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mardi 31 décembre 2013

Annoncer une maladie génétique : les enjeux du diagnostic

19/12/2013

A.-C. MAZERY
Psychologue clinicienne, Service de génétique médicale, Hôpital Necker-Enfants Malades, Paris
Dès qu’une maladie génétique est suspectée chez un enfant, parents et pédiatres se mettent en quête d’un diagnostic. Expertises cliniques, examens paracliniques et investigations génétiques sont leurs armes tout au long de leur quête. Mais si le plan de bataille proposé par le généticien est clairement consenti par les parents, le sens et la portée du diagnostic ont-ils la même résonance pour chacun ?

Génétique, diagnostic et confusion de langages

Au-delà de la spécificité du langage médical, il peut y avoir un réel fossé entre le discours scientifique du médecin et les questions existentielles des parents, une « confusion de langues(a)». L’amalgame que font les parents entre les termes génétique, héréditaire, hérité et transmis en est une illustration. En effet, pour la plupart d’entre eux, ce qui est génétique est inévitablement transmis, ce qu’ils traduisent par héréditaire. Or, si certaines maladies sont transmises et sont alors héréditaires, d’autres se constituent au cours de la méiose ou du développement, sans être transmises, bien qu’elles soient génétiques. La spécificité de la représentation du diagnostic est un autre exemple de cette confusion. Comme Jeanne et Tristan Auber en témoignent lorsqu’ils reçoivent le caryotype de leur fille, « cette énigmatique succession de caractères » les laisse perplexes. « Quel sens peut bien avoir un tel courrier pour des parents ? Ces deux lignes semblent aussi incompréhensibles et complexes que ce que nous vivons parfois(1) ». Comme ils le résument : « Elle est porteuse d’anomalies génétiques, de microremaniements d’ADN sur les chromosomes 18 et 13. Bravo la science ! Mais en pratique ça veut dire quoi ?(1) » (ibid., p.80).
En fonction des examens prescrits, le médecin peut communiquer un nom de syndrome, un numéro de chromosome, un nom de gène, une mutation, etc. Mais qu’attendent les parents ? Une femme de 39 ans vient consulter pour sa fille Emma, âgée de 6 ans, qui présente un retard de croissance staturo-pondéral et un décalage des acquisitions. Plusieurs diagnostics ont déjà été posés : spasticité, dyspraxie visuo-spatiale, IMC, mais aucun ne met fin à sa quête, car voici ce qu’elle attend : « Je veux savoir comment nommer la maladie, comment la guérir ou au moins la traiter, pré- venir les futurs symptômes, savoir si c’est dégénératif et si on a une épée de Damoclès au-dessus de la tête, prévoir le futur, savoir si
ma fille sera autonome, adapter sa rééducation, savoir d’où ça vient et si ça peut se reproduire… ». La recette d’un diagnostic idéal pour cette mère ne se limite donc pas à une formule chromosomique ou à une liste de symptômes, mais requiert d’autres informations : un nom, une origine, un pronostic, une thérapeutique, une prise en charge, une probabilité, etc., ce qui n’est évidemment pas inscrit sur un compte rendu d’examen génétique.

Au fond, pourquoi un diagnostic ?

Une fois le diagnostic posé, le médecin peut apporter aux parents des réponses concrètes à certaines questions, comme l’origine de la maladie, son mode de transmission, sa probable évolution, les risques de récidive pour le couple et les apparentés. Il peut aussi les éclairer sur les possibilités thérapeutiques présentes et futures, les programmes de recherche en cours et les moyens de prise en charge. Au-delà de l’aspect médical, le diagnostic permet à certaines familles de sortir de l’isolement en rencontrant d’autres familles éprouvées par la même maladie. Le diag- nostic permet surtout de nom- mer « l’ennemi », d’en finir avec les suppositions et de sortir de l’incertitude. Il offre la possibilité de donner du sens aux symptômes de l’enfant et d’activer les processus psychodynamiques d’adaptation à la maladie ou au handicap de l’enfant.
Pour l’enfant, le diagnostic met fin à une longue série d’examens, permet de mieux caractériser ses difficultés et aide à anticiper l’évolution de la maladie. Il permet d’ajuster la prise en charge médico-sociale et éducative, et d’obtenir les aides et le soutien appropriés. Enfin, il offre à l’enfant une explication à ses difficultés, lui permet ainsi de réconcilier ses perceptions subjectives avec la réalité biologique, et de donner un sens aux contraintes que la maladie lui impose. La connaissance du diagnostic a une « valeur constructive » pour l’enfant qui a conscience de « ce qui se passe dans son corps » et « attend une explication(2) ». Il lui offre le droit de ne pas occulter ses interrogations et ses difficultés, l’opportunité de ne pas rester seul avec ses inquiétudes et de penser sa maladie.
Enfin, l’intérêt d’un diagnostic pour les professionnels réside dans les possibilités qu’il offre, par une meilleure connaissance de l’histoire naturelle et du pronostic évolutif de la maladie, de proposer les investigations appropriées,
d’évaluer les traitements, d’optimiser la surveillance médicale du patient et de prévenir les complications. Il permet également de constituer des cohortes de patients afin d’établir des protocoles de recherche ciblés et de développer de nouvelles thérapeutiques.

Impact de l’annonce diagnostique

Même si le diagnostic est espéré depuis des années, l’annonce se révèle être une étape brutale de remaniements psychiques pour le sujet malade et sa famille, en raison de l’effraction psychologique, voire du traumatisme, que représente la nomination de la maladie. Elle est un moment d’effroi, de rupture, de l’ordre de l’impensable et de l’irreprésentable dans l’ici et maintenant. La confrontation soudaine au « deuil de l’enfant rêvé » et à celui de « parent rêvé » (M.F. Epagneul, 2007) peut rendre l’annonce aussi éprouvante qu’une « condamnation », une « sentence ».

