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jeudi 2 avril 2015

Population carcérale et nombre de lits en psychiatrie, l’hypothèse de Penrose

Publié le 01/04/2015






Également généticien et psychiatre, pionnier des études sur le contexte génétique dans les déficiences intellectuelles, le mathématicien anglais Lionel Sharples Penrose (1898–1972) est connu pour une illusion célèbre, « l’escalier paradoxal de Penrose », découverte en collaboration avec son fils, le mathématicien et physicien Roger Penrose, spécialiste en particulier de questions cosmologiques (trous noirs, gravitation quantique à boucles). Prototype de figure impossible, cette étrange structure fut popularisée par M.C. Escher dans sa gravure Montée et Descente où des moines parcourent un escalier où le haut se confond indéfiniment avec le bas[1]. Et Roger Shepard (un chercheur en psychologie cognitive) a réalisé une « illusion auditive », la gamme de Shepard[2] correspondant à une transposition de cet escalier de Penrose en psycho-acoustique, une discipline impliquée notamment en matière de compression du son, comme dans le fameux format mp3.

Or dès 1939, Penrose formula l’hypothèse d’une corrélation inverse entre le nombre de lits disponibles dans les hôpitaux psychiatriques et l’effectif des populations carcérales. En d’autres termes, pour paraphraser Victor Hugo (« Ouvrez des écoles, vous fermerez des prisons »), à trop vouloir tailler dans les dépenses de santé, on risque de pousser des marginaux vers la délinquance et l’incarcération, faute de prise en charge mieux adaptée. Dans le même esprit, on a dit aussi qu’à l’image de l’Empire Romain avec son fameux « Panem et circenses » (Du pain et des jeux) résumant la politique d’évergétisme[3], l’état achète la paix sociale en accordant des allocations (équivalent du « pain » antique) et en instituant des divertissements, formes modernes des « jeux du cirque » : télévision, compétitions sportives, jeux de hasard, courses hippiques…
Une étude britannique a évalué l’application de cette « loi de Penrose » à l’évolution psychiatrique et carcérale dans 6 états d’Amérique latine depuis 1990, année où fut signée la Déclaration de Caracas[4]. Les auteurs constatent une « diminution de 2 % à 72 % » du nombre de lits dans les services psychiatriques de ces pays et, parallèlement à cette réduction (parfois drastique) de l’offre intra-hospitalière de soins en psychiatrie, une « augmentation de 16 % à 273 % du nombre de personnes emprisonnées. » L’analyse des données confirme l’existence d’une « relation inverse » statistiquement significative entre le nombre de lits en psychiatrie et la taille des populations carcérales : en moyenne, la disparition d’une place en psychiatrie s’accompagne de 5,18 prisonniers supplémentaires (intervalle de confiance à 95 % [IC95] : 3,10–7,26 ; p = 0,001) mais cette association est ramenée à 2,78 prisonniers en plus (IC 95 : 2,59–2,97 ; p< 0,001) après la prise en compte d’un facteur confondant (la croissance économique). Et cette « loi de Penrose » demeure « pratiquement inchangée » en intégrant une autre variable, l’inégalité des revenus. Les auteurs estiment qu’il est nécessaire de consacrer d’autres recherches à la « compréhension des raisons » de cette association inverse prévue par Lionel Penrose.
[1] http://mcescher.frloup.com/oemonteedescente.php
[2] http://fr.wikipedia.org/wiki/Gamme_de_Shepard
[3] http://www.herodote.net/evergetisme-mot-48.php
[4] En Novembre 1990, des pays d’Amérique latine ont signé la Déclaration de Caracas visant (entre autres objectifs) à « promouvoir le respect des droits humains et civils des malades mentaux, et à restructurer l’organisation des soins psychiatriques. » [http://www.coedu.usf.edu/zalaquett/gua/CaracasDeclarationMentalHealthAmsterdam.pdf]
Dr Alain Cohen
RÉFÉRENCE
Mundt AP et coll.: Psychiatric hospital beds and prison populations in South America since 1990, does the Penrose hypothesis apply? JAMA Psychiatry, 2015; 72: 112–118.

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