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jeudi 16 janvier 2014

« On est flic, assistant social, parent, psychologue… et il nous arrive d'être enseignant ! »

LE MONDE | Par 
Fini le cours magistral et la prise de notes, la pédagogie innovante mise en place à Desnos privilégie les exercices ludiques. Ici, Paul Munhoven, professeur d'histoire-géographie, travaille en binôme avec Régis Deal, qui enseigne le français.
Fini le cours magistral et la prise de notes, la pédagogie innovante mise en place à Desnos privilégie les exercices ludiques. Ici, Paul Munhoven, professeur d'histoire-géographie, travaille en binôme avec Régis Deal, qui enseigne le français. | FANNY TONDRE POUR "LE MONDE"
Ils sont en 3e et ne maîtrisent pas l'accord du participe passé. Leïla Ibrahim, leur professeure de français, s'en est aperçue à la dernière dictée. L'objectif du cours, aujourd'hui, est de leur faire comprendre la règle une fois pour toutes. Mais, au collège Robert-Desnos d'Orly (Val-de-Marne), classé ZEP, il ne suffit pas d'expliquer que, si le complément d'objet direct est placé avant l'auxiliaire avoir, le participe s'accorde. « Les élèves ne retiendraient pas, s'ennuieraient et ce serait le bazar », assure l'enseignante.
Règle numéro un : les amener à s'expliquer entre eux le principe de l'accord, avec leurs propres mots. La classe est divisée en groupes de quatre. Dans chacun, « un bon, deux moyens et un faible ». Règle numéro deux : les mettre en activité, en leur faisant réaliser des affiches. Numéro trois : faire jouer la compétition. La meilleure affiche sera élue par tous les professeurs et accrochée dans la salle.
Au collège Desnos, capter l'attention des élèves en les rendant actifs est au coeur des pratiques enseignantes. Dans cet établissement situé près des cités des Aviateurs et des Navigateurs, parmi les plus sensibles de France, 80 % des élèves sont issus de milieux défavorisés. La moitié sont boursiers, et près du tiers des élèves de 6e ont des parents au chômage. « Beaucoup trop de choses les préoccupent à l'extérieur, rapporte Grégory Buisson, professeur de mathématiques. Certains n'ont pas de domicile, des parents qui se prostituent… On peut comprendre que leur centre d'intérêt principal ne soit pas l'école. »