Génétique et intégrité : mise en cause de « l’à-venir »

Même en l’absence de risque vital, le diagnostic semble vécu par les parents comme une perte, une castration, une mort symbolique, et suscite des réactions émotionnelles associées à la clinique du traumatisme et du deuil (cf. E. Kübler-Ross, 1969). Parce qu’elle prive « pour un temps, au moins, de l’impression de maîtriser sa vie(2) », la maladie déclenche chez les parents une angoisse massive du futur, dans la mesure ils se trouvent soudainement confrontés à l’impossibilité de se projeter dans l’avenir avec la descendance, de pouvoir offrir à leur enfant la vie dont ils rêvaient pour lui. Ils s’interrogent sur ses futures capacités d’autonomie et ses chances d’avoir une vie « normale », « avoir un travail, être en couple et avoir des enfants », et redoutent une rupture dans la filiation, une extinction de la lignée. La blessure narcissique que la maladie provoque, incite les parents à essayer d’inscrire la pathologie dans leur histoire familiale afin de trouver une cause psychiquement acceptable : « Qu’est ce qu’on a fait de mal ? Ai-je trop travaillé ? Sommes-nous incompatibles ? ». Ces tentatives de rationalisation leur permettent de s’accorder du temps afin de trouver, dans l’après-coup, les moyens à leur disposition pour faire face à l’effraction psychique que représente cette annonce.

Génétique et singularité : mise en cause du présent 

Lorsque la maladie génétique est « visible », le « défaut physique » peut ébranler les assises narcissiques de l’enfant. Comme ce garçon de petite taille qui est convaincu que, si tous les élèves de sa classe avaient sa taille, les filles lui « trouveraient toujours
quelque chose de moins que les autres ». Le stigmate corporel peut créer une faille narcissique profonde chez l’enfant, altérer sa perception de lui-même et limiter sa capacité à se projeter. Les parents ne sont pas épargnés par cette blessure, comme la mère d’Eva, atteinte d’un syndrome de Desbuquois(b), qui observe durant toute la consultation la manière dont nous regardons sa fille afin de savoir si « ça se voit qu’elle a un problème ». Le regard des autres, redouté tel une sentence, l’a amenée à cacher les problèmes de sa fille à sa famille et à quitter sa région pour s’installer à Paris, révélant ainsi le poids de l’apparence dans le sentiment de conformité sociale.

Ne pas figer les problèmes

Étant donné l’impossibilité de prédire le développement d’un enfant et l’évolution de sa maladie, il est essentiel de « se méfier de ces étiquettes qui collent à la peau toute la vie(1) » et de veiller à ne pas figer les problèmes du patient lors de l’annonce. Comme le dit Jeanne Auber, « l’absence de franchise, cette sentence sans espoir et accompagnée d’aucune solution ont ajouté à notre souffrance et continuent de nourrir notre rancœur(1) » (ibid., p.58). Le généticien doit faire part aux parents, en des termes clairs et accessibles, de la signification des résultats obtenus, de la variabilité d’expression de la maladie et de l’hétérogénéité des symptômes, tout en leur précisant que le diagnostic n’est pas le pronostic. D’autre part, la plupart des maladies génétiques étant incurables, l’essentiel du soin repose sur les thérapeutiques symptomatiques associées à la prise en charge psy- chologique et médico-sociale. Le diagnostic doit donc permettre aux familles de bénéficier d’une prise en charge globale, de définir une perspective pour l’enfant, d’assurer les relais vers les professionnels de proximité et les associations de parents.

Conclusion

Lors de l’annonce diagnostique, les préoccupations des parents font rarement écho à celles du médecin qui, concentré sur sa logique biologique, tente de les raisonner en leur parlant de gènes et de transmission aléatoire, alors que ceux-ci remettent en question leur roman familial, leurs éventuelles fautes et leur destin. C’est pourquoi, dans le service de génétique de l’hôpital Necker, les patients et leurs familles sont reçus en consultation conjointe par un généticien et un psychologue. Cette double écoute leur permet d’être entendus dans leur globalité, organique et psychique, individuelle et familiale, elle facilite l’émergence de leurs affects, leurs angoisses et leurs représentations de la maladie. Car s’il est rarement possible d’éliminer l’atteinte somatique que « porte » le sujet, il est possible de l’aider à la penser, à transformer le traumatisme en une réalité liée aux affects et à l’histoire familiale. 
a Confusion de langue entre les adultes et l’enfant : terme utilisé par Sandor Ferenczi, et extrait de S. Ferenczi, Psychanalyse IV. Œuvres complètes, 1927-1933, Ed. Payot, 1982.
b Syndrome de Desbuquois : maladie osseuse constitutionnelle caractérisée par un nanisme sévère, une laxité articulaire importante et une dysmorphie faciale caractéristique, sans déficit intellectuel (source : Orphanet).


Références

1. Auber J. et T. Bonjour Jeune Beauté. Ed. Bayard, 2013.
2. Gargiulo M. Vivre avec une maladie génétique. Ed. Albin Michel, 2009.

Pour en savoir plus

• Épagneul M.F. Du bon usage du concept de « deuil de l'enfant idéal ». Reliance 4/2007 (n° 26), p. 43-50.
• Korff-Sausse S. Le miroir brisé. Ed. Cal- mann-Lévy, 1996.
• Munnich A. La rage d’espérer, la génétique au quotidien. Ed. Plon, 1999.

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