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dimanche 15 mars 2015

Le sommeil, fabrique à souvenirs

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO | 09.03.2015Par 



Une souris dans un laboratoire américain.


C’est une curieuse carte, établie en 1971, mais qui a valu à son créateur, l’Américain John O’Keefe, Prix Nobel de médecine en 2014. Elle construit, dans la structure cérébrale de l’hippocampe, une association entre les lieux que chacun d’entre nous parcourt et les neurones qui les enregistrent. 

Déplaçons-nous : certains de ces « neurones de lieux » deviennent silencieux, d’autres s’expriment. Allons nous coucher, réexplorons l’environnement que nous avons parcouru dans la journée, et le chemin se retrace dans les cellules de notre cerveau.

Cette reproduction a été largement étudiée chez la souris. Il a ainsi été démontré que, à la manière d’un texte que l’enfant apprend en le répétant, la réexploration nocturne par le rongeur d’un chemin déjà emprunté en fixe la connaissance. Que l’on prive l’animal de cette deuxième couche, et la première s’effrite. Mais est-ce bien à l’espace que pense l’animal ? Y a-t-il bien une relation de causalité entre les deux opérations ?


Question lancinante


A cette question lancinante dans la littérature scientifique – certains chercheurs ont ainsi associé la consommation de chocolat dans un pays ou le nombre de magasins Ikea… au nombre de prix Nobel –, une équipe française vient d’apporter une réponse assez éclatante. Et du même coup montré que l’on pouvait fabriquer des souvenirs chez le rongeur. La revue Nature Neuroscience a publié, lundi 9 février, leur élégante démonstration.

Une souris se déplace dans une pièce de façon aléatoire. En temps réel, le parcours est enregistré au moyen d’électrodes branchées dans l’hippocampe. L’heure du sommeil venue, l’animal s’endort et rejoue le périple en activant ses cellules de lieu. Sauf que chaque fois qu’il « repasse » dans un endroit donné, les chercheurs stimulent les fibres dopaminergiques, région cérébrale du plaisir. Mais les bonnes choses ont une fin. L’animal est réveillé et replacé dans la pièce. Immédiatement, il retourne vers ledit lieu, en quête de dopamine… CQFD. C’est bien un lien direct, causal, qui est ici à l’œuvre : l’animal active ses neurones de lieu lorsqu’il « rêve » ou qu’il pense à un certain parcours.

Au passage, les chercheurs sont parvenus à implanter, chez les cinq souris testées, de nouveaux « souvenirs » grâce à cette activation du circuit de récompense. Pour preuve : deux souris témoins, dont les fibres du plaisir n’avaient pas été activées, ont repris un parcours aléatoire.
« Ce n’est pas pavlovien », insiste Karim Benchenane, neurobiologiste au CNRS, chef de l’équipe installée à l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles (ESPCI) qui a réalisé l’expérience. Un tel conditionnement, bien connu, aurait certes conduit la souris à s’arrêter sur l’endroit associé au plaisir, mais après avoir parcouru la pièce de façon aléatoire. « Là, le temps mis pour atteindre la cible diminue après le sommeil, poursuit Karim Benchenane. Il a donc bien appris quelque chose et créé des souvenirs dans la mémoire explicite. »


Implanter de mauvais souvenirs


Fort de ce succès, le neurobiologiste entend poursuivre. Voir s’il est aussi possible d’implanter chez le rongeur, pendant la nuit, de mauvais souvenirs. 

Mais surtout, tenter d’imaginer des applications chez l’homme, par exemple chez les patients qui souffrent de syndromes post-traumatiques. Le terrain n’est pas vierge. Les liens entre mémoire et sommeil ont déjà été explorés. « On sait depuis longtemps qu’il est conseillé d’apprendre le soir, avant de se coucher, explique la professeure Isabelle Arnulf, directrice de l’unité des pathologies du sommeil à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris. A l’inverse, on arrive à effacer des cauchemars récurrents en les faisant réécrire ou dessiner pendant la journée et en modifiant la fin, poursuit-elle. Mais faire entendre un texte très fort à un adolescent qui dort aboutit juste… à le réveiller. »

Alors implanter de nouveaux souvenirs ? La suggestion ou l’hypnose y sont déjà parvenues. Mais ces méthodes dépendent de l’expérimentateur et le patient doit coopérer. Profiter juste du sommeil ? « L’expérience sur la souris est magnifique, mais chez l’homme, c’est encore un peu de la science-fiction, estime le médecin. Implanter des électrodes dans le cerveau est très délicat. Et on le fait sur des patients éveillés, pour surveiller qu’on pique au bon endroit. » Ce type de thérapie par le sommeil n’est donc pas pour demain.


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