Ils s’étaient donné rendez-vous via Facebook, au pied de l’église de la Madeleine, en plein Paris. Ils espéraient faire masse pour défendre leurs droits ce mercredi midi. Mais seules trois personnes, dont les deux organisatrices, ont pu faire le déplacement…
«Beaucoup auraient aimé être ici aujourd’hui, mais comment voulez-vous faire quand vous êtes en fauteuil ? Rien n’est accessible.» Mathilde Fuchs, 30 ans, souffre d’une maladie génétique qui l’empêche, entre autres, de marcher. Elle tempête contre le énième report de l’accessibilité à tous des lieux accueillant du public. «C’était acté dans la loi de 1975, déjà. En 2005, nouvelle loi, on nous dit : dans dix ans, promis, les bâtiments seront aux normes. Et là, il faudrait encore attendre neuf ans de plus ?»

Matignon a annoncé le 26 février un report de l’obligation de mise aux normes, prévue pour 2015. Les commerces de proximité ou cabinets médicaux auront trois ans de rab. Six ans pour les mairies, écoles, chaînes d’hôtellerie et de commerce. Et neuf ans de plus, soit jusqu’en 2024, pour la SNCF, entre autres.

«UN RETOUR À LA PRÉHISTOIRE»

«C'est soi-disant pour ne pas pénaliser les petits commerçants, mais c’est archi faux ! C’est surtout pour protéger les gros, à commencer par les ministères et les services publics. Pourquoi ce report ? Tout simplement parce qu’ils ont une peur panique de se retrouver demain avec des contentieux, voilà la réalité.» Avec son foulard rose fushia autour du cou, Elisa Rojas, handicapée de naissance, n'a pas la langue dans sa poche. C'est elle qui est à l’initiative du mouvement. Avocate au barreau de Paris, spécialisée dans le droit du travail et des personnes handicapées, elle a décidé de monter le collectif «Non au report de 2015»il y a quelques semaines. «J’ai participé à un colloque où intervenait Marie-Lise Campion, la sénatrice à l’origine du report. Son discours était hallucinant. En gros, elle disait aux associations : soit vous acceptez qu’on reporte l’application de la loi, soit on la supprime carrément. Un retour à la préhistoire. Le plus désolant c’est qu’en face, les associations censées défendre nos droits n’ont rien dit. Elles laissent faire, résignées.»
Le lendemain, elle créé une page sur Facebook avec ce message qui tient en une ligne : «Nous sommes un groupe de citoyens handicapés sans attache associative et sans attache politique.» Le soir même, 1 000 likes. Aujourd’hui, le compteur avoisine les 8 000.

«TANT PIS SI ON SE FAIT ÉCRASER»

«Nous avons perdu toute confiance dans le tissu associatif existant. Les associations organisent la vie des personnes handicapées, certes, mais ne se battent plus pour nos droits. Elles vivent des subventions de l’Etat, donc elles ont perdu leur liberté de parole. On nous a pris pour des idiots. Cette échéance en 2015, on y croyait», tonne-t-elle tout en roulant. Direction le palais de l’Elysée, pour la sortie du Conseil des ministres.
Les deux organisatrices se plantent avec leur fauteuil sur la chaussée. Les gardes avec leur képi blanc rappliquent dans la minute : «Remontez sur le trottoir, s’il vous plait. Vous voulez être reçus à l’Elysée, c’est ça ?»«Non, non, on connaît la tactique et leurs discours. On veut simplement que les journalistes nous voient, sachent qu’on existe et fassent connaître nos revendications. Nous ne bougerons pas, et tant pis si on se fait écraser», répond avec aplomb Elisa Rojas. Bien embêtée, une floppée de policiers en uniforme les encercle, posent des plots orange pour éviter un accident et ferme même l’accès au trottoir. Il n'y a pourtant qu'Etienne, 25 ans, le troisième manifestant en fauteuil. Et une paire de journalistes.
La commissaire s’agenouille et tente la négociation : «Les journalistes sortiront par l’aile ouest, croyez-moi. Ils ne vous verront pas ici.» Après trente bonnes minutes d'âpres discussions, les trois manifestants acceptent de s'éloigner un peu. Quelques policiers les escortent, l’un tenant les pancartes, les autres poussant les fauteuils. «Vous savez, on se bat pour vous aussi. Personne n’est à l’abri d’être un jour handicapé», concluent les manifestants.