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samedi 11 janvier 2014

Conflit de générations chez les « docteurs » ? Les jeunes généralistes sont différents

10.01.2014
Ils sont de plus en plus nombreux et étonnent parfois leurs ainés dans leur façon de voir l’exercice au quotidien. A l’occasion du Congrès des internes de médecine générale de l’ISNAR-IMG qui se déroule à Brest à partir du 10 janvier, notre dossier donne les paroles aux jeunes pousses de la médecine et aux moins jeunes installés. Tout le monde s’accorde au moins sur une chose : ils n’appréhendent pas la façon d’exercer de la même manière...
  • Les jeunes généralistes sont différents - 1
DOCSTOCK/SICHTWANDEL / BSIPZoom
On connaît le syndrome de l’enfant du milieu, pris en sandwich entre l’aîné et le petit dernier. C’est un peu ainsi que le Dr Samuel Chartier, 38 ans, installé dans le XXe arrondissement de Paris, se définit. Comme un généraliste de la « génération intermédiaire » travaillant tout seul dans son cabinet en suivant « l’image et l’exemple reçu de mes aînés » tout en se confrontant, en tant que maître de stage, à la pratique de ses internes. Il le confirme : « Il y a un changement ». Qui sont donc ces internes de médecine générale, de plus en plus nombreux, formant un contingent d’environ 10 000 futurs généralistes et qui se réunissent aujourd’hui et samedi à Brest pour le Congrès annuel de l’ISNAR-IMG ? « Les plus jeunes sont davantage portés vers l’exercice de groupe au sein de structures organisées comme les maisons ou les centres de santé. » C’est notamment à la Fac, lorsqu’il observe ses collègues tuteurs ou chargés de cours refaire le monde que le Dr Chartier s’en aperçoit : « Ils développent des nouvelles pratiques, des modes d’exercice novateurs…  C’est ça l’avenir de la médecine ! », s’exclame-t-il.

La maison de santé de Coulommiers, première maison de santé universitaire de France, est emblématique de cette façon d’exercer autrement. Plusieurs générations de médecins travaillent coude à coude. Et, si l’approche n’est pas toujours la même, « les personnalités, les âges, les origines géographiques étant différentes », tous (internes, externes, enseignants) partagent une même « volonté de travailler en harmonie », explique le Dr Sandrine Bercier qui est à la fois généraliste et maître de conférence. La spécificité de cette structure est, en effet, de faire le lien entre exercice, formation et recherche. Un travail sur l’éducation thérapeutique intégrée aux soins pour les patients atteints de pathologies chroniques a été développé par la maison de santé avec un financement de l’ARS.

Gouffre générationnel

Mais si les nouveaux modes d’exercice ainsi que la possibilité de faire de la recherche tout en travaillant en libéral sont séduisants, notamment pour les jeunes, ils ne concernent pas la plupart des généralistes. Loin de là. Un gouffre semble séparer les jeunes médecins des générations précédentes, cette majorité silencieuse qu’on continue, parfois, d’appeler les « docteurs ».

Tout en travaillant en cabinet individuel à Joinville, en banlieue parisienne, le Dr Christian Dumay, 56 ans, est plus proche de la retraite que de ses débuts. Depuis huit ans, il accueille des stagiaires et des internes. La plupart d’entre eux ne se voit pas exercer en solo. « Leur fantasme, c’est d’être au moins dans un cabinet de groupe, au mieux dans une structure organisée du type maison ou centre de santé », raconte-t-il. Même si les souhaits et les pratiques ne sont pas toujours les siennes, le Dr Dumay affirme entretenir de très bonnes relations avec ses jeunes confrères : « Je m’entends parfaitement avec eux, il n’y a pas d’opposition dans la façon de voir les choses », assure-t-il. Pour les pathologies banales, comme par exemple une gastro-entérite virale, le médecin discute des recommandations, des avantages et des inconvénients des différents traitements. Le titulaire et son interne ne sont pas toujours d’accord et loin de s’en offusquer, le Dr Dumay trouve tout cela très « enrichissant ».

Voilà comment ça marche dans le meilleur des mondes... Ailleurs, le fossé générationnel est parfois source de tension. Il suffit de piocher dans le courrier des lecteurs du Généraliste pour se rendre compte du clivage entre jeunes et seniors. Le Dr Patrice Saudo, de Duingt (Haute-Savoie), déplorait il y a quelques temps l’absence de vocation chez la nouvelle génération et voyait pointer le spectre d’une « médecine fonctionnaire ». Dans un courrier enflammé, le Dr Jean-Paul Delanoy, généraliste au Mans (Sarthe), raillait « les pôvres petits chéris » contraints à un job sans RTT et avec des gardes de nuit. Plus profond que ce qu’il paraît, le conflit de générations serait avant tout d’ordre « idéologique », suggère le président de l’ANEMF, Mathieu Levaillant, qui oppose « des anciens plus conservateurs » à « des jeunes plus progressistes ». « Nous ne voulons pas exercer de la même manière, le caractère sacerdotal du métier s’est perdu », ajoute-t-il. Dans leur Plan démographie médicale, les étudiants de l’ANEMF rejettent en bloc la coercition et ils résument bien leurs envies. Ce que veulent les jeunes ? « Travailler en équipe et non plus seuls, avec l’ensemble des professionnels de santé et (...) une qualité de vie supérieure à celle de leurs aînés ».

