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lundi 8 décembre 2014

Des infirmières à têtes chercheuses

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO |  

C’est une belle journée d’échanges entre chercheurs, avec communications à la tribune, séquences de questions-réponses avec la salle, discussions animées aux pauses café... Mais il flotte une atmosphère singulière, rafraîchissant mélange d’enthousiasme et d’émotions. « Généralement, nous sommes les petites mains de la recherche. Là, c’est nous qui organisons, qui recrutons les patients. Nous sommes fières », souligne ainsi Fabienne Delestre, diététicienne à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris) venue présenter Hypnodiet, une étude qui va évaluer les effets de l’autohypnose chez des personnes obèses souffrant d’impulsivité alimentaire.

Le 28 novembre, dans l’amphithéatre flambant neuf de l'Institut du cerveau et de la moelle épinière de la Pitié-Salpêtrière, c’est la recherche infirmière et paramédicale qui était à l’honneur, lors d’une journée organisée par l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP). L’occasion de découvrir une génération décoiffante de jeunes chercheurs et surtout chercheuses au parcours atypique, précédemment infirmiers, diététiciens, kinésithérapeutes…

Dans des pays comme le Canada, l’Australie ou le Danemark, les recherches en sciences infirmières et paramédicales sont structurées, des doctorats spécifiques ont été créés. En France, un mouvement s’amorce, mais les freins sont encore nombreux : budgétaires, culturels, réglementaires. Jusqu’ici, il n’existe pas de doctorat consacré aux sciences infirmières. Si les para-médicaux peuvent accéder à des doctorats en sciences – y compris humaines –, rien n’est cependant prévu pour une carrière hospitalo-universitaire sur le modèle de celle des médecins.


Préoccupations de terrain


Depuis quelques années, les infirmiers docteurs en sciences se sont organisés en un réseau, ResIDoc. Et quelques CHU, notamment celui d’Angers, se mobilisent pour promouvoir une véritable recherche paramédicale.

En pointe dans ce domaine, l’Assistance publique a accordé neuf postes de doctorats de recherche à des infirmiers et cadres de santé depuis 2010. Un nouvel appel à candidatures a été lancé pour 2015. Pendant trois ans, les doctorants sont libérés de leurs obligations de service, et un (petit) budget spécifique est alloué pour lancer le projet de recherche .

« Apport infirmier dans le dépistage, avec l’exemple de l’infection à VIH » ; « Réflexion éthique sur la fin de la vie de l’enfant atteint d’amyotrophie spinale infantile »… Les sujets de thèse choisis par les neuf doctorants de l’APHP (dont 7 sont des femmes) sont variés, et correspondent à de réelles préoccupations de terrain. Certains interrogent même les soignants sur des sujets délicats concernant leurs propres pratiques.

C’est le cas du travail de Bénédicte Lombart, doctorante en philosophie pratique et éthique hospitalière, présenté lors de la journée du 28 novembre. « Ma question était de savoir comment le recours à la contention en pédiatrie peut se transformer en un usage illégitime de la force, raconte la jeune femme, précédemment cadre de santé à l’hôpital Armand-Trousseau (Paris), au centre de lutte contre la douleur. En pédiatrie, ces pratiques de contention sont finalement assez banales, mais elles sont faiblement interrogées dans la littérature. »


Dans le cadre de son doctorat, Bénédicte Lombart a mené une étude qualitative de type ethnographique, auprès de cinq groupes de paramédicaux (infirmières, aide-soignants, kinés…). Les réponses, analysées avec l’aide de logiciels, et décryptées par une équipe multidisciplinaire, sont riches d’enseignements. « Pour les soignants, la contention lors des soins est vécue comme une fatalité regrettable et paradoxale. Le mot même de contention peut apparaître comme tabou et provoque un malaise. Mais ils se sentent contraints pour des raisons organisationnelles, quitte à mettre l’enfant entre parenthèses pour légitimer le soin », résume la doctorante.

Sur l’une des diapositives de sa présentation, elle a mis en exergue un verbatim : « J’oublie ce qui se passe, ce n’est plus un enfant, j’ai une sonde à mettre, c’est tout, je n’ai pas le choix, c’est ce qu’on me demande. » Un témoignage représentatif de ce que Bénédicte Lombart qualifie de « cécité empathique transitoire ».

Grâce à sa recherche, elle espère faire bouger les lignes sur ce sujet difficile, faire émerger un débat au niveau institutionnel, voire des recommandations. A plus court terme, elle prévoit aussi, comme tout chercheur, de diffuser ses résultats. « Dans l'idéal, ce serait valorisant de publier dans une revue médicale à fort facteur d'impact. Mais globalement, je n’ai aucun problème à publier dans des revues infirmières », sourit Bénédicte Lombart.

Sélectionnée elle aussi en 2012 par l’APHP pour une thèse de doctorat en sciences, Bérengère Couturier planche, elle, sur l’organisation de la sortie de l'hôpital et la continuité des soins infirmiers en aval. « C'est une recherche passionnante, à la fois bibliographique et de terrain, mais c’est l’après qui m’interroge, témoigne la jeune femme, cadre de santé en cardiologie à l’hôpital Saint-Antoine (Paris). Comment réinvestir nos nouvelles compétences au sein des organisations de soins existantes ? Voila le prochain défi à relever collectivement. »
« L’APHP veut valoriser tous les talents, mais l’avenir de certains chercheurs n’est pas simple à construire, reconnaît François Bassompierre, qui s’occupe de ces appels d’offre à l’APHP. Il reste beaucoup à faire, pour obtenir des statuts hospitalo-universitaires, mettre en place des transferts de compétence... »

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