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jeudi 18 septembre 2014

L'euthanasie, seul espoir pour les délinquants sexuels «incurables» ?

SONYA FAURE


Frank Van Den Bleeken, ici en novembre 2013, demande à être euthanasié depuis plusieurs années.
Frank Van Den Bleeken, ici en novembre 2013, demande à être euthanasié depuis plusieurs années. (Photo Virginie Lefour. AFP)

«Mon client est en prison depuis trente ans, il n’a jamais reçu de traitement adéquat, exceptés les quelques mois où il a été transféré dans un hôpital. Ces souffrances liées à sa maladie psychiatrique, que la justice a toujours reconnue, sont durables et insurmontables.» L’avocat Jos Vander Velpen égrène son argumentaire, celui-là même qui a conduit à ce que la Belgique accepte qu’un interné belge soit euthanasié. Celui-ci a signé un accord avec le ministère de la Justice. Il va rejoindre un hôpital où il aura quarante-huit heures pour faire ses adieux à ses proches. Ce qu’il réclame depuis trois ans. Depuis cette décision, quinze internés auraient déjà manifesté leur volonté d’être euthanasiés auprès d’ULteam, une organisation chargée de conseiller les patients sur la fin de vie.
«Je suis un humain et, quoi que j’aie fait, je reste un humain»,argumentait Frank Van Den Bleeken, de la cellule de sa prison d’Anvers. Au journaliste de la RTBF qui lui demandait : «Et pour cette raison vous dites : "Donnez-moi l’euthanasie" ?», le prisonnier répondait : «Oui, donnez-moi l’euthanasie.» Frank Van Den Bleeken, 52 ans, est un délinquant sexuel récidiviste. La justice a estimé que, souffrant d’une maladie psychiatrique, il n’était pas capable de discernement. Van Den Bleeken est donc «interné» et non détenu. En Belgique, l’internement s’adresse historiquement aux délinquants«anormaux», aux «délinquants d’habitude» (les récidivistes) et à certains délinquants sexuels. Ils sont enfermés, ne sont pas condamnés à une peine déterminée, mais «deux fois par an, ils doivent comparaître devant une commission qui doit dire s’ils sont guéris ou non», explique l’avocat Jos Vander Velpen. Frank Van Den Bleeken, lui, n’a pas comparu devant cette commission depuis bien longtemps : il ne veut pas être libéré. Classé par des médecins dans la catégorie des criminels incurables, il est lui-même persuadé qu’il allait récidiver si on le remettait en liberté. 
Les «internés» sont censés recevoir des soins. Mais Van Den Bleeken, comme des centaines d’autres incarcérés sous ce régime, n’était en réalité pas enfermé dans un hôpital psychiatrique, mais dans une prison, où internés vivent auprès des prisonniers de droit commun et ne reçoivent que peu de soins. «Dans la prison tout près d’Anvers où il était incarcéré, 150 internés côtoient 150 détenus, assure l’avocat de l’homme. L’unique psychiatre de la prison fait des rapports, il ne peut pas soigner les internés. Il s’agit de personnes très malades qui parfois crient jour et nuit, ne sortent jamais en promenade.»

RISQUE DE DÉRIVE

La Belgique a été condamnée à plusieurs reprises pour le manque de soins qu’elle offre à ses internés. «Cette affaire pose la question du suivi psychologique et psychiatrique dans nos prisons qui est catastrophique : une récente proposition de loi a souligné qu’il faudrait plusieurs dizaines de millions d’euros pour améliorer la situation, notamment en construisant des unités spécialisées. Mais nous sommes en période de vaches maigres et l’Etat doit faire des économies», note la sénatrice belge réformiste Christine Defraigne, coauteure du texte de loi sur l’euthanasie des enfants voté au printemps. Mais va-t-on autoriser l’euthanasie à tous les internés souffrant de leurs conditions de détention faute de budget ?«Si on en arrive à dire : on doit permettre l’euthanasie à tous ceux qui souffrent de trop longues peines de prison, il y a là un gros risque de dérive !»
L’avocat du détenu le souligne : même si ses conditions de vies en prison étaient inacceptables, ce n’est pas pour cela que Frank Van Den Bleeken aurait demandé l’euthanasie, mais pour des «souffrances liées à sa maladie psychiatrique». En effet, la loi belge légalisant l’euthanasie ne prévoit pas que toute personne demandant à mourir y ait droit. Seules les personnes dont les souffrances physiques ou psychiques sont inapaisables en l’état actuel de la médecine et qui résultent d’une maladie incurable peuvent y accéder. Comme la loi le prévoit, trois médecins et psychiatres se sont penchés sur le cas de l’interné et ont autorisé l’euthanasie.
Son cas est pourtant litigieux, selon ULteam, l’équipe pluridisciplinaire qui propose des consultations aux patients souhaitant faire une demande d’euthanasie. Selon l’organisme, «pour aboutir à l’euthanasie, il faut toujours être sûr qu’on a tout fait pour soulager la souffrance. Or, dans le cas de cet interné, ce n’est pas le cas : on ne lui a pas donné le choix. Il a demandé son transfert vers un hôpital psychiatrique, aux Pays-Bas, spécialisé dans ce type de profil. Sa demande a été rejetée. C’est parce que cette piste-là s’est fermée qu’il a poursuivi ses demandes d’euthanasie, il ne lui reste plus que ça.»

«A-T-ON TOUT TENTÉ ?»

La sénatrice Christine Defraigne doute elle aussi. «Certes, trois médecins se sont prononcés, et ils n’ont pas pris leur décision à la légère. Mais a-t-on tout tenté ? La castration chimique n’était-elle pas adaptée puisque sa souffrance semble être liée au fait d’être considéré comme violeur incurable et à la peur de recommencer ? Dans ce cas, on fait peut-être une interprétation extensive de la loi : il s’agit davantage ici d’un suicide assisté – qui n’est pas légal en Belgique – que d’une euthanasie. On semble dire : "Si on n’accède pas à sa demande d’euthanasie, de toute façon, cette personne se suicidera."»
Selon son avocat, Van Den Bleeken a longuement discuté avec sa famille, ses amis. «Il dit qu’il souffre trop, que la vie n’a plus aucun sens pour lui,rapporte Me Jos Vander Velpen. Je ne peux pas vous donner de précisions sur sa pathologie, du fait du secret médical et du respect de sa vie privée. Mais il a toujours des images sexuelles. On lui a proposé une castration chimique, qui ne semble finalement pas une solution pour lui. Son transfert vers une structure de soin ayant échoué, nous avons conclu un accord avec le ministère de la Justice.» L’euthanasie ne pouvant être menée dans une prison, Frank Van Den Bleeken sera transféré dans les prochaines semaines dans un hôpital.

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