Mais où est donc passé le Baclofène, ce médicament miracle censé transformer la vie des grands alcooliques ? Stop ou encore ? Ça marche ou pas ? Dangereux ou inoffensif ? L’Agence nationale de santé du médicament (ANSM) vient de faire le point sur cette molécule, en mettant sur son site le long débat tenu en son sein sur «l’évaluation du rapport entre les bénéfices et les risques de santé du Baclofène».
Premier constat : le Baclofène, c’est «un sujet extrêmement complexe… Il est question de dizaines de milliers de patients et de milliers de prescripteurs. De plus, la posologie peut varier de un à dix, et les effets indésirables peuvent se confondre avec ceux de la maladie que le produit est censé traiter», note en préalable la commission risques-bénéfices de l’ANSM.
Vient ensuite un travail poussé sur le nombre de patients qui prennent aujourd’hui du Baclofène pour lutter contre leur alcoolisme. Ce recensement est délicat, car ce produit était au départ délivré à des fins neurologiques pour relaxer les muscles, avant de bénéficier depuis cet été d’une autorisation temporaire d’utilisation contre l’alcoolisme. Comment faire la part des choses ? C’est là que l’on voit les énormes données dont disposent les pouvoirs publics sur les consommations de médicaments. Grâce aux informations du Sniram (base de données anonyme qui contient les remboursements de tous les régimes d’assurance maladie), mais aussi à celles des hôpitaux, que l’on fait mouliner par des modèles mathématiques, on arrive à dessiner un paysage précis.
Généraliste. Qui en prend, alors ? Selon l’Agence, «le nombre de patients ayant bénéficié de remboursements, qui étaient de 67 000 par an jusqu’en 2007, a atteint près de 117 000 patients l’an passé». Une forte hausse due à la médiatisation du livre d’Olivier Ameisen (1), ce cardiologue alcoolique, aujourd’hui disparu, qui a découvert les effets bénéfiques du Baclofène sur lui-même. «L’augmentation du nombre de boîtes est encore plus forte. En quantité, les volumes de Baclofène ont, eux, doublé entre 2006 et 2012.»
En moyenne, l’usager de Baclofène a 50 ans et c’est un homme. Environ 16 000 à 17 000 patients ont entamé un traitement de Baclofène l’an passé, avec pour prescripteur initial un généraliste. «En conclusion, affirme l’Agence du médicament, au moins 50 000 personnes ont été prises en charge depuis 2008 pour une alcoolo-dépendance traitée au Baclofène.»
Voilà pour l’état des lieux. Autre question : quelle posologie prescrire ? A petite dose, il est sans effet ; à haute dose, il donne des résultats. L’Agence avance à petits pas, recommandant une quantité initiale faible, avant une hausse progressive. «L’objectif consiste à obtenir une efficacité avant l’apparition de signes d’intolérance», fait-elle remarquer avec bon sens. Difficile équilibre. Autant que le sevrage. S’agissant de la décroissance et de l’arrêt éventuel du traitement, l’Agence recommande«une décroissance progressive, compte tenu des risques neurologiques et psychiatriques élevés en cas de sevrage brutal». Et se prononce pour une durée maximale de prescription et de délivrance de quatre semaines.
Troubles. Dernier sujet : les effets indésirables. Attention,ils sont réels, mais difficiles à détecter, car ils peuvent se confondre avec ceux de l’alcool. En tout cas, ils sont en augmentation, avec 405 cas recensés en 2012, soit 163 de plus qu’en 2011. Dont 93 graves. Les troubles neurologiques représentent 33,6% des effets indésirables, les troubles psychiatriques 21%, et les gastro-intestinaux 10%. C’est sans compter les troubles sensitifs et sensoriels, des insomnies et des décompensations maniaques. En revanche, les inquiétudes concernant des risques de cancers ou de troubles sanguins ne sont pas confirmées.
Au finale, l’Agence relève l’intérêt d’une «prescription centralisée»,comme à Lille, autour de certains centres d’addictologie, qui a permis de diminuer la gravité des effets indésirables : 25% contre 57% dans le reste de la France.
(1) «Le Dernier verre», Denoël (octobre 2008), 288 pp., 19,25 €