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dimanche 31 août 2014

Vivre? Quelle bonne idée !

Le Monde.fr | Par 
C’est l’une des scènes les plus mémorables du Royaume bâti par Emmanuel Carrère. Page 23, il raconte son unique séance avec le psychanalyste François Roustang. Devant lui, l’écrivain évoque l’impasse où il se trouve, ses maux de ventre, ses pensées suicidaires. Puis il demande à Roustang s’il accepterait de le prendre en cure. ­Celui-ci répond que non. Je le sens bien, dit-il, tout ce qui vous intéresse, c’est de prouver une fois de plus combien vous êtes doué pour tenir en échec vos psychanalystes. Vous devriez passer à autre chose, poursuit Roustang. Oui, à quoi ?« Vous avez parlé du suicide. Il n’a pas bonne presse de nos jours, mais quelquefois c’est une solution. » Après avoir laissé s’installer un silence, le thérapeute conclut : « Sinon, vous pouvez vivre. »Fin de la cure. « Petit à petit, sans que je l’aie ­jamais revu,constate Carrère, les choses ont commencé à aller mieux. »

Sinon, vous pouvez vivre… Formule d’une fulgurante simplicité, où l’on ­reconnaît le style hardi et provocateur qui distingue François Roustang. Franc-tireur de la scène freudienne, passé de la Compagnie de Jésus à la « secte lacanienne », puis de la psychanalyse à l’hypnose, il partage avec Carrère la même ­répugnance pour les récits blindés de certitudes, et la conviction que l’humour permet de les dynamiter. Ainsi faut-il se féliciter que Le Royaume de Carrère ­paraisse en même temps qu’un beau ­recueil de textes signé par le psycha­nalyste, réédité en poche sous le titre Feuilles oubliées, feuilles retrouvées (Petite bibliothèque Payot, 256 p., 9 €).

La question de la fin de l’analyse y est centrale. Moquant les pratiques des ­confrères qui ont autant de facilité à ­verrouiller leurs théories que de difficulté à libérer leurs patients, Roustang refuse de considérer que toute psycha­nalyse, par définition, relèverait d’un échec sans cesse recommencé : « Si la réussite est dans le ratage, moins ça marche et plus ça marche », ironise-t-il. Ne pas enfoncer le patient dans une passivité morbide, ­réhabiliter sa capacité de décision et, pour cela, user de la provo­cation : voici ce que préconise le docteur Roustang, qui persiste à penser que la psychanalyse doit viser, à la fin des fins, le bonheur du patient.« Le bonheur n’a pas très bonne presse aujourd’hui », prévient-il encore. On pourrait ajouter   : mais, quelquefois, c’est une solution.

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