C’est de pire en pire, et l’horizon est sombre. La ligne du 115, le numéro d’urgence pour les sans-abri, croule sous les appels. Au bout du fil, les équipes du Samu social n’arrivent plus à répondre à la demande, et encore moins à exercer leur mission d’accompagnement vers l’insertion. La Fnars1, qui a mis en place un observatoire des 115 depuis deux ans,vient de publier son baromètre annuel, basé sur 37 départements (Paris n’est pas encore comptabilisé). Elle enregistre 30% d’appels supplémentaires en 2012. Et sur la même période, 64% des demandes d’hébergement n’ont pas abouti, faute de places. La Fnars prévient : l’année 2013 s’annonce encore plus catastrophique.

LES FAMILLES ET LES JEUNES, LES NOUVEAUX DU 115

Le téléphone sonne en moyenne 60 000 fois par mois. Jusqu’ici, c’était essentiellement des hommes seuls. Ils sont toujours majoritaires (45% des personnes qui ont composé le 115 en 2012), mais s’ajoutent depuis quelque temps des familles avec enfants, à la rue.  L’augmentation donne le tournis : +31% entre 2011 et 2012. Les jeunes, aussi, appellent plus qu’avant. «Aujourd’hui dans les centres d’hébergement, une personne sur quatre a moins de 25 ans. On réclame depuis des années la mise en place de minima sociaux pour les jeunes. Il n’y en a toujours pas, voilà le résultat», pointe Florent Guéguen, le directeur général de la Fnars. La proportion de migrants se tournant vers le 115 s’envole aussi, à cause de l’embouteillage dans les dispositifs pour les demandeurs d’asile.

A CAUSE DE LA CRISE, MAIS PAS SEULEMENT

Chaque année, les demandes d’hébergement sont toujours plus importantes. Sur la seule année 2012, le nombre d’appel a augmenté de 30%. En face, l’offre de places dans les centres d’hébergement d’urgence ne suit pas. En 2011, 40% des appels étaient restés sans réponse. En 2012, c’est 64% et «ça va être encore pire en 2013, prévient Florent Guéguen. On avait une personne sur deux sans solution cet hiver. Et cet été, 7 sur 10 !»
Cet écart, selon les saisons, le révolte par-dessus tout. Depuis des années, la Fnars comme l’ensemble des acteurs venant en aide aux sans-abri,dénonce cette «gestion au thermomètre, mortifère au possible». L’hiver, l’Etat débloque des places supplémentaires, en ouvrant casernes et gymnases pour éviter que des sans-abri meurent de froid. Le printemps revenu, il ferme ces places supplémentaires, remettant des familles à la rue, sans solution. «C’est pire que tout pour les gens, insiste-t-il. Ça produit un effet de décompensation, qui explique d’ailleurs que plus de SDF meurent l’été que l’hiver.»

LES TRAVAILLEURS SOCIAUX, À BOUT DE SOUFFLE

La Fnars alerte, il y a de fortes chances que les équipes du Samu social craquent avant l’hiver. Durant l’été 2011, les travailleurs sociaux s’étaient mis en grève, épuisés de ne plus être en mesure de remplir leur mission.
«Quand, à 10 heures du matin, déjà, il n’y a plus aucun lit de disponible pour le soir….C’est dur. Ils doivent aussi gérer la colère et la détresse des gens qui appellent, sans pouvoir les aider», relaie Florent Gueguen. Ils se retrouvent aussi, souvent, «obligés de faire le tri» entre les appels, pour venir en aide d’abord aux plus fragiles, comme les familles avec enfants. «Ce qui est contraire au principe d’inconditionnalité de l’accueil, rappelle la Fnars. La loi donne droit à toute personne à la rue d’être secourue, sans distinction.» 
Pour trouver un lit, encore faut-il qu’il soit un minimum adapté aux besoins des personnes. Les dispositifs actuels ont été pensés à la fin des années 1980 pour aider une population de sans-abri constituée essentiellement d’hommes seuls vieillissants. Les centres ne sont pas du tout adaptés aux familles, qu’on héberge faute de mieux dans des hôtels aux coûts exorbitants. Enfin, se désole la Fnars, il y a plus grave. D’après les équipes de maraudes, de plus en plus de sans-abri renoncent«ponctuellement ou durablement» à composer le 115, tant l’espoir d’avoir un lit pour la nuit est faible. «L’hiver n’amène pas de nouveaux publics, ce sont les dysfonctionnements de la prise en charge qui les amènent à ne solliciter le 115 que pendant cette période», conclut le rapport.
1 La Fnars, la fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, regroupe 870 associations.