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vendredi 9 mai 2014

Des salariés s'associent sur un mode inédit pour gérer eux-mêmes leurs établissements en difficulté

07/05/14


LE FAIT

Deux initiatives sans précédent sont en projet dans l'Aveyron et dans le Var. À chaque fois, des salariés s'organisent pour reprendre l'activité de leur clinique en mauvaise passe financière. Mais quel crédit accorder à ces Sociétés coopératives d'intérêt collectif (Scic) en gestation qui peuvent associer salariés, collectivités, usagers... ?

L'ENQUÊTE

Leur projet est né début 2014, en pleine période de redressement judiciaire de leur clinique. Et si nous, salariés, nous reprenions l'activité SSR de notre établissement en créant une Société coopérative d'intérêt collectif (Scic) ? Depuis, leur idée a fait du chemin. Si bien que ces ex-salariés figurent aujourd'hui parmi les candidats à la reprise des lits de feue la clinique Saint-Louis Saint-Michel à Rodez (Aveyron), liquidée le 25 février dernier. 
Leur initiative n'est pas banale. Les Scic dans le secteur de la santé ne sont qu'une petite poignée à ce jour. Le livret réalisé, fin 2013, par l'Agence de valorisation des initiatives socio-économiques (Avise)* recense une Agence de gestion de l'aide à domicile (Agad) dans le Nord-Pas-de-Calais, une troupe d'artistes valides et handicapés en Pays-de-la Loire, le Centre de soins infirmiers Lille sud... Mais aucun établissement de soins.

Décision de l'ARS d'ici septembre

Le pari des salariés aveyronnais est cependant loin d'être gagné. L'avis de la Commission spécialisée de l'organisation des soins (Csos) sur les différents postulants à la reprise d'activité de la clinique Saint-Louis Saint-Michel est attendu d'ici la fin du mois de mai. Serait notamment sur les rangs l'hôpital de Rodez. L'ARS de Midi-Pyrénées, qui n'a pas souhaité répondre à nos questions, dira à qui elle renouvelle les autorisations d'ouverture de lits d'ici fin juillet, selon Laura Barlaguet, l'une des 30 membres fondateurs de la Scic, parmi lesquels on trouve personnels administratif, médical et paramédical. À moins que la décision n'intervienne encore plus tard, soit d'ici fin septembre, comme l'envisage Cyrille Rocher, délégué de l'Union régionale des Sociétés coopératives et participatives (Scop) de Midi-Pyrénées. 
Laura Barlaguet, responsable qualité, veut y croire. "On a des chances, estime-t-elle. Nous avons les locaux, le matériel, le personnel formé à la rééducation cardio-vasculaire et respiratoire (spécialités de l'ex-clinique Saint-Louis, NDLR) qui n'attend que de retrouver son travail." Ainsi, "si l'ARS nous donne les autorisations, on peut redémarrer immédiatement". Les fonds de 1 million d'euros sont aussi "quasiment réunis", d'après Cyrille Rocher. 

Dilution des responsabilités ?

D'aucuns comme le secrétaire de la CGT santé et action sociale de l'Aveyron, Pascal Mazet, y croit moins en revanche. "Il faut avoir les reins solides" pour gérer une telle activité, argumente-t-il. Or, ce projet de Scic ne le convainc pas, lui qui redoute notamment dans ce modèle de société coopérative une dilution des responsabilités. Adelphe De Taxis du Poët, responsable de l'innovation à la Confédération générale des Scop, a conscience des réticences que fait naître le développement des Scic dans le domaine de la santé. "Le passage en Scic peut être vu comme le début de la privatisation de la santé puisque la Scic est une société commerciale", remarque-t-il. Seulement, "la mise en réserve des excédents de gestion est beaucoup plus forte pour la Scic que pour toute autre structure", nuance-t-il.
Autres arguments en faveur de la Scic : elle permettrait une plus grande implication des salariés et un travail en association avec plusieurs parties prenantes (collectivités locales, usagers, entreprises...). Dans le cas de Rodez par exemple, il est prévu la création au sein de la Scic d'un collège de bénéficiaires, qui aura un pouvoir de proposition de projet soumis au vote du Conseil d'administration (CA). À la crainte de voir les responsabilités diluées, Adelphe De Taxis de Poët répond, lui : "L'organisation coopérative permet l'expression des salariés mais ne se traduit pas par une sorte d'autogestion où l'on ne saurait pas où se situe l'autorité." Une Scic peut en effet être dirigée par un directeur général, un président et un CA ou un directoire et un conseil de surveillance.

