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vendredi 21 février 2014

«On attend de la France qu’elle produise des idées différentes, subversives»

MARC SEMO ET CATHERINE CALVET
Pour contredire intelligemment le «French bashing» très en vogue dans la presse anglo-saxonne ces derniers mois, il faut lire le dernier ouvrage de Michel Foucher, l’Atlas de l’influence française au XXIe siècle. L’auteur profite de ses nombreux voyages pour enquêter sur l’image de la France, et, surprise, le résultat va à contre-courant de la rumeur ambiante. Loin de tout déclinisme, notre pays rayonne encore, pas seulement par l’art de vivre ou le luxe mais aussi pour ses idées subversives, de la Révolution du XVIIIe siècle à la crise financière du XXIe, de Tocqueville à l’idée de régulation.

Il est beaucoup question de French bashing…
Ce n’est pas nouveau. Cela commence il y a dix ans déjà avec un discours sur le déclin français, incarné entre autres par Nicolas Baverez. Cette représentation de la réalité française s’organise à la fin du deuxième mandat de Jacques Chirac, d’abord pour des raisons de politique intérieure. Et il y a eu une flambée de French bashing après le refus (justifié) de la France d’intervenir en Irak.
Quelle est l’image de la France ?

La France est une puissance moyenne mais, en même temps, elle est beaucoup plus que cela. Sa présence réelle dans le monde passe par des fondamentaux qui sont la langue, l’économie (surtout pour les grands groupes), la recherche scientifique et, enfin, notre contribution permanente au système international que ce soit par l’élaboration de résolutions aux Nations unies ou nos interventions sur des théâtres militaires. Le domaine scientifique et technique est curieusement sous-estimé, la France est pourtant une référence mondiale en matière de recherche, de brevets, de santé, en astronomie, en physique, en mathématiques. Trop souvent notre image se résume à un art de vivre alors que nous sommes surtout sollicités pour ouvrir des écoles polytechniques dans différents pays. Nous sommes aussi une référence en matière de droit, d’organisation de l’Etat, nous aidons à la rédaction de constitutions, l’ENA sert de modèle dans des Etats émergents. Il y a aussi l’héritage de l’histoire. En Chine, la France incarne l’idéal révolutionnaire de 89 mais aussi Tocqueville. Au Brésil, c’est le positivisme, Auguste Comte. Cet héritage, nous devons le cultiver. Il faut entretenir la Francophonie. Mais la présence économique aussi est fondamentale. Les parts de marché ont plutôt tendance à baisser même si les groupes du CAC 40 obtiennent de bons résultats. L’image d’un Etat, de sa politique fait maintenant partie de la grille de lecture d’un investisseur. Aujourd’hui, la crise oblige la France à s’adapter et, donc, à ne plus être son propre étalon.
Quels sont les critères d’influence ?
Le produit national brut, la langue, une capacité d’intervention militaire, le siège au Conseil de sécurité. Mais l’influence consiste essentiellement en des initiatives. Par exemple, la France porte la plupart des idées de régulation, qu’elle soit financière ou environnementale. L’époque Chirac fut riche en la matière : taxation sur les transactions financières… La France dispose aussi du levier européen. Elle peut y faire passer un certain nombre d’idées tout en s’opposant aux plus libéraux de la Commission. Il s’agit donc d’une présence multiforme, active, qui n’est pas seulement liée à l’héritage. Il y a peu de pays où l’on s’inquiète de l’état du monde et où l’on pense le monde. Ce sont essentiellement des anciennes puissances.
Et les émergents ?
Il y a la Chine aussi et un peu le Brésil. La Chine veut réorganiser l’Asie orientale sur un modèle sino-centré. Mais l’Inde n’a que la diplomatie de son commerce. Tous les pays qui ont un taux de croissance à deux chiffres n’ont pas forcément une vision du monde. Les émergents sont avant tout centrés sur leur propre développement.
Quelle différence faites-vous entre le pouvoir d’influence et le soft power ?
Le soft power est avant tout un concept américain, développé par Joseph Nye (sous-secrétaire d’Etat à la Défense) dans les années 90. Dans soft power, le mot important, c’est power. On évite l’emploi de la force par la séduction mais aussi par des sanctions. Ce n’est donc pas un pouvoir uniquement culturel, comme on a pu le croire en France. L’idée de soft power était un peu tombée en désuétude jusqu’à ce qu’Obama se donne pour objectif dès son premier mandat de restaurer l’image des Etats-Unis dans le monde. En France, nous pouvons utiliser le mot influence qui figure d’ailleurs de façon très explicite dans le premier bulletin de l’Alliance française (1883) : l’objectif était déjà de répondre au défi allemand au lendemain de la défaite et au défi anglo-saxon déjà identifié. Il s’agit de propager l’influence de la France par la langue. L’influence, c’est aussi de Gaulle qui mobilise les intellectuels comme deuxième pilier de la Résistance, la résistance intellectuelle après la résistance armée. Le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, reprend aussi le terme d’influence : les deux axes de sa politique étant la diplomatie d’influence et économique. Il est intéressant de noter que l’on parle d’influence quand il n’est plus question de logique de puissance. Et une logique d’influence est une stratégie d’adaptation au monde d’aujourd’hui. Ce livre est aussi une stratégie de sortie de crise. La société française n’aime pas le monde tel qu’il est et ainsi nous parlons plutôt de mondialisation. J’essaie de ne pas employer ce terme. Il ne s’agit pas de la France dans la mondialisation mais de la France dans le monde.
