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lundi 23 décembre 2013

Et si Joséphine Baker entrait au Panthéon ?

LE MONDE | Par 
Joséphine Baker, la Vénus noire, en 1968 à l'Olympia.
Joséphine Baker, la Vénus noire, en 1968 à l'Olympia. | AFP
C'est toujours le présent qui se célèbre lui-même en consacrant tel ou tel fantôme tutélaire. Pourquoi, dès lors, ne pas jouer cartes sur table, sans trop se mentir à soi-même ?
En rendant les honneurs du Panthéon à Joséphine Baker, l'époque ne ferait qu'endosser haut et fort ce qu'elle a de singulier, et de plus dynamique. Elle se distingue de ses devancières par ceci que la femme libre, le colonisé, le coloré des confins, le bi ou l'homosexuel, ont fait irruption à l'avant-scène, avec des formes d'art jusqu'alors dédaignées, la danse, le rythme, le jazz, la chanson.
L'esprit des hauteurs a trop censuré le corps, le grand absent des annales homologuées républicaines – même si le sport, la mode et la publicité le rendent omniprésent. Tous ces nouveaux venus, exotiques ou excentriques, n'ont-il pas éventé notre province ? Ils ont, en nous perturbant, beaucoup donné. Notre modernité leur doit son merveilleux, le plus clair de ses battements d'aile et de coeur. On peut leur en rendre grâce.

Des Folies-Bergère au suprême sanctuaire ? De la ceinture de bananes à la couronne de lauriers ? Profanation ! Le Front national accusera. Le burgrave gémira. La vertu hoquettera. Si le kitsch consiste, comme le dit Kundera, à « se regarder dans le miroir du mensonge embellissant et s'y reconnaître avec une satisfaction émue », rien ne serait plus dépaysant, moins hypocrite et narcissique, que de hisser cette Américaine naturalisée en 1937, libertaire et gaulliste, croix de guerre et médaille de la Résistance, au coeur de la nation. Elle est à hauteur d'homme.
L'époque n'est pas au sacrifice ? Justement. La Gestapo a quitté la place et personne ne nous demande de faire sauter les trains. On peut encore, en revanche, secouer les apartheids en réinventant le quotidien. Joséphine Baker n'a pas l'aspect d'une héroïne. C'est une irrégulière. Ce n'est pas un mythe. C'est un exemple. De quoi ? D'un affranchissement, qui a bousculé les conformismes et dérangé les lignes.
DÉGELER LES URNES
On nous répondra : « Plus politiquement correct, tu meurs. »Rions de cet éclat de rire. C'était très incorrect, avant guerre, de se produire les seins nus, d'aimer un petit auteur de polar, Simenon, et d'ensorceler cubistes et surréalistes. Et très risqué (chez « les saltimbanques » en vogue, plutôt insolite) d'entrer dans les services secrets de la France libre en 1940, d'épouser en 1955 la cause des Noirs nord-américains (en se faisant chasser des grands hôtels de New York), d'assister en 1966 à la Conférence tricontinentale de La Havane – en soutenant les mouvements de libération latinos – et d'engloutir sa fortune pour entretenir une famille arc-en-ciel avec douze enfants adoptifs, de tous horizons. Légèreté peut rimer avec liberté, et la fantaisie donner au courage une sorte de pudeur.
Tous ceux, toutes celles qui de par le monde ont deux amours, leurs pays et Paris, ne bouderaient pas leur plaisir. Non plus que Senghor, Roumain, Depestre, Césaire, sans oublier Christiane Taubira. Cette sirène des rues pourrait bien nous aider à dégeler les urnes et les statues, à mettre un peu de turbulence et de soleil dans cette crypte froide et tristement guindée.

« De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace. » Voir reposer côte à côte la chair et la science, la fantasque et le supplicié, Orphée et Jean Moulin, ne serait pas la pire façon de faire remonter de la vie au sommet de la colline, de fermer les portes de la guerre et d'accorder la République aux temps nouveaux, polyphoniques, frondeurs et bon enfant.

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