La Scic, un modèle méconnu

Pour la Confédération générale des Scop, les Scic sont amenées à se généraliser, d'autant que "les questions de prévention, de démocratie sanitaire et de construction de parcours de santé vont devenir de plus en plus prégnantes", déclare son responsable de l'innovation. Qui pondère aussitôt son discours : "A contrario, on voit bien que les administrations sont de plus en plus normatives. Or la Scic est une structure innovante qui pâtit d'une réelle méconnaissance." Il ajoute : "C'est son côté un peu hybride entre public et privé qui est mal compris."
L'ARS Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) n'est, en tout cas, pas opposée à la naissance sur ses terres d'une Scic pour gérer une clinique. En l'occurrence, la clinique de Malartic à Ollioules que les Mutuelles de France du Var veulent céder depuis 2012 pourrait bien se transformer prochainement en Scic. Aucun repreneur ne s'étant manifesté, "nous avons décidé, médecins et personnels, de faire une offre de reprise sous forme de Scic, ce qui permet d'associer salariés, collectivités locales, tutelles, d'autres mutuelles éventuellement et surtout, les usagers", annonce le Dr Jean-Marc Devevey, chirurgien-urologue à Malartic. L'ARS a donné son feu vert à ce projet, rapporte le médecin, sous réserve toutefois que les aides de l'État "participent aux restructurations et aux mises aux normes de l'établissement". L'Agence encourage entre autres le développement de la chirurgie ambulatoire à Malartic, 105 lits, 7 000 interventions et 26 000 consultations externes par an. 

Pas d'incompatibilité entre Espic et Scic

Aujourd'hui, la clinique varoise bénéficie du statut d'Établissement de santé privé d'intérêt collectif (Espic). "Il nous a semblé que la Scic répondait tout à fait à cette philosophie", commente le Dr Devevey. Ce dernier précise : "Il n'y pas d'incompatibilité entre le statut d'Espic et le fait d'être géré par une Scic." Alors que la clinique était sous procédure de sauvegarde depuis 2012, le Tribunal de grande instance (TGI) de Toulon a approuvé le 30 avril dernier le plan de sortie des Mutuelles de France du Var qui prévoit un remboursement du passif sur dix ans. Dorénavant, "les inconnus sont la date et les conditions de la cession", poursuit le Dr Devevey. 
L'opération est ainsi bien engagée, si tant est que les différentes parties arrivent bien à s'entendre sur le montant du loyer, ou encore la répartition des charges d'entretien du bâtiment. Les statuts de la société coopérative sont rédigés. Les promoteurs de la Scic ont aussi obtenu "le soutien de plusieurs banques pour financer le fonds de roulement d'un million et demi d'euros", indique Jean-Marc Devevey. "90% des personnels sont prêts à devenir sociétaires de la Scic", complète-t-il. Les fondateurs de la Scic aimeraient désormais la lancer sur les rails d'ici "3 ou 4 mois".

Et dans le secteur médico-social ?

Ces initiatives se verront-elles copier à l'avenir par d'autres salariés d'établissements de santé ? Ou pourquoi pas de maisons de retraite ? Le champ du médico-social pourrait en effet aussi être investi par les Scic. À l'image de ce qui se prépare dans les Yvelines. Depuis 2012, il existe la Scic Solidarité Versailles grand âge, plateforme gérontologique associant un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), un accueil de jour et un service de soins infirmiers à domicile dont une équipe spécialisée Alzheimer. Les travaux démarrent ce printemps pour une ouverture prévue en 2016-2017.
Sandra Jégu
*L'objet de l'Avise est "d’accroître le nombre et la performance des structures de l’Économie sociale et solidaire (ESS)".

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