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mercredi 30 juillet 2014

Quand la psychiatrie était une affaire de cœur

04/06/2014
Le célèbre papyrus Ebers constitue « le plus important témoignage connu de la médecine dans l’Égypte antique » rappellent deux psychiatres exerçant à Beyrouth (Liban). Œuvre d’un scripteur anonyme et daté d’environ 35 siècles (mais colligeant des savoirs pouvant remonter à plus de 50 siècles), ce document recense trois types de « guérisseurs : les médecins, les chirurgiens, et les sorciers. » Parmi les remèdes mentionnés dans ce recueil, on note une «pommade contre la calvitie » incorporant des composants extraits d’organismes animaux : « lion, hippopotame, crocodile, serpent et graisse de bouquetin. » Il n’est pas sûr que nos pharmacies modernes puissent encore délivrer une telle préparation magistrale !

Décrivant diverses affections somatiques ou psychiatriques, le papyrus Ebers les « relie essentiellement à des dysfonctionnements du cœur », considéré (à juste titre) comme le « centre de l’approvisionnement en sang des vaisseaux », mais aussi (de façon moins légitime) comme l’organe « impliqué dans les troubles affectifs », même si la poésie et le langage véhiculeront longtemps cette idée, confortée en apparence par l’impact évident des émotions sur le cœur et le corps : tachycardie, pâleur…

Quand il évoque les pathologies et les remèdes relatifs au système nerveux, le papyrus Ebers ne fait « mention d’aucune entité reconnue dans notre nosographie actuelle. » Mais dans le chapitre sur les maladies du cœur et du système vasculaire, on estime que la description de certaines problématiques « correspond à des troubles affectifs. » L’auteur du papyrus s’efforce de « rattacher la survenue de troubles affectifs à un dysfonctionnement du système cardiovasculaire. » Si cette vision ne correspond plus bien sûr à la nôtre, puisque nous associons désormais ces troubles affectifs (et, plus généralement, psychiques) à une anomalie touchant certaines régions cérébrales (comme l’hippocampe, l’amygdale, ou le cortex préfrontal), on admet pourtant l’existence d’une « dissonance » (cross-talk) entre les processus régulant le système cardiovasculaire et ceux impliqués dans l’affectivité (ou une autre fonction psychique).
Le(s) rédacteur(s) de l’Antiquité égyptienne aurai(en)t donc eu la prémonition de ces liens entre « la tête et le cœur. » Liens que nous précisons aujourd’hui : d’une part, on a démontré que certaines psychopathologies (tel le trouble dépressif majeur) sont « associées à un risque accru de maladies cardiovasculaires », suite à des « mécanismes biologiques directs et de nombreuses influences indirectes liées au mode de vie du patient » ; et réciproquement, les sujets souffrant de problèmes cardiovasculaires ont «plus de risques de développer des troubles affectifs. » Par conséquent, nos lointains confrères de l’Antiquité égyptienne « n’avaient pas tout à fait tort d’attribuer ces troubles psychiques au cœur et de traiter le cœur des patients » que nous étiquetons désormais « dépressifs », ou plus globalement « en souffrance psychique. »
Dr Alain Cohen

RÉFÉRENCES
Bou Khalil R et Richa S: When affective disorders were considered to emanate from the heart: the Ebers Papyrus. Am J Psychiatry, 2014; 171: 275.

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