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mardi 21 octobre 2014

La procrastination procréative, symptôme de notre modernité ?

GENEVIÈVE DELAISI DE PARSEVAL

Quel bel et bon sujet qui, pour une fois, n’est pas près d’être balayé en quelques jours par le suivant… Deux multinationales américaines offrent une jolie somme à de brillantes jeunes femmes afin qu’elles congèlent leurs ovocytes ; ce, afin de les inviter à procrastiner le plus tard possible la conception de leur premier enfant. Ainsi, plus d’arrêts pour maternités intempestives, grossesses pathologiques ou congés pour des rhinopharyngites du nourrisson. Il est facile de se gausser de ces Américains malades du progrès, victimes irréfléchies de la loi de Gabor («Tout ce qui est techniquement possible sera nécessairement réalisé»). Qu’on se rassure : il n’y a pas, en France, de risque qu’une telle dérive advienne puisque c’est interdit ! S’il existe chez nous ce type de candidateswork addict, elles n’ont qu’à aller en Espagne faire congeler leurs ovocytes, à leurs frais bien entendu (4 000 euros environ).
Avant de juger urbi et orbi, considérons les arguments. Outre-Atlantique, où le débat fait rage depuis une quinzaine de jours, certains voient là un renouvellement intéressant de la question du genre : hommes et femmes seraient enfin égaux quant à l’âge de la procréation ; fini le couperet de l’horloge biologique qui discrimine les femmes tandis que ces messieurs peuvent procréer à point d’âge pour peu qu’ils trouvent une candidate possible. Un argument contraire s’insurge, lui, contre l’intrusion scandaleuse de la société capitaliste dans l’intimité, voire dans la sexualité des femmes («vous voulez des enfants ? combien ? quel genre de sexualité avez-vous ? etc.») Quant au culte du jeunisme, il fédère, lui, tout le monde : «Vous pourrez procréer, mesdames, à 50 ans, avec des ovocytes âgés de 30 ans. Quelle avancée sociétale et médicale !»
En France, pour l’instant, l’Olympe de la bioéthique semble condamner cette pratique sauvage. Un certain nombre d’effets collatéraux sont, en effet, prévisibles si la congélation des ovocytes devenait possible (et remboursée par la Sécurité sociale ?) : on pourrait nommer «syndrome de procrastination maternelle» le scénario le plus probable. Il existe en fait nombre d’arguments autres que ceux relatifs au carriérisme pour apporter de l’eau au moulin de la maternité différée ; problématique alimentée depuis longtemps par la contraception, l’IVG, le célibat prolongé et autres événements ou prétextes, bons ou mauvais selon le regard qu’on porte : le «futur suffisamment bon père» n’a pas encore été rencontré, ou la mort d’une grand-mère, ou un appartement jugé trop petit, ou encore un changement de job, etc.
Evénements ou prétextes, bons ou mauvais selon le regard qu’on porte. On peut même envisager des effets pervers sur le désir d’enfant  lui-même, le fantasme sous-jacent étant alors le suivant : «Ma capacité reproductive est vérifiée par la médecine, j’ai de "bons ovocytes jeunes", ce gain narcissique me suffit !» Il est de fait gratifiant de penser pouvoir avoir plusieurs (beaux) enfants, plus facile au fond que d’en avoir (et d’en élever) un ! L’enfant idéal est parfois mieux que l’enfant réel.
Mais il existe aussi des arguments médicaux. La fécondation in vitro ne marche pas à tout coup, surtout quand la future mère a plus de 40 ans. L’avis de l’American Society for Reproductive Medicine (ASRM) à ce sujet souligne le faux espoir qui encourage les femmes à différer leur maternité. Les chiffres estimés d’une naissance dans ce contexte sont faibles et ils varient en fonction de l’âge de la femme au moment de la congélation (31,5% de chances si elle a 25 ans, mais 14,8% si elle en a 40). Mais qui irait congeler ses ovocytes à 25 ans, un âge où l’on se croit indéfiniment féconde ? L’hubris de la jeunesse. Les scientifiques américains sont dubitatifs, on le voit. Se dessine alors un scénario un peu ubuesque au cas où la FIV ne marcherait pas chez une femme de 40 ans qui aurait fait trois tentatives de FIV avec ses ovocytes congelés dix ans auparavant : ce serait de faire des FIV en recourant à un don d’ovocytes de femmes très jeunes (20 ans). Comble du paradoxe…
Un débat passionnant s’ouvre. Avant de proférer des jugements ou prophéties tous azimuts, il paraît intéressant de savoir ce qu’en pensent les femmes françaises elles-mêmes, dans un contexte culturel bien différent de celui des Américaines.
Dernier ouvrage paru : «Voyage au pays des infertiles. Neuf mois dans la vie d’une psy», Odile Jacob, 2014.

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