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lundi 24 mars 2014

Faire reconnaître le burn-out, un parcours du combattant

LE MONDE | Par 
Un immeuble de bureaux à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine).
Elle a préparé son intervention durant plusieurs semaines. Et le jour J approche : mercredi 26 mars, Ilma Choffel de Witte sera auditionnée par le groupe de réflexion sur « Les risques psychosociaux et le burn-out » (épuisement professionnel), mis en place sous son impulsion, au ministère du travail. Mission de ce groupe, constitué jusqu'en mai : « Clarifier ce que recouvre le burn-out dans l'objectif de donner des recommandations pour mieux prévenir ce syndrome. »
Mme Choffel a beaucoup à dire. Son mari, Nicolas, que sa hiérarchie a continué à solliciter intensément durant un arrêt-maladie pour burn-out, s'est suicidé le 25 février 2013, à 51 ans (Le Monde du 1er avril 2013). Un acte reconnu comme accident du travail fin décembre 2013 par la Caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM).
Peu après le décès de son mari, Mme Choffel avait décidé de faire de la prévention du burn-out dans les entreprises et de sa reconnaissance en maladie professionnelle le combat de sa vie. « Si Nicolas avait vécu aux Pays-Bas, mon pays natal, où la loi protège les salariés en risque de burn-out, il serait encore en vie », assure Mme Choffel, qui a insisté auprès du ministère pour que le groupe auditionne, entre autres, le responsable santé et sécurité d'une firme hollandaise qu'elle juge exemplaire, AkzoNobel.
Toutefois, la question de la reconnaissance en maladie professionnelle (MP) du burn-out, ni d'aucune autre pathologie psychique liée au travail, ne sera abordée par ce groupe, précise la lettre de mission. Ce sujet relève d'autres instances, qui bloquent sur cette reconnaissance. Aucune de ces maladies psychiques ne dispose donc d'un tableau de MP permettant d'imputer automatiquement au travail la maladie du salarié s'il réunit certains critères.

« DÉMARCHE DE RECONNAISSANCE DE MALADIE PROFESSIONNELLE »
Cependant, un système dit « complémentaire » peut permettre cette reconnaissance, au cas par cas. La maladie peut être diagnostiquée comme telle par des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), selon toutefois des critères drastiques : elle doit avoir entraîné le décès du salarié ou une incapacité permanente partielle d'au moins 25 %, et la victime ou ses ayants droit doivent apporter la preuve du lien entre la maladie et le travail.
Un vrai parcours du combattant. Rares sont ceux qui l'empruntent. Comme Florence Oger, secrétaire dans une collectivité locale, victime de harcèlement moral par son chef de service arrivé en 2009. « Il a proposé ma candidature dans un autre service sans m'en parler, il a commencé à me dénigrer dans mon dos, puis il m'a enlevé des tâches, raconte Mme Oger. Je me sentais extrêmement mal. »
Son médecin diagnostique une dépression d'origine professionnelle, qu'elle refuse d'admettre, et lui prescrit un arrêt-maladie de trois mois. A deux reprises encore, elle sera mise en arrêt de travail. Elle fera deux tentatives de suicide. « Je n'en pouvais plus, se souvient-elle concernant la période d'octobre 2011. C'est là que j'ai engagé ma démarche de reconnaissance de maladie professionnelle. »
Avec deux collègues, harcelées elles aussi, elle prend contact avec l'Association d'aide aux victimes et aux organisations confrontées aux suicides et dépressions professionnels (ASD pro). « C'est là que j'ai pris conscience d'avoir subi du harcèlement moral », confie Mme Oger. Elle adresse sa demande de reconnaissance de MP à la CPAM, qui rejette son dossier, mais l'oriente vers la CRRMP.
IL « EN [AVAIT] MARRE DE CE MONDE DE BRUTES »
Celle-ci refuse, malgré une expertise favorable. Même refus de la Commission de recours amiable (CRA), estimant que le dossier ne démontre pas de « lien direct et essentiel » entre son travail et sa dépression. Elle va maintenant contester cette décision devant le tribunal administratif.
Michelle Mailfait se bat, elle, pour son mari, un technicien dépanneur de machines, qui s'est suicidé le 25 décembre 2012, à 56 ans. Il avait trente-deux ans d'ancienneté. Après la fusion de son entreprise avec une autre en 2007 s'était mise en place une « nouvelle organisation plus axée sur la rentabilité, la performance, sans formation à part du e-learning, explique Mme Mailfait. Peu à peu, il s'est senti dépassé, il ressentait des manques en informatique ».
Il craint d'être licencié comme vient de l'être, en novembre 2012, un proche collègue, « soi-disant parce qu'il n'atteignait pas ses objectifs », indique Mme Mailfait. Il se suicide peu après avoir laissé un message dans lequel il a écrit qu'il « en [avait] marre de ce monde de brutes », confie son épouse.
« ILS FONT TOUT POUR NOUS DÉCOURAGER »
Dans un premier temps, elle demande la reconnaissance du suicide en accident du travail, ce qui lui est refusé par la CPAM, malgré un avis favorable du médecin-conseil. Refus aussi de la CRA. Motif : « Le suicide a eu lieu au domicile, un jour férié » et il n'est pas démontré de lien entre l'acte et le travail.
La CPAM lui conseille de saisir le CRRMP, auquel elle adresse son dossier en juin 2013. Mais cette instance reporte sa décision et, en décembre 2013, un refus lui est signifié par la CPAM, car l'avis du CRRMP ne lui est pas parvenu.
En consultant son dossier, Mme Mailfait découvre qu'il manque l'avis du médecin du travail qui pointait les mauvaises conditions de travail de M. Mailfait. « Ils font tout pour nous décourager », dénonce-t-elle.

Elle évoque aussi l'attitude de l'enquêteur mandaté par la CPAM auprès de la famille : « Il m'a dit : “Une procédure de reconnaissance, c'est très long et ça va coûter cher à l'employeur.” C'est vrai, mais ses conditions de travail ont coûté la vie à mon mari et détruit notre famille. » Son dossier est toujours en cours d'instruction. Parfois l'énergie lui manque pour continuer.

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