« ON PASSE BEAUCOUP PAR LE LUDIQUE, L'ÉTUDE D'IMAGES »
Comment donner goût à la scolarité ? Les enseignants ont banni le cours magistral et la prise de notes. « On passe beaucoup par le ludique, l'étude d'images, des films, des jeux », détaille Mme Ibrahim. La méthode suppose d'accepter le brouhaha, le temps perdu, de faire fi de la pression du programme à boucler. Chaque année, en histoire, les élèves de Laurent Gassier réalisent un documentaire. « Ils se rendent dans des lieux qu'ils n'auraient jamais visités, rencontrent des historiens, des témoins. C'est faire de l'histoire autrement, sur le terrain », explique l'enseignant.
Le collège Desnos est connu pour être innovant. Un « laboratoire d'expériences, pour son principal, Stéphane Reina. Dès qu'un projet est lancé au niveau académique ou national, on est dans le coup ». Ouvert en 1981, l'établissement est l'un des premiers classés ZEP. Il a connu tous les labels : REP, RAR, Eclair… Ses résultats sont aujourd'hui honorables, avec 72 % de réussite au brevet et un taux d'orientation en lycée général et technologique de 60 %. « Chaque année, on fait des dossiers pour intégrer nos meilleurs élèves à Henri-IV ou Louis-le-Grand, ajoute M. Reina.Parfois, ça marche ! »
L'une des clés réside dans le travail en équipe. Le principal n'a pas attendu l'annonce par le ministre de l'éducation, Vincent Peillon, le 16 janvier, d'un allégement de service en ZEP pour accorder à ses professeurs un temps de concertation – en histoire, français, mathématiques et sciences. « Ce temps nous permet d'harmoniser nos cours, de confronter nos pratiques, explique M. Gassier. Il est nécessaire, car enseigner ici est plus difficile qu'ailleurs. Non seulement nos élèves ont des lacunes, mais ils ont intégré une certaine fatalité. Avoir le silence, on y arrive. La difficulté est plutôt de les motiver. Il n'y a pas de méthode toute faite, alors on invente, on tâtonne, on cherche des chemins détournés. »
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    A Orly (Val-de-Marne), l'équipe pédagogique du collège Robert-Desnos tente une autre manière d'enseigner. Ici, le professeur d'histoire-géographie, Paul Munhoven dans sa salle de classe.
     Crédits :FANNY TONDRE POUR "LE MONDE"     
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    L'établissement, classé en zone d'éducation prioritaire (ZEP), a opté pour une méthode différente, en proposant notamment des binômes d'enseignants dans la même classe. Paul Munhoven (au premier plan) travaille avec Régis Deal (au fond), professeur de français.
     Crédits : FANNY TONDRE POUR "LE MONDE"     
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    Fini le cours magistral et la prise de notes, la pédagogie innovante privilégie les exercices ludiques.
    Crédits : FANNY TONDRE POUR "LE MONDE"    
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Le travail en équipe a amené les professeurs à organiser des cours conjoints – deux enseignants en classe – et des projets interdisciplinaires. C'est le cas en histoire des arts ou en sciences. Dans ce collectif, ils puisent aussi une force, et parfois l'envie de rester. Chose peu fréquente en ZEP, l'équipe est plutôt stable. « Jamais plus de six ou sept nouveaux professeurs chaque année »,assure le chef d'établissement.
Paulo de Almeida, professeur de français, a quatorze ans d'ancienneté dans le collège. « C'était mon premier poste,raconte-il. Je pensais partir au bout de six ans et m'installer à Paris. Finalement, je suis resté. » Ce qui le retient ? « L'équipe, assez soudée, des amitiés », mais aussi une « forme de militantisme. On a des choses à apporter aux gamins, on sait pourquoi on est là ».
Mettre sur les rails des jeunes peu armés pour réussir dans la vie est sans doute ce qui pousse ces professeurs à s'investir plus largement : certains font de l'aide aux devoirs le soir, d'autres organisent des clubs l'après-midi, participent à la semaine d'intégration des 6e en début d'année ou au dispositif « école ouverte » (révisions, activités, sorties) pendant les vacances. Une aubaine pour ces jeunes qui « n'ont souvent comme seule sortie que le centre commercial de Choisy », à quelques kilomètres d'Orly, rapporte Grégory Buisson.
 « ICI, L'AUTORITÉ PURE NE MARCHE PAS »
Dans ces moments-là, la relation dépasse celle du maître et de l'élève. « On cesse d'être seulement celui qui dit de travailler et de se taire, poursuit M. Buisson. On apprend à les connaître individuellement. Ils ont tous une histoire à raconter. »
Bien sûr, il y a des baisses de régime. Laurent Gassier ne s'en cache pas : « Il m'arrive d'aller au secrétariat pour avertir que cette année, je demande ma mutation ! Mais, au bout de dix ans, je suis toujours là », confie-t-il. Nora Azri, sa collègue d'histoire-géographie, évoque, elle, des débuts difficiles : « Je suis arrivée avec des idées toutes faites, avec l'image de l'élève consciencieuse que j'avais été. Au départ, j'étais perdue. Ici, l'autorité pure ne marche pas, pas plus que la seule passation de connaissances comme on peut le faire dans un collège de centre-ville, où les élèves ont déjà des références. Il faut être dans l'humain, dans l'affectif. » Mme Azri enseigne ici depuis plus de vingt ans et « tant que je pourrai, je resterai », assure-t-elle.

Au collège Desnos, les professeurs ont conscience de ne pas faire tout à fait le même métier que leurs collègues d'un établissement favorisé. Leur mission dépasse l'enseignement. « Notre rôle est aussi de montrer aux élèves que la société n'est pas que celle qu'ils connaissent, dans leur quartier », résume M. Buisson. « Ici, on est flic, assistant social, psychologue, parent… et il nous arrive d'être enseignant ! »

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