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dimanche 25 janvier 2015

« Aborder la ségrégation à partir des quartiers populaires, c’est prendre le problème à l’envers »

Le Monde.fr | 
Que pensez vous des déclarations de Manuel Valls prônant une « politique du peuplement pour lutter contre la ghettoïsation, la ségrégation »?

Renaud Epstein, sociologue à l’université de Nantes : Cela fait maintenant 25 ans que des responsables politiques de droite comme de gauche tiennent ce genre de discours. Déjà en 1990, au lendemain des émeutes de Vaulx-en-Velin, François Mitterrand dénonçait « cette terrible uniformité de la ségrégation, celle qui regroupe des populations en difficulté dans les mêmes quartiers, qui rassemble les enfants d’origine étrangère dans les mêmes écoles ».

Si le discours du premier ministre, deux jours après sa sortie sur l’apartheid, pose problème c’est d’abord du fait de son timing et des mots choisis. Faire de telles déclarations, formulant les problèmes en termes ethno-raciaux, deux semaines après les attentats, cela revient à établir implicitement un lien entre la concentration spatiale des minorités et le terrorisme. Ceux-là même qui répètent qu’il ne faut pas faire d’amalgames, qu’il faut prendre garde à ne pas stigmatiser les musulmans, alimentent par leurs discours sur les quartiers populaires un autre amalgame. Passer d’un événement dramatique à la dénonciation des « territoires perdus de la République » est d’autant plus absurde que les frères Kouachi ont passé une bonne partie de leur adolescence en Corrèze ! On peut donc redouter que ce genre de déclarations choc de Valls, sous couvert d’un « parler vrai » consistant à développer une lecture racialisée du monde social et de l’espace urbain (tout en la dénonçant !), contribue au renforcement des préjugés qui servent de terreau aux discriminations. D’autant plus que dans le déferlement d’annonces de ces derniers jours, la lutte contre les discriminations est une nouvelle fois la grande absente.


Mais le constat de ségrégation des quartiers populaires est cependant réel.

Aborder la ségrégation à partir des quartiers populaires, c’est prendre le problème à l’envers. Parce que la situation des quartiers pauvres n’est que le résultat de mécanismes qui se jouent à l’échelle de la ville, en partant des quartiers riches, ces « ghetto du gotha » décrits Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot au regard desquels les quartiers HLM sont des quartiers de mixité sociale ! C’est par le haut du marché immobilier que se déploient les processus de spécialisation, avec des mécanismes d’éviction qui se diffusent des quartiers riches vers les quartiers mixtes et, en bout de chaîne, vers les quartiers pauvres. Si on veut lutter contre la ségrégation, partons des mécanismes qui en sont à l’origine et non des conséquences.

Il y a déjà eu plusieurs tentatives de « politique de peuplement » pour assurer la mixité sociale des quartiers. Quel bilan en tirer ?

Trois types de politiques ont été mises en œuvre à cette fin. La première, amorcée au début des années 1990, joue sur les attributions HLM. Il s’agit alors d’éviter que les flux d’entrée dans le logement social ne viennent renforcer la spécialisation des quartiers ou des immeubles dans lesquels sont déjà concentrés certaines catégories de locataires perçus comme problématiques : les ménages défavorisés, les grandes familles et donc, implicitement, les immigrés. Les deux autres politiques développées contre la ségrégation jouent sur un autre levier, celui de la répartition spatiale du parc social. Cela passe d’un côté par la construction de logements sociaux dans les communes qui en sont le moins pourvues (avec les fameux 20% de la loi SRU, passés à 25% avec la loi ALUR), de l’autre côté par la démolition de logements sociaux dans les quartiers où leur concentration est la plus massive, ce que l’on appelle la rénovation urbaine.

Ces trois politiques se sont heurtées à de nombreux obstacles : au déficit de logements sociaux à bas loyers, qui limite de fait l’offre disponible pour les ménages défavorisés aux seuls quartiers de grands ensembles ; aux stratégies protectionnistes des maires, qui n’ont accepté la construction de HLM dans leur commune qu’en contrepartie d’un droit de regard sur les attributions, et qui ont ensuite bloqué l’arrivée des familles jugés indésirables ; aux bailleurs sociaux eux-mêmes, qui ont parfois choisi de concentrer ces mêmes familles dans les immeubles les plus pourris pour préserver d’autres segments de leur parc.

Myriam El Khomri, la secrétaire d’Etat à la ville, a annoncé vouloir travailler sur les attributions de logement. Est-ce une solution?

C’est en tout cas la solution prévue par la loi Lamy votée il y a moins d’un an, dont l’article 8 prévoit la signature de conventions intercommunales d'attributions de logements sociaux conciliant l’objectif de mixité sociale et du droit au logement. Toute la question est de savoir comment concilier ces deux objectifs en tension, ce qui passe d’abord par la sortie d’un système d’attribution des HLM totalement opaque qui favorise les pratiques discriminatoires. Il y a des propositions intéressantes dans le rapport issu de la concertation sur les attributions de logements sociaux qu’avait mise en place Cécile Duflot. Des villes comme Paris ont déjà commencé à les mettre en œuvre. Mais le travail sur les attributions ne peut avoir d’effet sur la ségrégation s’il ne s’accompagne pas d’une politique volontariste de construction HLM dans la durée, à l’image de ce qu’a fait l’agglomération rennaise qui apparaît aujourd’hui comme le modèle à suivre pour tous les acteurs du logement.

Propos recueillis par Sylvia Zappi


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