Vous dites que l’influence est là où on ne l’attend pas. Qu’entendez-vous par là ?
On attend de nous que nous produisions des idées différentes des idées dominantes, même si la référence pour les nouvelles classes moyennes dans le monde vient principalement des Etats-Unis. Que nous nous distinguions du rouleau compresseur occidentalo-global. Il y a par exemple l’idée de régulation, ou l’idée européenne. Les idées de subversion. Lire Tocqueville, aujourd’hui, au Bureau politique du Parti communiste chinois peut être très subversif. Il y a toujours un décalage entre ce que l’on apprend de la France à l’étranger dans les manuels scolaires et la réalité française contemporaine. La France gêne, notamment outre-Atlantique, parce qu’elle a une voix différente. Mais je crois que c’est cette voix que souhaitent entendre les émergents. En témoigne encore le prestige de De Gaulle. La lumière continue de briller même si l’astre est éteint.
La puissance d’influence française n’est- ce pas d’abord le siège permanent au Conseil de sécurité et l’arme nucléaire ?
C’est vrai, mais il y a aussi la qualité de la diplomatie française, reconnue par ses partenaires y compris les Britanniques. Elle est certes inégale selon les domaines et les régions du monde mais la France n’en conserve pas moins le 2e ou le 3e réseau diplomatique, même si le ministre des Affaires étrangères n’a plus le même budget qu’autrefois. Mais même dans le cadre européen, nous sommes presque les seuls à dire que ce qui se passe en Afrique centrale ou de l’Ouest est important. Et les seuls à y assumer nos responsabilités dans un monde où peu d’Etats sont prêts à le faire.
Et il y a aussi la langue ?
La langue, bien sûr, mais aussi la pensée et la culture car cela va ensemble. Le français reste l’une des langues les plus traduites. Avec le développement démographique de l’Afrique de l’Ouest, il pourrait y avoir, en 2050, quelque 700 millions de francophones dans le monde. Mais cela ne sera vrai que s’il y a un accompagnement et un effort pour l’apprentissage du français mené par la France, la Belgique, la Suisse et bien sûr les Etats africains concernés. Il n’y a pas d’influence naturelle. Elle doit se construire. Notre défi est à la fois de cultiver la francopshère mais aussi de savoir en sortir notamment sur le plan économique.
L’influence française n’est-ce pas aussi le droit ?
Effectivement, une grande majorité de pays, en Europe y compris la Russie, l’Amérique latine, la moitié des Etats africains sont des pays de droit romano-germanique dont le droit français, notamment avec le code Napoléon qui fut en son temps un énorme progrès, incarne l’un des exemples le plus aboutis. Au début des années 90, on voyait de grands juristes, comme Robert Badinter, aider à la rédaction des constitutions de pays de l’ex-glacis sortant du communisme. Ce droit civiliste est l’un des ingrédients de la démocratie. La France était et reste une grande puissance juridique. Ainsi, la Cour européenne de justice, qui est la Cour de l’Union européenne travaille exclusivement en français.
Le point noir, c’est l’économie. Pourquoi ?
Nous avons une insuffisante adaptation de l’offre de nos entreprises à la demande en matière d’équipement des émergents. Nous avons un nombre insuffisant et une trop grande faiblesse de financement des entreprises de taille intermédiaires qui font la force de l’Allemagne ou de l’Italie du Nord et du Centre. Nos parts de marché dans la francosphère sont trois à quatre fois supérieures à celle que nous avons dans le marché mondial. La cause en est que nos entreprises travaillent en français alors qu’il faut travailler en anglais. C’est le côté contradictoire d’une position de force, héritage d’une langue qui reste une langue internationale.
Quelle est la raison du malaise des Français et de leur sensation de déclin ?
Il y a un discours récurrent sur la France victime de la mondialisation. Or, au contraire, nous sommes bien placés mais nous ne voulons pas le savoir. Nous sommes un acteur de cette mondialisation. Nous l’avons été lors de la construction européenne car le Marché commun était aussi une entreprise de dérégulation. Aujourd’hui, nous voulons, dans le cadre de l’OMC, le démantèlement du protectionnisme américain afin d’avoir accès à leur marché public. Mais il y a un manque de culture géopolitique chez la plupart des dirigeants d’entreprise et la grande majorité des dirigeants politiques français ne connaissent pas le monde. Quand ils voyagent - en 2013, François Hollande a fait quelque 45 voyages hors des frontières - ils n’en parlent guère et surtout ne mènent aucune pédagogie vis-à-vis de l’opinion. Les parts de marché, les entreprises finiront par s’adapter et les reconquérir. Ce qui nous menace, c’est le repli intellectuel.

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