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mardi 23 décembre 2014

Didier Tabuteau : «Il faut faire revenir les patients à la médecine de ville»

ERIC FAVEREAU

Pour Didier Tabuteau, qui dirige la chaire de santé à Sciences-Po, la généralisation du tiers-payant doit permettre un rééquilibrage entre les soins assurés par les cabinets et l’hôpital.
Depuis des années, vous dites que l’extension du tiers-payant est une mesure de justice sociale. Alors pourquoi les médecins, y compris ceux de gauche, s’y opposent-ils ?
C’est une mesure qui est favorable à l’accès aux soins des personnes modestes, il n’y a aucun doute là-dessus. Cela lève des obstacles financiers : avancer 40 ou 50 euros peut engendrer des difficultés pour 30 à 40% de la population française. Certains évoquent un effet inflationniste. Dans un premier temps, le nombre de consultation augmente, l’accès aux soins est plus simple - c’est même le but de la mesure. Pour ces patients qui seront pris en charge plus précocement, la prévention deviendra alors possible, ils n’attendront plus que la maladie se soit aggravée pour voir le médecin. Dans un second temps, cela fera donc des économies.
Et puis, il faut noter que le tiers-payant a déjà été étendu aux bénéficiaires de la CMU ou aux victimes d’accidents de travail, ou dans les cliniques. Pour la CMU, on a constaté que cela avait seulement permis aux bénéficiaires de rattraper le niveau de dépenses des autres assurés sociaux. Et dans tous les autres pays avec des systèmes comparables au nôtre, cela marche.

A l’hôpital, le tiers-payant est généralisé également ?
Oui, et c’est un autre argument pour sa généralisation en ville. Nous sommes dans une situation paradoxale : le fait que le tiers-payant existe à l’hôpital incite les patients à y aller. Or il est essentiel que ces patients reviennent à la médecine de ville. Le tiers-payant est donc aussi une mesure de rationalisation des systèmes de soins, avec un rééquilibrage entre la ville et l’hôpital.
Mais alors pourquoi les médecins sont-ils réticents ?
Cela fait un siècle et demi que l’on fonctionne sur le paiement direct, il y a une histoire, une culture, un symbole. Certains évoquent même la remise en cause d’un principe déontologique. Mais les médecins hospitaliers comme les médecins des autres pays exercent de manière parfaitement déontologique sans paiement direct des honoraires ! Ce n’est pas un principe mais une simple tradition.
Quand en 1918, avec le retour de l’Alsace-Lorraine dans le giron français, il a fallu décider de l’harmonisation des systèmes de protection sociale, les médecins se sont terriblement inquiétés de l’extension des lois dans leur pratique. Ils se sont mobilisés, et en 1927, a été adoptée la charte de la médecine libérale, avec sept principes, dont l’un était le paiement à l’acte. Au lendemain de la Seconde Guerre, en 1945, le paiement à l’acte n’est pas remis en cause, on estime qu’il y a d’autres priorités. Puis, en 1971, c’est la première convention nationale des médecins et l’on va affirmer que le paiement direct est un principe déontologique fondamental. On vit sur cette idée qui n’a plus rien à voir avec les pratiques actuelles.
Pourtant les médecins n’en veulent toujours pas…
Il faut répondre à cette crainte centenaire des médecins d’être asservis par les pouvoirs publics. On peut en sourire, mais cette crainte est là, elle existe, et les pouvoirs publics doivent donner des garanties pour lever cette peur symbolique.
D’autres arguments sont techniques, et ils sont eux aussi compréhensibles. Avec les dizaines de mutuelles, de complémentaires, ce n’est pas simple. Les médecins ont autre chose à faire que remplir des papiers. Le tiers-payant doit les libérer, non les contraindre. Enfin, il y a l’idée que la gratuité dévalorise l’acte en soi. Argument respectable, mais, à l’hôpital, les actes ne sont pourtant pas dévalorisés. Toutes les autres professions qui pratiquent déjà le tiers-payant, comme les pharmaciens, les biologistes, je n’ai pas le sentiment que leur exercice soit dévalorisé.
En période de crise, est-il possible de réformer ?
Je suis interrogatif sur le moment : en période d’élections professionnelles, comme c’est le cas actuellement, cela ne favorise pas l’émergence de compromis sociaux. En revanche, en période de crise économique, il y a encore plus nécessité de restructurer le système de soins, autour du médecin de premier recours, de mieux partager ainsi la place entre médecine de ville et hôpital.

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