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dimanche 20 avril 2014

A Val-de-Reuil, la prison engeôlivée

SYLVAIN MOUILLARD

Ils arrivent dans le calme, papotent quelques minutes avant de prendre place autour d’une longue table rectangulaire. Des gobelets en plastique, un Thermos de café et quelques gâteaux secs y ont été disposés. Un jeune homme est venu avec son cahier à spirales, comme à l’école. Une réunion comme une autre ? Pas vraiment. La scène se déroule au centre de détention de Val-de-Reuil (Eure), à l’arrière des cuisines.
L’odeur de restauration collective, un poil écœurante, rappelle celle des cantines scolaires. En ce mercredi après-midi d’avril, c’est la sous-commission «menus» qui s’installe. Il y a là six représentants des détenus : trois de la division 1, dont le reliquat de peine est inférieur à sept ans, et trois de la division 2, dont les peines peuvent aller jusqu’à la perpétuité. Au bout de la table, représentant la direction de la prison, Sylviane Loret dirige les discussions. Objectif : écouter les remontées des prisonniers sur les repas servis en détention, en débattre avec le prestataire extérieur chargé de leur élaboration et, éventuellement, changer les choses.
L’expérience est rare. En France, très peu d’établissements ont mis en place des instances de dialogue entre détenus et administration. Trop polémique. Les syndicats de surveillants majoritaires y voient une dangereuse fuite en avant, un énième exemple du «laxisme» qui prévaudrait dans les geôles de la République. Sylviane Loret ajoute :«Certains directeurs d’établissement assimilent ces instances à des syndicats de détenus et sont donc réfractaires à ce type de coopération.»Autour de la table, la parole s’exprime néanmoins sans difficulté. La nourriture en prison, c’est du sérieux. «Si les quantités sont insuffisantes ou s’il manque un dessert, ça peut faire péter un établissement», assure Stéphane, un surveillant à la carrure imposante qui participe aux débats. Aujourd’hui, ce sont les frites servies en division 2 qui posent problème.«Elles sont molles et pleines d’eau», attaque un détenu. Approbation de quelques participants. «C’est à cause de la condensation dans les chariots», estime un autre prisonnier. La représentante du prestataire lâche une concession : «On va faire des essais avec un autre type de frites.» Certains aliments, en revanche, recueillent l’assentiment général : le poisson «façon meunière» et la «pizza au thon». La semoule a moins de succès. «Elle n’est jamais servie avec des légumes à couscous, c’est dommage.»

«FAIRE ATTESTER LES YAOURTS PAR L’AUMÔNIER MUSULMAN»

Après les plats de résistance, place aux desserts. Parmi les revendications, diversifier les fruits. «Du raisin ou des poires, de temps en temps, ça serait bien.» Les yaourts, eux, inquiètent. «Tous les gars de mon unité me prennent la tête avec l’inscription E407 dans la liste des composants, explique un détenu. Les musulmans pensent que c’est de la gélatine de porc, ils sont méfiants. Et franchement, je crois que c’est possible. Je travaillais dans la restauration, et la gélatine de porc, c’est moins cher.» La direction a beau démentir, ça ne prend pas. «Il faut revérifier et éventuellement demander à l’aumônier musulman d’attester les yaourts», consent finalement Sylviane Loret. Les convictions religieuses des uns et des autres nécessitent des aménagements. Chacune des 32 unités de 25 places dispose d’une partie commune, équipée d’un four. Problème : la direction soupçonne que certains détenus, victimes de «pressions», n’ont pas la possibilité d’y faire cuire du porc. Pour remédier à cette situation, les prisonniers auront désormais la possibilité de se cotiser pour acheter un second appareil.
Sylviane Loret, qui travaille à Val-de-Reuil depuis près de vingt-cinq ans, ne chôme pas. Ces réunions servent autant à écouter les revendications des détenus qu’à désamorcer les tensions naissantes. Dans les coursives, les rumeurs se propagent vite. «Il se dit qu’on ne pourra bientôt plus cantiner [«acheter», ndlr] sur le catalogue de la Redoute», s’inquiète un détenu. «C’est une rumeur infondée, dites-le autour de vous»,embraie Sylviane Loret, se félicitant, après coup, de cette «relation de confiance» qui s’instaure peu à peu. «Au début, c’était parfois difficile de trouver des gens prêts à s’investir. En interne, les détenus qui collaborent avec la direction peuvent vite passer pour des "balances".»
Depuis la mise en place de ces «conseils de vie sociale» (CVS), en 2010, la situation s’est nettement améliorée, selon la direction. «C’est très bénéfique pour le climat en détention car les prisonniers savent qu’il y aura une écoute de notre part et que ce n’est pas juste pour la vitrine. Il y a moins d’agressivité, de violence, ça pacifie les choses.» Muriel Guégan, directrice du centre de détention, confirme, en faisant mine de toucher du bois : «Il n’y a plus de refus de réintégrer les cellules et les agressions envers les surveillants diminuent. On en comptait seize en 2009, seulement trois l’an passé.» Tous les trimestres environ, elle fait face à une quarantaine de détenus, tous volontaires, et dont la présence a été validée par ses soins, pour deux heures de discussion. «Le but, c’est de parler de la vie en collectivité, pas de l’acrimonie d’untel pour untel», détaille-t-elle.

