Y aurait-il une autre profession plus identifiée à la question du genre et du sexe que celle de sage-femme ? Essentiellement féminine à 98%, malgré l’intégration des hommes depuis 1982, au carrefour de la féminité, de la maternité et de la sexualité. La dénomination même du métier de «sage-femme» résiste à se laisser décliner autrement, par le terme de maïeuticien ou de maïeuticienne, afin d’éviter le paradoxe ou le boniment pour les «sages-femmes hommes».
Sage-femme, un «corps» de femmes, qui n’a d’équivalent pour sa condition professionnelle que celle de la femme. Et les hommes de la profession ne sauront l’atténuer. Que ce soit la métaphore, la symbolique, les paradoxes entre les faits et le droit, les salaires comme la reconnaissance, tous les chemins mènent aux inégalités et aux ingratitudes propres au destin de la condition féminine.

Voilà un gouvernement qui se fait grand jeu de la parité, du nombre de ses femmes aux ministères malgré ses 73% d’hommes à l’Assemblée nationale et même 90% dans les conseils généraux. Voilà un gouvernement qui n’a de mots que pour l’égalité entre les sexes et la chasse aux discriminations et qui, pourtant, dans son projet de loi 2014 sur la santé des femmes, oublie sciemment la praticienne de première ligne. Acte manqué ou méconnaissance, à ce niveau de compétences et de responsabilités dans les instances nationales, pour les sages-femmes, la coupe est pleine. Nous voilà revenues au temps de l’Etat paternaliste, où l’on décide pour les sages-femmes, comme à l’époque pour les femmes, de ce qui conviendrait le mieux pour elles, sans prendre seulement un avis sur leur existence. Les femmes, on le sait, sont censées être reconnues comme égales aux hommes dans leurs droits. Mais les faits contredisent les lois.
Les sages-femmes sont profession médicale, reconnues comme telles dans le code de la santé publique avec leurs compétences, leurs responsabilités propres et leur code de déontologie. Cependant, à statut médical égal, la rémunération de leurs actes comme leur salaire restent, malgré tout, on ne peut plus modestes face à ceux de leurs autres confrères médicaux, médecins ou chirurgiens-dentistes. Qui plus est, elles sont classées professionnellement comme une annexe incongrue dans le titre IV, à côté des paramédicaux, dans la législation hospitalière. Quand il s’agit des femmes, on n’est jamais à un double langage prêt.
Le champ d’exercice de la sage-femme concerne le suivi global de la grossesse normale, de l’accouchement eutocique, du nouveau-né en bonne santé comme de la contraception de toutes les femmes elles aussi en bonne santé. Sa compétence est ainsi surtout réservée à la physiologie. Mais comment se construire dès lors une identité professionnelle propre et se distinguer du médecin lorsque celui-ci, portant l’expertise de la pathologie, peut tout autant exercer dans le champ de la physiologie et faire tout ce qu’une sage-femme peut faire ou éventuellement lui laisser tout ce qu’il ne veut pas faire ? Même si 75% des naissances sont présidées par une sage-femme et même si 80% des grossesses sont normales, la physiologie ne semble guère plus valorisée que les tâches ménagères. On sait ce qu’il en est dès qu’il s’agit de qualités dites féminines. De la part d’une ministre femme, il ne faut pas s’attendre à forcément plus de considération. Certes, une femme est toujours moins suspecte de ne pas défendre la cause des femmes. Mais ce sont bien deux ministres femmes qui remirent celles-ci au travail de nuit, pour raison d’égalité, sans se soucier de la différence, là où aucun autre élu homme n’avait réussi.
Les sages-femmes seraient-elles comme l’on veut, des femmes douces, soumises, dociles, compréhensives, capables de supporter toujours les soumissions et les contradictions, comme au bon vieux temps du code Napoléon ? Faut-il s’étonner dès lors qu’elles réclament des institutions publiques la fin des paradoxes et des confusions avec un statut et une identité professionnelle clairs ? Celui de praticienne de premier recours ou de praticien hospitalier ; une reconnaissance générale dans les textes de loi comme par la société civile pour une formation et des études bac + 5, traduite dignement en termes de salaire, car le salaire, c’est inévitablement, ce que l’on «vaut bien». A reconnaissance déniée, grève illimitée pour 80% des maternités de France.
Mais cette grève des sages-femmes, quotidienne et perlée, où elles restent présentes à leurs missions, sans abandonner les femmes, portant tout juste un brassard, ne sera-t-elle qu’une fois de plus une histoire de bonnes femmes ? Où l’on attend patiemment, après un haussement de ton et des protestations, qu’elles retournent gentiment à leurs fourneaux. Trois semaines de grève dans le silence et l’indifférence quasi générale, y compris celles des médias, montre le peu d’émoi pour la cause des sages-femmes comme pour celle des femmes. On préfère celui d’un bon fait divers ou de la grève des footballeurs.
La ministre, un peu obligée devant une grève historique avec 30% des professionnelles revendiquant dans la rue, les aura finalement quand même reçues. Elle se veut fort de reconnaître leur statut médical et leur exercice quotidien. La belle affaire pour un vœu dont la loi elle-même se porte garante. Mais aucune caution pour les sortir du titre IV. Comme pour les femmes, toujours garder la bride permet de contrôler les servitudes familières ou hospitalières et le salaire condescendant. Un groupe de travail, certes proposé, n’est parfois qu’un harnais supplémentaire déguisé. Les revendications des sages-femmes sont pourtant claires. Elles exigent enfin une reconnaissance juste et concrète pour leur exercice comme pour leur identité professionnelle. Elles exigent d’être actrices et partenaires pour la santé des femmes dans le futur projet de loi 2014.