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mercredi 25 juin 2014

Les arrêts de traitement, une décision médicale courante mais toujours complexe

LE MONDE | Par 
Arrêt des traitements : le rapporteur public du Conseil d'Etat a estimé la procédure légale pour Vincent Lambert, jeune homme en état végétatif chronique depuis six ans. La décision des juges devait être connue mardi 24 juin, à 16 heures. Une telle possibilité, qui aboutit au décès, est autorisée par la loi Leonetti, qui proscrit l'obstination déraisonnable de la médecine sur un patient. Elle peut être prise à sa demande ou après une procédure collégiale qui doit associer sa famille, s'il ne peut exprimer sa volonté.
« Dans l'affaire Lambert, le sujet, ce n'est pas l'euthanasie, c'est l'acharnement thérapeutique », rappelle le député (Alpes-Maritimes, UMP) Jean Leonetti, qui a coutume d'insister sur le fait qu'il y a autour de 100 000 arrêts de traitement par an en France, soit près d'un million depuis le vote de sa loi en 2005. Le chiffre, construit à partir de diverses études, est un large arrondi. Il concerne l'ensemble des décisions de ce que le corps médical appelle les « limitations ou arrêts des thérapeutiques actives ». Car il n'existe aucune donnée précise. De nombreux éléments permettent néanmoins de montrer à quel point ces décisions sont courantes.

Fin 2012, l'Institut national d'études démographiques a publié une étude analysant près de 5 000 décès : elle indiquait que dans près de 20 % des cas, ils avaient fait suite à une décision de limitation (14,4 %) ou d'arrêt (4,2 %) de traitement. En réanimation, où la pratique est la plus courante, le nombre de décès liés à ce type de décision s'élèverait à 25 000 par an, selon des données des hôpitaux citées par le professeur Louis Puybasset dans Euthanasie, le débat tronqué (Calmann-Lévy, 2012). Et selon l'Observatoire national de la fin de vie, 40 % des résidents de maison de retraite sont concernés par une telle décision dans les 15 jours avant leur mort.
80 % DES DÉCÈS EN RÉANIMATION
« Ce qui est certain, c'est que cette question, nous nous la posons quotidiennement dans notre activité médicale », explique Vincent Morel, président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs. Il l'a très récemment abordée avec une patiente respirant à l'aide d'une machine et qui évoquait le procès Bonnemaison. « Quand on discute très en amont, c'est rassurant pour les patients. Ils savent qu'on pourra arrêter s'ils le veulent, et jamais peut-être ils ne le demanderont. Cela ne se faisait pas il y a dix ans. »
« Difficile de dire combien de décisions sont prises chaque année », indique le docteur Edouard Ferrand, qui consacre ses recherches aux conditions de fin de vie en France. Il rappelle que 50 % des décès ont lieu hors hôpital et qu'il n'existe aucun chiffre sur ceux-ci. D'après l'étude qu'il vient de terminer, désormais 80 % des décès en réanimation sont liés à un arrêt de traitement. La mort a lieu en moyenne un jour après que la question s'est posée, moins de deux jours dans d'autres services. Ce qui laisse supposer que les soins palliatifs et la consultation des proches sont souvent réduits au minimum. Un phénomène qu'il juge «accablant ».
Si de tout temps des traitements ont été stoppés, la loi Leonetti a encadré la procédure, et permis aux médecins d'éviter les poursuites. Mais la mise en pratique n'est pas encore optimale. En 2010, l'Inspection générale des affaires sociales estimait que la décision collégiale qui doit aussi impliquer un médecin extérieur n'était pas « systématiquement » et « intégralement respectée ».
DIMENSION SYMBOLIQUE
Souvent, un appareil d'assistance respiratoire est débranché, très rarement l'alimentation et l'hydratation artificielles. Cette décision peut concerner des patients jeunes, dans le coma, sans amélioration depuis des mois, et sans autre appareil de survie à ôter. « C'est là que la question est la plus complexe, à cause de la dimension symbolique qui n'existe pas dans les autres cas de figure », explique le docteur Véronique Fournier.
Le centre d'éthique clinique de l'hôpital Cochin qu'elle dirige vient d'analyser 88 cas, en soins palliatifs, neurologie, néonatologie et gériatrie. La question se pose aussi pour les personnes âgées démentes : refusent-elles de s'alimenter parce qu'elles perdent la tête, ou est-ce un ultime moyen pour dire qu'elles ne veulent pas aller plus loin ?

Il n'est souvent pas facile pour les soignants de basculer d'un projet curatif à une démarche palliative quand la question de laisser mourir se pose. Il en est ainsi en gériatrie, en cancérologie ou dans des centres de rééducation fonctionnelle, comme à Berck (Pas-de-Calais). Quand l'équipe refuse l'interruption des traitements, il faut trouver un autre lieu d'accueil. Jamais un cas n'était allé si loin que celui de Vincent Lambert, qui se règle devant la justice. Son histoire cumule les difficultés : il est inconscient, son seul traitement est la nutrition et l'hydratation artificielles. Mais aussi, et surtout, sa famille n'a pas réussi à se mettre d'accord sur son maintien ou non en vie.

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