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samedi 25 avril 2015

Ces migrants invisibles qui côtoient les Parisiens

LE MONDE |  | Par 


Aux pieds de la Cité de La Mode, une centaine de migrants dorment dans des tentes.


Sous le pont Charles-de-Gaulle, quai d’Austerlitz, à Paris, Moustapha tue le temps en regardant le fleuve. Ce jeune Soudanais de 25 ans, en jean et blouson de cuir, pourrait passer pour un Parisien, si ce n’était ce besoin de parler du « naufrage ». Comme tous ceux qui ont bravé les dangers de la Méditerranée, il a été très choqué par les images des corps repêchés après le naufrage d’un bateau transportant 700 migrants, dimanche 19 avril, au large de la Libye. Il aurait pu en être ; des proches en étaient peut-être. « J’ai vu le drame à la télévision. Le monde ne tourne pas rond », ajoute-t-il, grave, le regard lointain.

Cet événement le ramène à son « passage ». Après plusieurs années de travail dans un cybercafé, à Tripoli, en Libye, Moustapha a pris la mer et est arrivé en Europe sans encombre. Ce qui ne signifie pas sans peur. Pour Yaks et Henri-John, la quarantaine, le cauchemar est encore présent. 
Tous deux ont débarqué il y a sept jours, gare de Lyon, après avoir accosté sur les côtes italiennes une semaine auparavant. Comme Moustapha, ils ne souhaitent pas donner leur nom. « On vient aussi du Soudan, on a traversé le désert en voiture pour arriver en Libye. Là, on est montés dans une grande barque où on devait être 250. Le voyage a duré sept jours et sept nuits et les derniers jours on n’avait plus à manger, ni à boire », raconte Henri-John l’air encore hagard. Ses mots semblent se caler sur des images défilant au ralenti dans sa tête. Il est trop tôt pour qu’il en raconte plus. Ou trop tard. Aude Couturier, la responsable des opérations de rue du Secours catholique, sait régler son tempo sur le temps des migrants, se glisser dans leur rythme à la permanence de jour, lors des maraudes ou des cafés de rue.

Dans la matinée, Matthieu (qui a souhaité garder l’anonymat), coordonnateur de la mission migrants de la capitale et travailleur social d’Emmaüs Solidarité, lui avait demandé de l’aide pour onze Erythréennes juste arrivées. « L’une d’entre elles voyageait avec un nourrisson d’un mois. Emmaüs a trouvé un hébergement, mais toutes avaient aussi besoin de douche. Elles ne s’étaient pas lavées depuis la Libye », raconte la jeune femme.


50 000 euros


Depuis février, la Ville de Paris finance une mission d’urgence pour les 600 migrants que compte la capitale. « Nous voulons mieux comprendre l’histoire et les projets de ces gens qui arrivent d’Italie, d’Espagne », rappelle Matthieu. « Améliorer la situation de ces migrants, en situation d’errance et de dénuement, est évidemment un défi, mais c’est aussi une question de principes et de valeurs », assure pour sa part Dominique Versini, adjointe à la maire de Paris en charge du social. 
La ville prend donc à sa charge les salaires des deux coordonnateurs de la mission, a installé des toilettes et met quelques-uns de ses accueils de jour à disposition, pour suppléer Emmaüs et le Secours catholique, dont les douches ne suffisent pas. 50 000 euros ont été votés pour parer à cette urgence. Mais, dès qu’elles le peuvent, notamment avec ceux qui restent, les associations essaient de voir plus loin. Même si une vie à la rue n’aide pas à se projeter.

« Rester ici ? Aller en Allemagne ? En Suède ? A Amsterdam ? Je ne sais pas. Je sais trop peu de choses sur ces pays, avoue Moustapha, encore indécis. Je n’ai pas déposé de demande d’asile parce que j’ai besoin d’informations », ajoute cet ex-étudiant en gestion, qui rêve de reprendre ses études mais n’imaginait pas qu’en France il dormirait dehors.



Campement du Pont Charles De Gaulle.  Une centaine de migrants venus pour la majorité du Soudan, d'Erythrée, du Sénégal, de la Guinée-Conakry, du Maroc et de Tunisie.


A Paris, les 600 migrants se répartissent sur deux campements principaux, auxquels s’ajoutent les Syriens de Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis). Trois cents personnes, majoritairement Erythréens et Soudanais, mais aussi Afghans, campent sous le métro aérien, dans de petites tentes entassées à la station de métro Chapelle. En dépit des départs vers l’Allemagne, la Suède ou Calais, leur nombre augmente. « Depuis une semaine, nous y enregistrons des arrivées quotidiennes, notamment d’Ethiopiens, une nationalité jusqu’ici peu présente », observe Matthieu. La Ville de Paris s’attend à devoir faire face à d’autres arrivées dans les semaines à venir. Sur ce campement, les femmes sont désormais nombreuses ainsi que les jeunes filles. Ce qui lui donne un air très différent du site du quai d’Austerlitz, juste sous la Cité de la mode et du design, le second gros campement parisien, où vit une seule femme : Greta. « Ici, chacun a son petit coin », explique cette Roumaine de 53 ans. Les Soudanais campent sous le pont Charles-de-Gaulle, où une quarantaine de tentes, dont celle de Moustapha, sont impeccablement alignées sur deux rangs. Les Erythréens sont un peu plus loin, les Polonais sur l’autre rive. Maghrébins et Pakistanais dorment, eux, juste au pied de la Cité de la mode et du design, en bas de l’escalier de bois exotique qui, des quais, conduit vers le lieu branché.

Avec les beaux jours, les soirées musicales se multiplient sur la terrasse de ce haut lieu du Paris « hype », et s’invitent jusque très tard parmi la trentaine de toiles de tente qui s’entassent sous les Docks. « En haut, c’est le Paris riche. Et en bas c’est nous », résume Greta. Consciente qu’elle reste loin du standing des défilés de créateurs qu’accueille l’étage du dessus. Même avec la broche accrochée à son tee-shirt.

A la Chapelle, la mairie de Paris nettoie régulièrement. Quai d’Austerlitz, c’est Greta qui balaie chaque matin. « Pour enlever les gobelets de la nuit, les papiers gras qui traînent », explique-t-elle. Les clubbeurs qui fréquentent le lieu ne semblent même pas remarquer ces invisibles. Pas plus que les cadres de passage pour quelques heures en bord de Seine ne voient les Soudanais. Mardi soir, des petits groupes de jeunes pique-niquent tranquillement face au fleuve. Sur les pelouses, le rosé est servi dans des verres à pied en plastique, on grignote après une journée de travail. Sous les tentes on digère la soupe populaire, en guettant l’arrivée d’un SMS du pays ou en cherchant des nouvelles d’un ami qui devrait arriver. Deux Paris. Si proches et si lointains.

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