoute du malade.
Ainsi se légitima peu à peu un «un art de traiter les patients», dont la validité scientifique n’a pourtant jamais été reconnue.
Olivier Faure Et Samuel Hahnemann inventa l’homéopathie. La longue histoire d’une médecine alternative Aubier, 394 pp.