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jeudi 16 octobre 2014

Lionel Naccache, la conscience des neurosciences

LE MONDE SCIENCE ET TECHNO Par 
Lionel Naccache, le 6 octobre 2014, à Paris.
Tel du vif-argent, il surgit dans la nef de l’immense cathédrale de verre dédiée au culte du système nerveux : l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM), à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Dans ce haut lieu des neurosciences, Lionel Naccache, cheveu rebelle et chemise bariolée, veille sans relâche sur nos états de conscience, dans un singulier mélange d’enthousiasme et d’humilité, de rigueur et d’humanité, d’exigence intellectuelle et de gravité. Non sans une certaine candeur, qui d’emblée désarme : un regard de douceur posé sur le monde.
« J’ai voulu développer ici mes travaux pour les ancrer dans une réalité clinique », explique le neurologue-chercheur, ancien élève de l’Ecole normale supérieure de Paris. Les jeudis et vendredis, il prend en charge des patients à la conscience altérée, qu’ils soient victimes d’une maladie neurologique ou neurodégénérative ou qu’ils aient subi un accident cérébral. Autant de drames auxquels Lionel Naccache tente d’apporter des éléments rationnels de réponse diagnostique, voire d’offrir de nouveaux outils thérapeutiques.
« Lionel est un pionnier dans cette voie de recherche difficile, encore taboue il y a dix ans quand nous avons commencé à l’explorer, raconte le professeur Steven Laureys, qui dirige le fameux Coma Science Group du CHU de Liège (Belgique). Ses deux casquettes, celle du chercheur et celle du médecin, sont ici extrêmement précieuses. »

Depuis 2009, Lionel Naccache propose un test d’évaluation de l’état de conscience. Fondé sur l’électroencéphalographie, ce test identifie une « signature cérébrale » très précise, en réponse à la prise de conscience d’un signal auditif. « Cette signature confirme un modèle théorique que nous avons proposé dès 2001, Stanislas Dehaene, Jean-Pierre Changeux et moi-même. Dans ce modèle, l’état de conscience correspond à la mise en réseau d’aires cérébrales éloignées. C’est “l’espace de travail global”. »
L’AFFAIRE VINCENT LAMBERT
Dans l’affaire Vincent Lambert, ce drame qui bouleverse la France, Lionel Naccache a été l’un des trois experts nommés par le Conseil d’Etat. Leur mission : évaluer, à l’aide de tests et d’examens sophistiqués, l’état de conscience de cet homme de 38 ans, tétraplégique depuis un accident de la route survenu en 2008. En mai, les experts ont conclu à un état végétatif aux chances d’amélioration « très peu probables ». En juin, le Conseil d’Etat s’est prononcé en faveur d’un arrêt des traitements. Une décision suspendue au jugement de la Cour européenne.
« Lionel sait communiquer avec les familles sur la réalité médicale de ces malades, avec toute l’empathie nécessaire mais aussi avec un grand sens des nuances », témoigne Steven Laureys.« Pour éviter de projeter sur ces patients nos croyances subjectives, il est essentiel de disposer d’informations objectives sur leur état de conscience, relève Lionel Naccache. Mais les décisions médicales sont à prendre au cas par cas. » Quels sont les critères qui permettent d’apprécier si une vie mérite ou non d’être vécue ? « Chez un même patient, ils peuvent fluctuer », dit le médecin.
En septembre 2013, il a rejoint le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). « Lionel Naccache est l’une des cinq personnalités nommées au CCNE pour leur appartenance aux principales familles philosophiques et spirituelles, témoigne Jean-Claude Ameisen, président du CCNE. Son humanité, sa générosité, ses grandes connaissances en neurologie et en neurosciences, son questionnement permanent et le regard bienveillant qu’il porte sur le monde contribuent à la profondeur de sa réflexion éthique. »
« COMME UNE ENQUÊTE POLICIÈRE »
« Quand je l’ai rencontré, en 1995, j’ai tout de suite vu que j’avais affaire à quelqu’un de brillantissime, raconte Stanislas Dehaene (CEA-Inserm), colauréat du Brain Prize 2014. D’une énergie phénoménale, il est extraordinairement créatif. » Tous deux ont mené ensemble plusieurs études issues de l’observation de patients.
« C’est un peu comme une enquête policière ou un livre d’Oliver Sacks, confie Lionel Naccache. A partir d’une rencontre singulière avec un patient, nous tentons de comprendre ce qui ne fonctionne pas. Et d’en déduire des règles générales sur les processus cérébraux de la pensée. »
Tel est le cas de cette jeune femme atteinte du « syndrome d’Ondine »  : une maladie liée à une mutation génétique qui supprime le contrôle automatique de la respiration par le tronc cérébral. Pour dormir, ces malades ont besoin à vie d’un respirateur. « Chez cette patiente, nous avons montré que le cortex établit une communication forte avec le tronc cérébral pour contrôler la respiration », explique Lionel NaccacheCe travail a eu une retombée médicale : en cas d’effort intellectuel soutenu, les capacités cognitives de ces patients sont améliorées par la mise sous ventilateur.
« Lionel nous a donné accès à des enregistrements intracérébraux de patients épileptiques, raconte Stanislas Dehaene. Nous avons montré, par exemple, que le contenu émotionnel des mots est codé dans l’amygdale, une petite structure primitive nichée au centre de notre cerveau. » Mieux : les chercheurs ont établi que l’analyse du sens des mots peut être en partie inconsciente.
Mais cet amateur de philosophie a aussi la fibre d’un écrivain. DansLe Nouvel Inconscient (Odile Jacob, 2006), il relève ce défi : élaborer un discours contemporain sur l’inconscient, grâce aux données des neurosciences, sans faire l’économie d’une discussion sur la pensée freudienne.
En mai 2011, une maladie du sang l’a cloué sur un lit d’hôpital. Il évoque cette expérience dans un livre étonnant, Un sujet en soi. Les neurosciences, le Talmud et la subjectivité (éditions Odile Jacob, 2013). « Il y aurait eu, je crois, quelque chose de naïf à explorer la “Subjectivité” avec un grand S en mettant la sienne de côté  ! »
Un livre sur le Talmud, n’est-ce pas paradoxal, pour qui tente d’opposer la rationalité de la science à la subjectivité des croyances  ? « Cette interprétation de l’Ancien Testament est une école de la pensée critique, une discussion sur l’idée de Dieu menée avec une grande liberté. Le judaïsme se méfie des croyances religieuses où l’on projette ses fantasmes », estime Lionel Naccache, qui se revendique « juif talmudique ».

Il l’assure : « Quand je fais de la science, je ne me préoccupe pas de ces questions. » Mais il relève la cohérence de ces deux démarches :« Je m’intéresse à ce que croit une personne, avec sa conscience et sa subjectivité. Il s’agit de maintenir une juste distance entre le “feu” de la subjectivité et la “glace” de la loi objective. » Entre fraternité et lucidité, au fond.

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