«ON EST ENFERMÉS, FAUT PAS L’OUBLIER»

La nature de Val-de-Reuil - un centre de détention pour longues peines - facilite les choses. «L’implication des détenus n’est pas la même que dans une maison d’arrêt, où les personnes sont là pour une courte période»,analyse Muriel Guégan. Bâti en 1989 en périphérie de cette ville nouvelle, l’établissement n’accueille que des personnes condamnées, «qui posent leurs valises».«Ici, nous avons les moyens matériels d’accompagner vers la réinsertion», ajoute la directrice du centre. Les équipements collectifs, tant pour le travail que pour les activités socioculturelles, sont plutôt en bon état. Les 780 détenus - pour 819 places - sont tous en cellule individuelle. Et 85% d’entre eux bénéficient d’un régime ouvert qui leur permet de circuler quasi librement du matin au soir dans leur unité. Ce qui contribue aussi à apaiser les tensions.
Chérif, emprisonné depuis quatre ans et libérable en 2019, s’estime plutôt bien loti. «On est enfermés, faut pas l’oublier», glisse-t-il. Il a même quelques réticences à en dire plus sur les conseils de vie sociale, auxquels il participe depuis plusieurs années. «Ça ne va pas améliorer notre image à l’extérieur. Les gens disent qu’on a le droit à plein de trucs, grâce au système de cantine [le système de vente par correspondance propre à la prison]. Ici, le grand pot de Nutella coûte trois fois moins que dans un supermarché.» Passée l’hésitation, il se lâche un peu plus, dit que, certes, «tout n’est pas résolu», mais que, «au moins, la direction essaie». Il se souvient de «demandes loufoques»,«comme des fours à micro-ondes dans les cellules», mais aussi d’avancées plus concrètes. «Désormais, les barquettes de nourriture, qui avaient tendance à être jetées depuis les fenêtres, sont ramassées et mises à la poubelle.»
Dans la vie de tous les jours, l’alimentation occupe une place primordiale.«Les hommes incarcérés ont deux sujets de préoccupation : leur musculature et la nourriture, sourit Muriel Guégan. Ici, ça cuisine beaucoup.» Maîtriser son corps, à défaut de ses mouvements. A Val-de-Reuil, les émissions culinaires passionnent. A tel point que Chérif, titulaire d’un CAP de pâtisserie, présentera bientôt des cours de cuisine sur la toute nouvelle chaîne de télévision interne. Objectif : montrer comment, avec les ingrédients disponibles en détention, confectionner des gâteaux facilement. Il lui faudra se passer de levure chimique, absente du catalogue de cantine, car l’administration craint qu’elle ne serve à fabriquer de l’alcool. La demande de ce produit, plusieurs fois exprimée lors des CVS, n’a pas abouti.
Muriel Guégan, elle, a eu gain de cause sur un autre dossier. Auprès de la direction interrégionale, elle a obtenu le droit pour les détenus de cantiner de la viande. «C’est important pour continuer à se nourrir correctement», explique Benoît, 26 ans. Le jeune homme, arrivé en 2012 et libérable en 2018, s’implique également dans le projet de canal vidéo interne. En dix mois, il a appris les rudiments du fonctionnement d’une caméra et du montage. Il montre avec satisfaction la grille de programmation qu’il compte soumettre à l’approbation de la direction. De 6 h 30 à minuit, la future chaîne passera des clips, des films, mais aussi des reportages sur les activités réalisées en détention. Des programmes d’information (sur les règles de l’établissement, les horaires d’accès à l’infirmerie, aux parloirs, etc.) sont également prévus. «C’est ce qui m’a décidé à participer au projet, affirme François, 36 ans, dont déjà sept passés derrière les barreaux. Ici, c’est un grand établissement, la communication est parfois compliquée.» Entre les détenus qui ne savent pas lire, les notes placardées aux murs mais rapidement détériorées, la transmission des infos connaît quelques ratés. «La télé, ça peut être plus attractif», espère François.

«LEUR BUT, C’EST D’OBTENIR DES AMÉNAGEMENTS DE PEINE»

N’allez toutefois pas parler de cogestion à Muriel Guégan. «Chacun reste à sa place et ce dialogue n’est pas une science exacte, dit-elle. Mais la simple prise en compte des avis, c’est important. Après, il faut les restituer dans une démarche de vivre ensemble et parfois resituer le contexte : le détenu qui demande des pâtes Barilla, ça n’est pas possible.»
A entendre la directrice, ce travail collectif a fini par être accepté par les représentants du personnel. «Ils savent que ça fait partie du fonctionnement de l’établissement.» Oualid Nahal, délégué FO à Val-de-Reuil, n’est pas tout à fait de cet avis : «Plus on écoute les détenus, moins il y a de respect. On s’écarte du principe prison = enfermement.» A ses yeux, «très peu» de détenus participent aux conseils de vie sociale avec«des intentions sincères» : «Leur but, c’est d’obtenir des aménagements de peine.» De son côté, Sylviane Loret espère toujours renouer le dialogue entre les deux parties : «La seule peine que les détenus ont à subir, c’est la privation de liberté et leur obligation de respecter le règlement. Après, ils ont le droit à la parole.»
Par Sylvain Mouillard Envoyé spécial à Val-de-Reuil (Eure) Photos Vincent NGuyen . Riva Press

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