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lundi 9 mars 2015

Quand les médecins dénient aux femmes un droit de décision

9 MARS 2015
TRIBUNE
Les récentes réactions de certains médecins à propos des touchers pelviens réalisés sous anesthésie générale et les communiqués de presse du Collège national des gynécologues obstétriciens français (CNGOF) et du Conseil national de l’ordre des médecins sur l’accès à l’avortement qui viennent d’être publiés interrogent sur la prise en considération du consentement et de l’autonomie décisionnelle des personnes dans les pratiques médicales. Les femmes sont-elles vraiment considérées comme des personnes dans la relation médicale, c’est-à-dire capables d’un consentement libre et éclairé ?
Un article du Monde du 23 février rapporte les propos de représentants de la profession médicale qui soutiennent la pratique de touchers pelviens et rectaux sur des personnes sous anesthésie générale, sans leur consentement préalable. S’il est évident que pratiquer des touchers exploratoires fait partie de la formation médicale, l’absence de consentement des patients pose un problème de droit pénal mais aussi d’éthique. Le président du CNGOF a balayé l’indignation suscitée par ces pratiques en accusant celles et ceux qui s’insurgent de «pudibonderie», terme qui renvoie aux stéréotypes de genre les plus éculés. La doyenne de l’UFR de médecine de Lyon Sud justifie, quant à elle, l’absence de consultation préalable des patientes concernées par le refus probable qu’elles opposeraient. La persistance et la défense de ces pratiques sans consentement attestent d’un manque de respect des droits et de l’intégrité physique des patientes, et un déni de la valeur de leur consentement.

Ce même 23 février, le CNGOF a publié un communiqué de presse en réaction aux recommandations formulées par la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale pour le projet de loi relatif à la santé. Cette délégation propose, dans la lignée du rapport de 2013 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes sur l’avortement, la suppression du délai obligatoire de réflexion de sept jours dans le parcours d’IVG. Les chercheurs et les acteurs associatifs impliqués s’accordent, en effet, sur le fait que ce délai contribue à un allongement inutile de ce parcours. En Angleterre, la loi ne prévoit pas de délai entre la première consultation et la réalisation de l’IVG. Pour le CNGOF, ce délai est une «aide à une décision difficile» et sa suppression est qualifiée de «contre-productive». Outre le fait que considérer la décision d’avorter comme «difficile» est un jugement de valeur et une injonction au drame, l’attachement à ce délai montre une difficulté à accorder une véritable autonomie décisionnelle aux femmes, comme si leurs choix nécessitaient un encadrement législatif et médical. Le CNGOF et le Conseil de l’ordre s’opposent aussi à la proposition de la délégation aux droits des femmes de supprimer la clause de conscience spécifique à l’IVG. Pourtant, il existe déjà dans le code de la santé publique une clause de conscience applicable à tous les actes médicaux hors situation d’urgence. La mention d’une clause de conscience propre à l’IVG est superfétatoire et témoigne des réticences à considérer cet acte au même titre que les autres actes médicaux.
Clause de conscience spécifique et délai de réflexion sont des dispositions juridiques dérogatoires du droit commun. Elles ne concernent pas seulement l’IVG mais aussi la stérilisation à visée contraceptive, une pratique médicale elle aussi liée à l’autonomie reproductive des individus, au motif que les personnes risqueraient de regretter leur acte. Dans le cas de l’IVG, comme dans celui de la stérilisation, le rôle du médecin ne relève pas de la décision médicale mais de la mise à disposition de moyens techniques, car il ne s’agit pas de guérir une pathologie mais de rendre possible des choix individuels. L’attachement du CNGOF et du Conseil de l’ordre au maintien d’une clause de conscience spécifique à l’IVG, alors que la délégation propose que la loi prenne ses distances avec des partis pris moraux, rappelle qu’il est encore problématique pour certains praticiens de reconnaître la pleine capacité décisionnelle des femmes en matière reproductive.
Sans représenter l’ensemble de la communauté médicale, ces réactions donnent à voir un conservatisme indigne d’une relation de soins respectueuse de la liberté individuelle. Elles mettent également en exergue la nécessité de réformer le droit afin qu’il promeuve une pleine autonomie des personnes en matière reproductive. Elles soulignent, enfin, la nécessité de mieux encadrer des pratiques médicales et de mettre en place une formation qui prenne véritablement en compte les enjeux liés au genre et au respect des droits humains.
Par Nathalie Bajos Socio-démographe, directrice de recherches à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Cécile Ventola Doctorante en sociologie, Léa Ceuneau Doctorante en sociologie et Philippe Faucher Gynécologue-obstétricien, hôpital Trousseau

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