Une revendication centrale qui ne semble pas poser problème aux syndicats seniors. Leurs représentants relativisent l’opposition. « Qui n’a jamais considéré ses parents comme ringards ? », interroge Michel Chassang (CSMF) qui a suscité la création d’une structure « jeunes CSMF » il y a quelques années et qui tient néanmoins à affirmer que « l’expérience et la sagesse tenant à l’âge confèrent une valeur ajoutée forte à l’exercice de la médecine ». De son côté, Claude Leicher (MG France) – dont le récent « Front généraliste » associe les internes de l’ISNAR » – préfère mettre l’accent sur les « convergences extrêmement fortes » qui unissent nouvelle et ancienne générations de généralistes.

Nouveaux besoins, nouveaux praticiens...

Quand on les interroge, les jeunes cultivent pourtant certaines particularités. A commencer par les internes de spécialités de l’ISNI : « à l’époque de l’Evidence Based Medicine, on ne peut plus faire reposer sur une seule expérience la prise en charge des patients »; affirme son secrétaire général, Mickaël Benzaqui, pour qui faire l’impasse sur le travail en réseau paraît désormais « inenvisageable ». Le point de vue du président de REAGJIR, Lucas Beurton est plus pragmatique : si les remplaçants tardent à s’installer, c’est parce qu’ils ont du boulot et ont besoin de temps pour monter leurs projets. Mais pas seulement : il explique en substance que les jeunes n’ont fait qu’adapter leur façon d’exercer aux nouveaux besoins sanitaires de la population afin de mieux répondre à l’essor des pathologies chroniques. « La prise en charge d’un patient diabétique est plus simple quand une infirmière se trouve dans nos locaux », remarque-t-il.

Pour Louise Delenclos, l’exercice isolé serait aussi un repoussoir. « Lors de mon SASPAS, la solitude ne m’a pas plu », témoigne cette adhérente de l’ISNAR de 29 ans en préparation de thèse à Lyon. Si la jeune femme a bien apprécié son stage à la campagne, pas question non plus de s’y incruster... « Je ne me vois pas du tout exercer seule en milieu rural, mais plutôt en semi-rural, voire en ville, avec d’autres médecins plus expérimentés, pour échanger et se relayer pour les horaires et les congés », raconte celle qui se souvient de certains désaccords mineurs avec ses maîtres. « Je ne te demande pas d’être le clone de moi-même », lui aurait d’ailleurs dit l’un d’entre eux.

Les jeunes sont différents. Et pas seulement parce que les besoins ont changé. Pour la sociologue Anne-Chantal Hardy, « les nouveaux étudiants en médecine sont le plus souvent des enfants de cadres ou de fonctionnaires. L’esprit libéral est moins important ». Les aspirations ont changé et la liberté semble avoir été hissée au plus haut de l’échelle de valeurs des jeunes médecins. « Ce que veulent les jeunes, c’est avoir le choix », dit Mickaël Benzaqui. Ou, comme diraient certains, ne pas avoir à choisir entre des modes d’exercice autrefois considérés comme antinomiques : libéral vs salarié ; généraliste vs spécialiste. Arriveront-ils toujours à les concilier ? L’opposition ville-hôpital serait aujourd’hui moins marquée ? Dans sa dernière enquête sur la démographie médicale, l’Ordre a observé une tendance massive des jeunes à s’installer près des CHU. Comme s’ils avaient du mal à couper le cordon ombilical...

Médecins à la carte ?

À la tête des généralistes enseignants du SNEMG, Matthieu Calafiore prend en tout cas la défense des jeunes. « S’ils préfèrent s’installer à proximité des CHU, il ne faut pas leur jeter la pierre ! S’en éloigner reviendrait à un rendez-vous en terre inconnue. » D’ailleurs, il en est convaincu, les jeunes seraient prêts à s’installer dans des zones moins desservies à condition de ne pas être seuls. La tendance pourrait déjà être en train de s’inverser. Qui sait ? Les « happy few » qui ont pu bénéficier de deux stages de six mois chacun en cabinet de médecine générale pourraient privilégier, pour leur future installation, des endroits plus retirés et loin des hôpitaux…

Une chose est sûre néanmoins : le médecin a perdu son aura. Une nouvelle espèce de « médecins à la carte » comme les appelle Anne-Chantal Hardy, serait en train d’émerger. Pour le président de la Commission jeunes médecins à l’Ordre, Jean-Marcel Morgues, l’évolution est historique. « L’exercice médical a changé. En 40 ans, on est passé du paternalisme médical à l’autonomie de l’usager de santé.» Toujours présents dans la société, les conflits de générations finissaient par s’estomper avec l’âge. En grandissant les jeunes rebelles finissaient par avoir une vie professionnelle, et pas seulement, semblable à celle de leurs parents. Cette fois, c’est différent : « L’exercice isolé de la médecine générale va probablement s’éteindre progressivement », prédit-il.

Et les jeunes ne se contentent pas de cultiver leur différence. De plus en plus, ils veulent aussi avoir voix au chapitre. Les bisbilles passées avec l’Ordre ou le feuilleton des négociations conventionnelles l’ont amplement montré. Car les jeunes pousses de la médecine ne se satisfont plus d’un rôle d’observateur...

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